par Saïd Bouamama

Nous vous proposons ici cet article de Saïd Bouamana, c’est l’un des nombreux sujets traités par Les Possibles, revue éditée à l’initiative du Conseil scientifique d’Attac et dirigée par l’économiste bordelais Jean-Marie Harribey. L’ensemble à retrouver sur https://france.attac.org/actus-et-medias/le-flux/article/trente-cinquieme-numero-des-possibles-la-revue-editee-a-l-initiative-du-conseil (La Rédaction d’Ancrage)

Néocolonialisme et paupérisation systémique
Saïd Bouamama

L’essence du néo-colonialisme, c’est que
l’État qui y est assujetti est théoriquement
indépendant, possède tous les insignes de la
souveraineté sur le plan international. Mais
en réalité son économie, et par conséquent sa
politique, sont manipulées de l’extérieur.
Kwame Nkrumah, Le néocolonialisme.
Dernier stade de l’impérialisme1
La Méditerranée se transformant en cimetière
géant depuis plusieurs années, un Sahel endeuillé
quotidiennement par les violences dites
« djihadistes », des manifestations populaires pour le
départ des troupes françaises de cette même région
touchant désormais toute l’Afrique de l’Ouest, une
croissance de nombreux pays africains ne
s’accompagnant ni d’un développement ni d’une
baisse de la pauvreté, etc., autant de faits qui sont
incompréhensibles si on ne les relie pas aux rapports
économiques qui régulent les liens entre les pays
dominant l’économie mondiale et les pays dominés
par elle. Ne pas prendre en compte ces rapports
économiques (et leurs suites logiques, conséquences
et facteurs de reproduction, à savoir les rapports
politiques, culturelles, etc.) conduit à la situation
actuelle d’une « gauche » globalement muette sur les
pratiques prédatrices des classes dominantes
européennes, d’une « gauche » marquée par un angle
mort à propos de l’anti-impérialisme. Sortir de cet
angle mort suppose de saisir les invariants et les
mutations entre le colonialisme comme système et
ce qui est appelé par Nkrumah « néocolonialisme »
dans la citation mise en exergue (section1), de
mesurer l’ampleur des effets de ce néocolonialisme
sur les conditions d’existence des peuples néo-
colonisés (section 2), de prendre la mesure
également de la séquence actuelle dite de
« mondialisation » (section 3) et enfin de relier des
questions volontairement séparées par le discours
dominant, entre mondialisation et politique
migratoire ou entre crise dite « djihadiste » et
mondialisation par exemple (section 4).
1. Du colonialisme au néocolonialisme
Il existe de multiples définitions du colonialisme.
Certaines se centrent sur l’invasion et l’occupation
militaire, d’autres sur les idéologies justificatrices,
d’autres encore sur les formes diverses qu’il a pris
selon les colonisateurs et les séquences historiques
(de peuplement, d’exploitation économique, etc.),
d’autres enfin sur les motivations diverses qui ont
accompagné son imposition (règlement de la
question sociale par l’exportation dans les colonies
des pauvres européens, préoccupation géostratégique
face aux concurrents, etc.). Ces définitions ne sont
pas erronées mais restent partielles. Elles ne
permettent pas d’éclairer le rôle et la fonction qu’a
joué le colonialisme et que joue aujourd’hui le
néocolonialisme dans la construction des sociétés
européennes d’une part et dans l’organisation
polarisée du monde jusqu’à aujourd’hui d’autre part.
Ce qui caractérise, selon nous, le colonialisme c’est
qu’il est d’abord constitué par l’extension à
l’ensemble de la planète du mode de production
capitaliste. C’est cette extension qui a permis la
réunion des conditions du passage du capitalisme
commercial au capitalisme industriel, la réunion des
richesses nécessaires à ce bond qualitatif2. C’est le
pillage des civilisations indigènes des Amériques
puis l’esclavage qui ont réuni ces conditions. Il n’y a
donc pas eu capitalisme industriel puis colonialisme,
mais développement simultané et en interaction de
l’un et de l’autre.
Si nous apportons ces précisions, c’est qu’elles
sont essentielles pour saisir les conséquences « ici et
là-bas » de l’imposition du colonialisme. Pour qu’il
puisse jouer cette fonction de développement
économique « ici », il a fallu mettre en dépendance
totale les économies de « là-bas », les contraindre à
l’extraversion, les faire fonctionner pour satisfaire
les besoins des économies « d’ici ». Avec le
colonialisme, le monde est désormais unifié mais
non homogénéisé3. Le capitalisme qui s’impose « là-
bas » est dépendant du capitalisme qui se développe
« ici ». Le premier est au service du second. Le
développement économique, l’amélioration de la
1 Kwame Nkrumah, Le néocolonialisme. Dernier stade de l’impérialisme, Paris, Présence Africaine (1965), 1973, p. 9.
2 Voir sur cet aspect l’incontournable Éric Williams, Capitalisme été esclavage, Paris, Présence Africaine, 1968.
3 Voir sur cet aspect : Samir Amin, Le développement inégal. Essai sur les formations sociales du capitalisme périphériques, Paris,
Minuit, 1973.condition ouvrière, les progrès des sciences et
techniques à un pôle sont rendus possibles par une
croissance sans développement, une surexploitation
sans limite, une pauvreté endémique à un autre.
C’est pourquoi le colonialisme doit, selon nous, se
définir, comme étant d’abord un processus de mises
en dépendance faisant fonctionner une économie au
service d’une autre4.
Un double facteur va faire émerger
historiquement la nécessité d’une mutation de ce
système de domination. Le premier est constitué de
la monopolisation grandissante dans les économies
« d’ici » exigeant un élargissement des lieux
d’approvisionnement en matières premières et en
force de travail et l’accès à un marché plus vaste.
Cet élargissement est contradictoire avec le vieux
pacte colonial réservant les matières premières et le
marché d’un territoire à la puissance qui l’occupe5.
Le second est tout simplement la révolte des
colonisés qui, si elle n’a jamais cessé, a trouvé
néanmoins dans les mutations des rapports de forces
consécutives à la Seconde guerre mondiale, un
contexte plus favorable à sa massification et sa
radicalisation. Les indépendances ont en été le
résultat.
2. Néocolonialisme et maintien de la dépendance
La décennie 1950 est celle de la radicalisation
des luttes pour l’indépendance en Afrique. Les
guerres de libération armées qui éclatent en Algérie,
au Cameroun et au Kenya font craindre une
généralisation à l’ensemble des colonies et une
radicalisation des projets de rupture avec le
colonialisme. Ce dernier s’adaptera en mutant en
colonialisme indirect ou néocolonialisme. Les
indépendances sont corsetées par un double
mécanisme. Le premier est constitué du caractère
inégal du marché mondial assignant les économies
africaines à des mono-productions tournées vers
l’exportation. Le second par toute une série
d’accords (économiques, monétaires, politiques,
culturels, militaires, etc.) reproduisant un
fonctionnement « là-bas » selon les besoins des
économies « d’ici ».
Bien entendu les tentatives de sortir de ce carcan
n’ont pas manqué. Les pays membres du groupe dit
de « Casablanca » dénoncent ainsi le
néocolonialisme dans la décennie 1960 et tentent de
s’en libérer par des politiques de recentrage sur le
marché national, de réforme agraire,
d’industrialisation, etc. Le Ghana, l’Algérie, le Mali,
la Guinée, etc., tentent tous des expériences
différentes mais convergentes de sortie de
l’économie extravertie. Ils feront l’objet de
déstabilisations économiques comme en Guinée ou
en Algérie, de coups d’État comme au Ghana ou au
Mali.
Pour qu’une telle transition ait lieu, les pays
colonisateurs ont dû momentanément faire des
concessions politiques (indépendances formelles) et
économiques (une redistribution de la valeur entre
anciennes puissances coloniales et anciens pays
colonisés moins inégale que sous la colonisation
directe). Ces concessions étaient incontournables au
regard de l’ampleur des attentes et des espoirs
investis dans les indépendances par les peuples. Pour
ces derniers, l’indépendance prenait la signification
de l’accès à la terre, à l’école, à l’alimentation, etc.
Même les gouvernements les plus timorés et les plus
dépendants des anciennes puissances coloniales sont
contraints de mettre en œuvre des politiques de
scolarisation, de redistributions sociales, d’accès aux
soins, etc., qui font des deux premières décennies
des indépendances des périodes d’amélioration des
conditions de vie des masses populaires. Il est
essentiel de rappeler ces faits à un moment où se
déploie un discours nihiliste et afro-pessimiste
comparant la situation actuelle à celle de l’époque
coloniale. Dénonçant ces discours révisionnistes,
Samir Amin rappelait à juste titre l’exemple
suivant : « En 1960, au Congo belge, il y avait neuf
– pas dix ! – Congolais à peau noire qui avaient fait
des études supérieures, six religieux et trois civils –
je n’ai jamais su, ou j’ai oublié, s’ils étaient deux
médecins et un avocat ou deux avocats et un
médecin. Après trente ans d’un des plus odieux
régimes de l’Afrique et du monde, celui de Mobutu,
aujourd’hui, il n’y en a pas neuf, mais trois millions.
Donc le pire régime a fait des milliers de fois mieux
que la belle colonisation. Ceux qui ont mon âge et
qui ont connu des parties du tiers-monde de l’époque
de mon enfance savent que ça n’a plus rien à voir
avec aujourd’hui. Et ce qui existe aujourd’hui, les
4 Pour une analyse plus détaillée de ce processus historique nous renvoyons à notre ouvrage : Saïd Bouamama, Des classes
dangereuses à l’ennemi de l’intérieur. Capitalisme, Immigration, racisme, Paris, Syllepse, 2021.
5 Voir sur cet aspect : Mehdi Ben Barka, Option révolutionnaire au Maroc. Écrits politiques 1957-1965, Paris, Syllepse, 1999,
p. 229-230.peuples du Sud ont dû le conquérir, on ne le leur a
pas donné, rien n’a été donné6. »
Ces progrès se déployaient cependant sur la base
d’un marché mondial resté fondamentalement inégal
et d’une répartition internationale du travail
assignant les nouveaux pays indépendants à des
productions de matières premières non transformées.
C’est cette base qui permettra l’offensive dite
« néolibérale » qui débouchera sur la
« mondialisation », dont l’outil premier fut constitué
par les plans d’ajustement structurel du Fonds
monétaire international (FMI) et de la Banque
mondiale. La disparition de l’URSS et avec elle de
l’ensemble des équilibres issus de la Seconde guerre
mondiale accéléra le mouvement. Le temps des
concessions était terminé et le système de prédation
néocoloniale pouvait prendre toute son ampleur.
3. Les effets du néocolonialisme à l’ère de la
mondialisation
La mondialisation capitaliste signifie pour les
pays néo-colonisés une véritable descente aux
enfers. Si elle se traduit dans certains pays par une
hausse des taux de croissance et du PNB du fait de la
délocalisation des entreprises vers les bassins de
main-d’œuvre bon marché, elle se concrétise
également par une chute des conditions matérielles
d’existence, un accès à la santé et à l’enseignement
en régression massive par rapport à la période
précédente, une fragilisation forte de la petite
paysannerie familiale se traduisant par un exode
rural massif et une urbanisation incontrôlée, un
exode des « cerveaux » vers les pays du centre, etc.
Il n’est pas inutile de rappeler les deux séquences
principales de ce film qui se déploie depuis les
années 1980.
La première séquence est celle d’un
encouragement à l’endettement par les anciennes
puissances coloniales d’une part et par les
institutions financières internationales pendant les
décennies 1960 et 1970. L’accès aux prêts est
encouragé et la dette est véritablement promue. Les
lubies les plus farfelues de certains chefs d’État sont
financées par la dette internationale. Les projets
industriels les plus irrationnels également. Si
certains pays tentent d’utiliser cet endettement à des
fins de développements réels, d’autres au contraire
sombrent dans des taux d’endettement faramineux
sans aucun effet économique réel.
La seconde séquence sera celle des plans
d’ajustement structurel imposés pour accéder aux
prêts internationaux. Le discours et les pratiques de
toutes les institutions financières (celle de l’Union
Européenne, du FMI, de la Banque mondiale, etc.)
vont converger pour conditionner désormais ces
prêts à des conditionnalités politiques et
économiques. Celles-ci sont entièrement centrées sur
le principe libéral du retrait de l’État : privatisations,
fin du soutien étatique aux prix des produits de
première nécessité et, plus généralement, baisse des
budgets sociaux, baisse des dépenses de l’État,
démantèlement et privatisation des services publics,
fin du monopole d’État sur le commerce extérieur,
etc., telles sont les conditionnalités qu’ont imposées
les 241 programmes d’ajustement pilotés par la
Banque mondiale et le FMI auxquels il faut ajouter
les mesures du même type imposées dans le cadre
des accords bilatéraux ou des accords avec l’Union
européenne. Dans cette logique néolibérale, le rôle
de l’État est réduit à celui de garant du cadre
juridique permettant le bon fonctionnement des lois
du marché. Un tel État est incapable de mener à bien
une construction nationale.
Un double effet se produira progressivement au
cours des décennies suivantes. Le premier est
l’installation d’une paupérisation grandissante
inégalement répartie socialement et territorialement.
La baisse des dépenses d’État ne se réalise pas de
manière homogène, avec comme conséquence une
hausse des inégalités entre villes et campagnes et
entre les différentes régions. Les programmes
d’ajustement imposent de surcroît une concentration
des dépenses publiques sur un ou quelques secteurs
d’exportation. Chacune des nations tend ainsi à se
scinder en une « zone utile » et une « zone inutile ».
La fracture territoriale antérieure s’aggrave, laissant
parfois certaines régions dans un quasi-abandon sur
laquelle fleuriront des métastases « ethniques »,
« djihadistes », « tribales », etc. Loin d’être une
caractéristique en essence de ces peuples, ces
métastases sont le résultat logique de la destruction
des logiques nationales par le néolibéralisme sans
limite. L’économiste camerounais Bernard Founou-
6 Samir Amin, « La dernière grande leçon de Samir Amin », entretien, Le Grand Continent, 13 août 2018, consultable sur le site
legrandcontinent.eu.Tchuigoua décrit comme suit cette destruction et ses
effets politiques et sociaux :
« Une construction nationale ne peut être purement
idéologique. Elle se doit aussi de posséder des bases
matérielles. Le progrès social en fait nécessairement
partie. Si un mécanisme de régression sociale
s’installe durablement, et donne à la population
l’impression qu’elle ne pourra pas s’en sortir, c’est
le désastre. C’est ce qui se produit avec le débridage
de la logique de marché, par le biais des
programmes d’ajustement structurel. Imposés de
l’extérieur […]. Ces programmes ont donc signifié
la remise en cause du projet de construction
nationale. […] La désaffection populaire pour
l’État-nation tel qu’existant encore ouvre alors la
porte aux revendications ayant pour objectif non
plus la cohésion nationale mais une communauté
ethnique, religieuse ou linguistique… »7
Le second effet est un bouleversement de
l’ensemble des structures sociales. Les traits
principaux de ce bouleversement sont désormais
documentés par la recherche. Sans être exhaustif,
rappelons-en quelques-uns. Le premier est celui
d’une prolétarisation conséquente. La mondialisation
capitaliste et ses délocalisations ont transféré une
part non négligeable de la classe ouvrière des centres
dominants vers les périphéries dominées : en 1950,
la part des ouvriers de l’industrie travaillant dans un
pays de la périphérie dominée était de 34 %. Cette
part est de 53 % en 1980 et de 79 % en 2010 (soit en
chiffres absolus, 541 millions d’ouvriers contre 145
millions dans les pays du centre). Le transfert de
main-d’œuvre est encore plus important si on centre
l’analyse sur le travail de manufacture : « 83 % de la
main-d’œuvre de manufacture dans le monde vit et
travaille dans les pays du Sud » résume l’économiste
John Smith. Et cette hausse de la part des pays de la
périphérie s’est déployée sur fond d’une hausse
importante de la « main-d’œuvre mondiale effective
» entre 1980 et 2006 selon les propres chiffres du
FMI. Celle-ci est passée de 1,9 milliard en 1980 à
3,1 milliards en 2006. La recherche de gain sur le
coût de la main-d’œuvre étant le moteur des
délocalisations, les conditions de salaire et de travail
de ces nouveaux prolétaires sont généralement
calamiteuses. La baisse des capacités d’intervention
étatique, les réformes libérales du droit du travail, la
rapidité du processus d’exode rural, etc., qui sont des
effets logiques des programmes d’ajustement se
traduisent par une condition ouvrière désastreuse.
Le second trait est la destruction encore plus
massive de l’emploi agricole. L’ouverture des
marchés et la libéralisation du commerce extérieur
imposées par les plans d’ajustement structurel ont
ainsi fait chuter la part de l’emploi agricole dans la
population active des pays périphériques de 73 % en
1960 à 48 % en 20078. Il en découle une accélération
de l’exode rural et l’entassement d’une masse
grandissante de chômeurs à la périphérie des grandes
agglomérations. Ces emplois agricoles perdus
proviennent essentiellement de l’agriculture
familiale, la libéralisation du commerce extérieur
l’ayant mise en concurrence avec les grands groupes
de l’agro-alimentaire des pays dominants.
Le troisième trait est ce qui est communément
appelé la « fuite des cerveaux » c’est-à-dire en fait
l’importation par les centres dominants de la main-
d’œuvre qualifiée dont la formation a été financée
par les budgets nationaux des pays de la périphérie
dominée. Une des conditionnalités imposées par les
PAS est, en effet, la privatisation des services
publics qui sont depuis les indépendances le
principal employeur de la main-d’œuvre qualifiée.
Les chercheurs, enseignants, techniciens, médecins,
etc., des pays périphériques sont ainsi rapidement
jetés dans la précarité. Ils emprunteront nombreux
les chemins de l’émigration qui jusque-là ne
concernait essentiellement que la force de travail peu
qualifiée. Les chiffres sont parlants comme en
témoigne une étude de 2013 portant sur la « fuite des
médecins africains » vers les États-Unis : « La fuite
des médecins de l’Afrique subsaharienne vers les
États-Unis a démarré pour de bon au milieu des
années 1980 et s’est accélérée dans les années 1990
au cours des années d’application des programmes
d’ajustement structurel imposés par […] le FMI et la
Banque mondiale9. » Les médecins algériens ou
moyen-orientaux dans les hôpitaux français
témoignent du même processus en Europe.
7 Bernard Founou Tchuigoua, « L’échec de l’ajustement en Afrique », Alternatives Sud, n° 2, 1994, p. 7
8 Bureau international du travail, Indicateurs clés du marché du travail, Genève, 2007, chapitre 4.
9 Akhenaten Benjamin, Caglar Ozden, et Sten Vermund, Physician Emigration from Sub-Saharan Africa to the United States, PLOS
Medicine, volume 10, n° 12, 2013, p. 16.La taille de cet article ne permet pas de décrire
exhaustivement tous les traits du bouleversement des
structures sociales des pays de la périphérie dominés
par une mondialisation qui signifie de fait la
disparition de toutes les entraves au
néocolonialisme. Les trois mentionnées ci-dessus
suffisent cependant à en faire approcher l’ampleur et
le caractère durable des effets à court terme et à long
terme, dans les domaines économiques mais aussi
politiques, culturels, de cohésion sociale et
territoriale, etc.
4. Les effets du néocolonialisme mondialisé dans
les centres dominants
Comme dans tout système, les différentes parties
finissent progressivement par se mettre en
cohérence. Progressivement les politiques
migratoires des pays des centres dominants furent
transformées pour les adapter au néocolonialisme
mondialisé. Les possibilités légales d’émigration
furent ainsi quasiment réduites au regroupement
familial suscitant ainsi un volant de main-d’œuvre
sans papiers contrainte d’accepter une
surexploitation. Les secteurs et activités non
délocalisables comme le BTP, l’aide aux personnes
ou la restauration purent ainsi bénéficier d’une main-
d’œuvre à un coût record comparable aux coûts dont
bénéficiaient les entreprises délocalisées.
L’accompagnement idéologique sous la forme des
discours sur « l’explosion démographique africain »,
sur le danger d’une « ruée migratoire » ou d’un
grand remplacement, fut diffusé à grande échelle
afin d’éteindre les indignations possibles devant le
cynisme de la nouvelle politique migratoire. Il a en
outre l’avantage de légitimer la militarisation du
contrôle des candidats-réfugiés aboutissant à faire de
la Méditerranée un cimetière permanent à ciel
ouvert. Un autre visage des damnés de la terre
aujourd’hui est cette figure des damnés de la mer.
L’invention de la carte de séjour « talent » et la
thématique de « l’immigration choisie » est un autre
exemple de cette banalisation du cynisme dans la
politique migratoire. Elles viennent à point pour
justifier le « pillage des cerveaux » que nous avons
évoqué plus haut. Cette force de travail qualifiée qui
n’a rien coûté aux centres dominants peut compenser
le manque d’effectifs dans les services publics
produit par les politiques austéritaires depuis
plusieurs décennies. La crise du COVID a par
exemple mis en exergue que les services des
urgences étaient, pour une partie importante,
dépendants de cette main-d’œuvre étrangère. Bien
sûr, celle-ci est recrutée comme contractuelle c’est-
à-dire avec des conditions de salaires, de temps et de
condition de travail moindres. Ici aussi, le
néocolonialisme a des conséquences en termes de
régressions sociales.
Le capitalisme qui apparaît en Europe ne peut
fonctionner qu’en s’étendant. Ce faisant, il a, par la
violence de l’esclavage et de la colonisation, unifié
le monde sans pour autant l’homogénéiser. La
structuration du monde en centres dominants faisant
fonctionner à leur profit des économies
périphériques est un résultat inévitable de ce
capitalisme. C’est pourquoi le colonialisme peut se
définir comme étant la mise en dépendance du reste
du monde. Contraint par les luttes des peuples
colonisés à se transformer, il change de visage et
mute en néocolonialisme. La dépendance est tout
aussi importante mais se déroule sous de nouveaux
oripeaux. Cette mutation contrainte se traduit dans
un premier temps par une amélioration réelle des
conditions d’existence des peuples colonisés en
attente de terre, d’emplois, d’accès à la santé et à
l’éducation, etc. Le changement de rapport de force
mondial qui se déploie à partir des décennies 1980 et
1990 est l’occasion de revenir à la logique de
dépendance « pure » , c’est-à-dire débarrassée des
concessions faites sur la base du rapport des forces
de la séquence historique antérieure. Sans surprise,
reviennent avec cette dépendance « pure » tous les
maux de dépendance, à savoir paupérisation,
précarisation, baisse des conditions d’existence,
ruine de l’agriculture familiale, exode rural massif,
bidonvilles, etc. C’est ce système que nous
proposons d’appeler le néocolonialisme mondialisé
du fait de son lien avec la mondialisation capitaliste.
Mais cette mondialisation a également fait apparaître
de nouvelles puissances économiques comme les
BRICS permettant pour les néo-colonies d’élargir
leurs champs des possibles en matière de partenariat
économique. Le néocolonialisme est ainsi confronté
aux contradictions de sa propre mondialisation.
C’est ce que démontrent les difficultés françaises en
Centrafrique, au Burkina Faso ou au Mali. Mais cela
est déjà une autre histoire, une histoire en voie
d’écriture.
Saïd Bouamama est sociologue et militant du
Front uni des immigrations et des quartiers
populaires (FUIQP)

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