Plusieurs centaines de personnes ont probablement perdu la vie cette semaine dans le naufrage de leur embarcation en mer Méditerranée, au large de la Grèce. Une centaine de rescapé.es avaient été secouru.es au moment de l’envoi de cette lettre, et 78 corps sans vie avaient déjà été retrouvés. Mais le bilan risque d’être bien plus lourd : selon les survivant.es, le bateau, qui serait parti de Tobrouk, en Libye, le 9 juin, transportait entre 600 et 700 personnes, dont une centaine d’enfants – des ressortissant.es égyptien⸱nes, syrien⸱nes et pakistanais⸱es essentiellement.
Il s’agit de l’un des pires naufrages survenus entre l’Afrique et l’Europe ces dernières années. Il s’ajoute à une série de drames qui, depuis 2014 en Méditerranée, auraient coûté la vie à plus de 20 000 personnes, selon l’Organisation internationale pour les migrations (OIM). En avril dernier, l’ONU indiquait que le premier trimestre de 2023 avait été le plus meurtrier depuis 2017 : au moins 441 vies perdues ont été recensées – un chiffre en deçà de la réalité, selon l’OIM. Et encore, ces chiffres ne prennent pas en compte ceux d’un autre cimetière marin : l’océan Atlantique. Selon les estimations de l’ONG espagnole Caminando Fronteras, entre 2018 et 2022, 7 865 personnes originaires de 31 pays, dont 1 273 femmes et 383 enfants, auraient trouvé la mort en tentant de rejoindre les îles Canaries depuis l’Afrique de l’Ouest.
Dans un exercice devenu aussi banal que cynique, les dirigeants européens font mine de s’émouvoir quand de tels drames font la une. La France, par la voix de son ministère des Affaires étrangères, a exprimé « sa profonde tristesse » et présenté « ses condoléances aux familles des victimes » après le dernier naufrage. Des larmes de crocodile car, dans le même temps, elle se dit « déterminée à poursuivre, avec responsabilité et solidarité, le travail engagé avec ses partenaires européens sur les questions migratoires ». Autrement dit : à poursuivre, avec l’Union européenne et son agence de gardes-frontières, Frontex, sa politique migratoire qui se résume en deux mots : inhumanité et lâcheté.
En fermant ses frontières aux exilé⸱es (sauf lorsqu’ils et elles sont ukrainien⸱nes…), en les traquant sur terre et en refusant de les secourir en mer, mais aussi en tentant de les cloîtrer dans leur propre pays via la sous-traitance de la répression et en refusant quasi systématiquement d’accorder des visas, y compris pour à celles et ceux qui, dans le passé, les obtenaient relativement facilement, les États européens sont responsables de ce qu’il est convenu d’appeler un massacre sur le temps long.
L’exemple ukrainien a démontré que « quand on veut [accueillir], on peut ». Et pourtant, dès lors qu’il s’agit d’exilé⸱es noir⸱es ou arabes, les dirigeants politiques prétendent qu’« on ne peut pas accueillir toute la misère du monde ». Ce crime de l’Europe contre (presque) tous les réfugié⸱es du monde est un crime raciste.