Le 12 janvier 1920, le paquebot Afrique fait naufrage au large de la Nouvelle Aquitaine. 568 passagers en meurent dont 192 tirailleurs sénégalais, oubliés parmi les oubliés.
Plusieurs actions de médiation autour de cette affaire :
– Plaidoyer pour réhabiliter les tirailleurs naufragés signé par de nombreux parlementaires français en 2016
– Réalisation Exposition « Mémorial des tirailleurs naufragés » en 2018
– Réalisation d’une fresque en hommage aux tirailleurs naufragés par l’artiste A-MO Bordeaux sur les quais des Chartrons en 2020
– Centenaire du naufrage du paquebot Afrique en 2020
🇨🇵 Retrouvez la cérémonie annuelle ce Vendredi 12 janvier à 12h30 sur les Quais des Chartrons
Tirailleurs naufragés : qu’ils soient déclarés morts pour la France ! – Jeune Afrique
Ancrage en profite pour republier ci dessous l’article à propos du naufrage du paquebot Afrique.
Histoire d’un naufrage oublié : celui du paquebot l’Afrique parti de Bordeaux en janvier 1920 à destination du Sénégal avec près de 600 passagers à son bord avant de sombrer quarante-huit heures plus tard en face de l’île de Ré. 36 passagers ont réussi à sauver leur peau. Parmi les victimes, 178 tirailleurs sénégalais qui rentraient dans leurs pays, seuls 13 ont survécu. L’histoire a longtemps fait l’impasse sur ce versant noir du naufrage, la guerre finie, la peau des tirailleurs ne valait pas grand-chose. L’association franco-sénégalaise Mémoires et Partages animée par Karfa Sira Diallo met tout en œuvre pour réhabiliter leur mémoire. En particulier, une exposition retraçant l’histoire du naufrage, proposée en janvier 2018 dans les locaux du Conseil régional de Nouvelle-Aquitaine à Bordeaux.
Zana Fogo Ouattara, Cire Bakari, Kiba Coulibaly, quelques-uns des 178 tirailleurs sénégalais qui avaient pris place à bord de l’Afrique, ce paquebot qui a quitté le port de Bordeaux le vendredi 9 janvier 1920. Ils s’ajoutent à une longue liste où l’on trouve Henri Baudelaire dont on ignore s’il eut une parenté avec Charles, Julia Bonus, qu’on imagine une jolie jeune femme de 30 ans, Alphonse Desprez, un gamin de 6 ans plein d’énergie et encore Simone Ecalle, 2 ans accompagnée de ses parents Julie et Jean, 39 et 38 ans. Ils font partie des anonymes ou presque qui vont périr 48 h plus tard, noyés quand ce paquebot a coulé. Quelques noms de victimes ont traversé le temps : Mgr Hyacinthe Jalabert, évêque de Dakar, Antoine Le Du, 43 ans, de Paimpol, capitaine qui dans la grande tradition sombrât avec son navire et presque tous ses passagers.
Janvier 20, l’armistice a été signé depuis plus d’un an à Rethondes, la guerre est finie, la vie tente de reprendre ses droits après l’absurde boucherie qui a saigné les campagnes françaises et aussi les colonies, cette force noire pensée dès 1910 par le colonel Mangin, préconisant l’utilisation rapide et massive des troupes coloniales issues de l’Afrique noire, principalement les tirailleurs sénégalais. (1) Entre 14 et 18, ils seront 200 000 requis sur les champs de bataille dont 135 000 ont combattu en Europe. 30 000 y perdirent la vie. Mais en ce début 1920, la vie et les affaires reprennent. A bord du paquebot des Chargeurs Réunis en route pour Dakar et les ports des colonies françaises de l’Afrique de l’Ouest, 600 personnes environ dont 135 hommes d’équipages, 282 passagers entassés dans des cabines prévues pour 224 et 192 tirailleurs sénégalais. Ces derniers qui ont principalement participé à la bataille -perdue- des Dardanelles puis à celle -gagnée- de Salonique, ont été démobilisés tardivement et s’apprêtent donc à regagner leur pays respectif. Côté passagers civils, outre l’évêque et quelques missionnaires, des fonctionnaires, des commerçants et des officiers qui partaient rejoindre leur poste et leur affection dans les colonies. (2)
Le paquebot qui longe les façades 18e du port de Bordeaux, ce soir d’hiver est relativement récent, il a été construit en 1907. Navire mixte, il transporte aussi du fret estimé à 500 tonnes, produits manufacturés, colis postaux, du champagne aussi…Le navire atteint la pleine mer le lendemain mais la remontée de l’estuaire s’est déjà mal passée, pannes, incidents, il prend déjà l’eau et la suite est une succession d’avaries qui le mène vers une issue inéluctable. Un drame bien documenté grâce aux témoignages des survivants. Pour faire court, la première voie d’eau dont l’origine restera un mystère, l’Afrique a-t-il heurté une épave ? inonde successivement toutes les machines les neutralisant et rendant le navire ingouvernable. La mer est si mauvaise que les navires, notamment les remorqueurs alertés par radio ne purent s’approcher, même pas le Ceylan, un cargo postal, gros navire affrété aussi par les Chargeurs. Le paquebot est livré au hasard de la fureur de Neptune, toutes les tentatives pour le mettre à l’abri à La Pallice sont vaines, la coque de noix dérive jusqu’à heurter à plusieurs reprises le bateau-feu de Rochebonne situé à 35 milles au large de la pointe des Baleines sur l’île de Ré. Coup de grâce pour le bateau-phare qui part par le fond, l’Afrique poursuit sa dérive encore plus blessée au flanc et à 3h du matin, ce 12 janvier 1920, il annonce qu’il coule. La suite est racontée par Georges Métayer, l’un des survivants, extrait d’un témoignage publié par Le Nouvelliste du Morbihan du 18 janvier 1920 :« Le commandant ordonna la mise à l’eau des embarcations de sauvetage. Les passagers qui semblaient toujours ne se rendre nullement compte du sort qui les attendait, refusèrent d’y prendre place, déclarant pour la plupart se sentir davantage en sécurité à bord du navire, malgré la situation dans laquelle il se trouvait. Aucune espèce de panique ne se produisit à aucun moment. C’est volontairement que les victimes n’abandonnèrent pas l’Afrique.
Seuls les Sénégalais, entassés dans un coin du pont, geignaient en remuant dans leurs mains leurs grigris, en faisant des prières. Des missionnaires priaient aussi, et c’était un spectacle étrangement émouvant que celui de ces hommes communiant dans une même pensée d’espérance, malgré leurs fois diverses. » La suite est moins documentée mais pas moins effroyable. La plupart des baleinières, les canots de sauvetage, ne peuvent être mis à l’eau tant la tempête est violente, une partie des hommes d’équipage et quelques tirailleurs moins peureux que les passagers empruntent les canots chahutés mais il n’y eut au final que 36 survivants, pas une seule femme ni un seul enfant et un seul passager civil, Georges Métayer l’auteur du témoignage ci-dessus. On ne sait rien de la violence des derniers moments des 560 victimes, hors que l’évêque a dit une dernière messe, ultime viatique pour l’en dessous. L’océan mis plusieurs mois pour rendre les corps des cadavres sur les plages de Vendée. La plus grande catastrophe maritime française fit l’objet de plusieurs procès en responsabilité, la compagnie blanchie puis l’équipage aussi, on ne connut jamais les vraies raisons du naufrage, mauvaise entretien du bâtiment ? Quel rôle a joué le crassier resté à fond de cale et qui a obstrué les pompes à eau quand il a fallu vider des compartiments lors de la première avanie ? Quid de l’obstination du capitaine qui n’a pas voulu faire demi-tour quand il en était sans doute encore temps ? Près d’un siècle plus tard, la carcasse de l’Afrique gît toujours par une cinquantaine de mètres de fond avec ses secrets et sans doute ses trésors, les 30 millions de franc-or que possédait l’évêque Jalabert, un don du pape pour construire une cathédrale à Dakar, les coffres du navire contenaient aussi 20 millions de francs en billet destinés à des compagnies.
JF Meekel
Ancrage Juillet 2018
1: La Force Noire est le titre d’un livre dans lequel Charles Mangin théorise l’utilisation des troupes coloniales. Mais la notion de tirailleurs sénégalais est bien plus ancienne, elle date de la création en 1857 du premier régiment de tirailleurs africains, au Sénégal d’où leur appellation de tirailleurs sénégalais mais qui comptaient des hommes venus d’Afrique noire, les Dogues noirs de l’Afrique comme les nommait Léopold Sedar Senghor.
2: Le paquebot devait faire escale à Conakry (Guinée), Cotonou (Bénin), Dakar (Sénégal), Douala (Cameroun), Grand Bassam (Côte d’Ivoire), Libreville (Gabon), Matadi (Congo), Swallaba (Cameroun).