Le député du Val-de-Marne Michel Herbillon était propriétaire d’un box de parking insalubre et sans fenêtres dans lequel a vécu un jardinier pendant des années, selon une enquête de Mediapart. L’homme est décédé dans le plus grand dénuement à l’âge de 76 ans. Le député n’a pas répondu à nos questions.
14 janvier 2024 à 16h06
SaSa vie ne se résume désormais qu’à un bout de papier. Un acte de décès dressé par une officière d’état civil de la mairie de Châtenay-Malabry, le 19 avril 2022. Deux semaines plus tôt, Raymond Sebas était retrouvé mort sur un trottoir de cette commune des Hauts-de-Seine, l’un des départements les plus riches de France. À 76 ans, cet homme n’avait pas de famille connue, pas d’ami·es, personne pour raconter précisément d’où il venait, ni qui il était.
La vie de Michel Herbillon, elle, s’étale déjà sur des pages entières de l’histoire politique française. À 72 ans, cet ancien cadre dans le secteur privé a enchaîné les mandats locaux et nationaux : maire de Maisons-Alfort de 1992 à 2017, conseiller général du Val-de-Marne de 1989 à 1998, élu à la Métropole du Grand Paris de 2017 à 2022, et député depuis 1997. En avril 2022, au moment de la mort de Raymond Sebas, Michel Herbillon est en campagne pour sa réélection à l’Assemblée, pour la sixième fois consécutive. Deux mois plus tard, la droite salue la nouvelle victoire de ce gaulliste convaincu, qui devient l’un des doyens du Palais-Bourbon.
Sur la rue Charles-de-Gaulle, à Châtenay-Malabry, un monument a été dressé en l’honneur du Général. C’est précisément à cet endroit que la boulangère de la boutique d’en face a découvert, dimanche 3 avril 2022, à 7 heures du matin, le corps inerte de Raymond Sebas. Elle a reconnu cet homme qui venait régulièrement acheter un café chaud. Il était face contre terre ; elle l’a retourné sur le dos en attendant l’arrivée des secours. Les pompiers ont tenté de le ranimer. Le septuagénaire était déjà mort, foudroyé par une crise cardiaque. À côté du buste de Charles de Gaulle, on peut lire cette citation du Général en lettres capitales : « TOUTE MA VIE, JE ME SUIS FAIT UNE CERTAINE IDÉE DE LA FRANCE ».
L’Hexagone a connu deux vagues de froid à l’hiver 2021-2022. En décembre puis janvier, les températures sont descendues jusqu’à − 6 °C à Châtenay-Malabry, selon les bilans de Météo-France. Raymond Sebas ne s’en est jamais plaint, même s’il passait ses journées dehors. Malgré son âge, celui que l’on appelait « Monsieur Raymond » travaillait encore comme jardinier. Tous les matins, il traversait à pied le parc de Sceaux pour aller chez ses clients, propriétaires de pavillons. Il traînait ses outils dans un chariot.
Le 22 février 2022, Michel Herbillon dépose à l’Assemblée nationale une proposition de loi visant à « faire reconnaître la dignité des personnes âgées dépendantes » comme une « grande cause nationale ». « Le respect de la dignité de la personne humaine constitue la base même des droits fondamentaux. Ce principe implique de ne pas réduire l’être humain à son corps en le traitant comme un objet. Il exige également que les besoins vitaux de la personne soient assurés », défend-il dans l’exposé des motifs. Le député insiste aussi : « Prendre conscience de la dignité de la personne âgée, c’est prendre conscience qu’elle reste un être humain à part entière. »
Raymond Sebas travaillait pour 15 euros de l’heure. Pour l’entretien de son jardin, Nadine* lui donnait 60 euros chaque mercredi. Cette formatrice en télécommunications, 59 ans, pleure quand elle se souvient de « Monsieur Raymond », un homme « extrêmement attentionné », qui s’occupait de ses plantations, « peu importe le temps ». Nadine tenait à ce que l’emploi du septuagénaire soit déclaré, en Cesu (chèque emploi service), mais elle le payait en liquide. Le vieil homme lui avait fait comprendre qu’il avait besoin de cash pour louer un « garage » au noir. Certains clients faisaient parfois des chèques à Raymond Sebas, mais ceux-ci n’étaient pas débités, laissant penser qu’il n’avait pas de compte bancaire. Sophie*, une concierge travaillant pour une famille qui avait fait appel au jardinier sans le déclarer, se souvient que le vieil homme était « fatigué » et avait des « pantalons un peu déchirés ».
En tant que député, Michel Herbillon touche une indemnité de 7 605,70 euros brut (de l’argent public) chaque mois. En 2022, il a aussi perçu 1 676 euros net pour son mandat à la Métropole du Grand Paris, ainsi que 6 840 euros en tant que président de l’Association du Grand Ensemble Liberté-Vert de maisons, un organisme qui regroupe quatre bailleurs sociaux gérant un parc de plus de 2 800 logements sociaux. À l’Assemblée nationale, l’élu Les Républicains (LR) dénonce régulièrement les « marchands de sommeil », qui offrent des conditions d’habitat « indignes ». En 2010, il proposait de créer une astreinte financière pour obliger ces propriétaires véreux à réaliser des travaux.
Quand le décès de Raymond Sebas a été constaté, une policière du commissariat de Châtenay-Malabry a découvert un trousseau de clés sur lui, dont celui du fameux « garage » qu’il louait, au sous-sol de la résidence Voltaire. « Monsieur Raymond » n’y entreposait pas que ses outils ; c’était sa maison. Dans ce box d’une dizaine de mètres carrés, sans fenêtres, le septuagénaire dormait sur un lit de fortune (deux petits matelas mis bout à bout sur une planche), avec un rideau et un petit radiateur d’appoint. Des bouteilles de jus de fruits, des boîtes de petits pois, un paquet de purée et des briques de lait étaient stockés sur plusieurs étagères. La cave était sale, il y avait même des excréments dans un coin.
Dans l’hémicycle, le député Herbillon alerte avec gravité sur le « poids de la solitude et de l’isolement » des personnes âgées. Le 17 juin 2020, il interpelle le secrétaire d’État auprès de la ministre des solidarités et de la santé de l’époque, Adrien Taquet, sur les conséquences des restrictions de visite dans les Ehpad à cause du Covid. « Il y a urgence, car le moral de nos aînés est au plus bas. Il y a urgence à ce que notre société leur porte l’attention et l’affection qu’ils méritent de recevoir, développe-t-il. C’est une question de dignité. »
La policière de Châtenay-Malabry n’a pas réussi à savoir depuis quand Raymond Sebas était logé dans le box. Un autre jardinier, qui l’a côtoyé sans jamais lui poser de questions, pense qu’il est arrivé autour de 2008. Le gardien de la résidence parle de « plusieurs années » mais affirme, pour écourter la conversation, qu’il a toujours eu un « problème avec les dates ». Fuyant, il confirme toutefois, au détour d’une phrase, que c’est lui qui a mis en relation Raymond avec le propriétaire du box. « Il a passé le confinement à l’intérieur, c’est sûr », avance un troisième témoin.
Dans le box de la résidence Voltaire, une boîte contient des photos montrant « Monsieur Raymond », bien plus jeune et souriant, en compagnie d’autres personnes. S’il restait toujours discret avec ses clients, le jardinier faisait parfois allusion à sa vie d’avant, à un travail qu’il aurait eu dans l’industrie automobile, à une femme et une fille, une sœur qui aurait vécu dans les Hauts-de-Seine… La police n’a pas réussi à retrouver de proches. La dépouille de Raymond Sebas a été inhumée au cimetière de Châtenay-Malabry, après que quelques connaissances eurent été alertées du décès et se furent rassemblées pour lui organiser des obsèques. Le père François, curé de la paroisse de Fontenay-aux-Roses, est venu pour dire quelques mots.
Le propriétaire du box de « Monsieur Raymond » était Michel Herbillon. Le député n’était pas à l’enterrement.
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Boîte noire
Mediapart a enquêté sur le décès et les conditions de vie de Raymond Sebas pendant plusieurs semaines, sur la base de documents et de témoignages recueillis à Châtenay-Malabry (où il vivait et est décédé) et à Sceaux (où il travaillait).
Malgré nos recherches, nous n’avons pas réussi à retrouver des membres de sa famille ou des anciens proches. Sollicité, Emmaüs France n’a pas trouvé de trace de son passage dans une de ses communautés, piste évoquée par des témoins de sa fin de vie.
Nous avons fait le choix de donner son identité complète et de publier une des photos d’archives qu’il avait conservée avec lui dans l’espoir qu’un lecteur ou une lectrice le reconnaisse et prenne attache avec nous. Nous avons en revanche choisi de ne pas donner l’identité des témoins avec lesquels nous avons échangé, ne s’agissant pas de personnalités publiques. Nadine* et Sophie* sont donc des prénoms d’emprunt.
Contacté à de multiples reprises, le député Michel Herbillon n’a donné suite à aucune de nos sollicitations, malgré notre insistance et nos nombreuses relances auprès de lui et de ses équipes.