Il fait partie de cette nouvelle génération d’Afghans qui s’est épanouie sans les talibans depuis 2001 et qui a dû fuir pour sauver sa vie en 2021 : photographe et peintre, Mohsin Taasha a trouvé refuge à Marseille, où le Mucem avait exposé son travail il y a deux ans.
Mohsin n’a que 30 ans et il vit déjà son second exil à cause des talibans. Né en 1991, il avait fui les “étudiants en religion” une première fois lorsqu’il était enfant pour aller vivre au Pakistan avec sa famille entre 1996 et le début des années 2000. Après l’invasion de son pays par les États-Unis et l’Otan, il était rentré chez lui où il était devenu artiste : photographe et surtout peintre. En août, il a dû s’enfuir de nouveau mais vit cette fois à Marseille où il espère continuer son métier.
Fuir Kaboul face aux assassinats ciblés
Mohsin Taasha nous reçoit dans sa petite chambre à l’étage d’une villa de La Friche la Belle de Mai. Cette ancienne friche industrielle à deux pas de la gare Saint-Charles propose habituellement des résidences d’artistes et elle a pu mettre à disposition des logements pour des exilés afghans : Mohsin est l’un d’eux. Il vit avec sa femme photographe, exilée elle aussi, au milieu des quelques affaires qu’ils ont pu emporter avec eux.
Je me sens déjà chez moi à Marseille. Je suis heureux car je croise beaucoup de nationalités ici, Marseille est une ville très diverse ! C’est un endroit où je me sens libre et en sécurité.
Mohsin Taasha faisait partie des artistes afghans dont le travail a été exposé par le Mucem il y a deux ans lors d’une exposition consacré à cette nouvelle génération d’artistes. Il doit son sauvetage à la commissaire de cette exposition, Guilda Chahverdi, qui a remué ciel et terre cet été pour rapatrier les personnes bloquées à Kaboul.
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Nous avons fait de notre mieux pour améliorer la vie là bas : avec notre art, avec ce que chacun savait faire. Tout cela n’est plus qu’un rêve, c’est terminé… Nous avions des cafés, des restaurants : les gens y retrouvaient leur petit(e) ami(e), il y avait des artistes, des intellectuels, des activistes… Mais notre quotidien était aussi constitué d’attentats à la bombe, de meurtres et tout a basculé ces trois derniers mois, quand les talibans ont commencé des assassinats ciblés. Deux de nos amies ont été tuées, elles avaient 22 et 23 ans, elles étaient photographe et actrice et ont été tuées dans l’explosion de leur voiture. Tout a changé à ce moment là.
Mohsin, ses amis et sa famille prennent alors conscience qu’ils sont ciblés par les talibans et décident de s’en aller. Sa famille est quelque part en Europe et sa femme l’a accompagné.
La “Renaissance du Rouge” : une série d’œuvres sur le retour des talibans
Il réussit à embarquer à bord de l’un des derniers vols réguliers qui partent de Kaboul, le 12 août. Quelques jours seulement avant la chute de la ville aux mains des talibans le 15 du mois.
Dans sa fuite, il parvient à emporter une partie de ses œuvres, une quarantaine de toiles qu’il protège tant bien que mal dans des emballages en papier : “Ce que vous voyez là représente trois ans de travail… Je suis chanceux d’avoir pu le sauver”.
Diplômé de l’université de Lahore au Pakistan, il entame en 2017 une nouvelle série de peintures pour raconter la violence de son pays, ou plutôt le retour de cette violence.
Après le 11 septembre, on espérait que tout allait changer : le monde s’occupait de nous, la démocratie s’installait, nous allions avoir une vie meilleure. Et ça a été le cas ! Mais à partir des années 2010, du début du retrait des troupes américaines et du retour des talibans, cette violence est revenue, comme avant… J’ai alors commencé une nouvelle série d’œuvres que j’ai appelée “La Renaissance du Rouge” pour raconter cela. Le retour du sang, comme dans toute notre histoire auparavant.
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Ses tableaux représentent des silhouettes humaines drapées de rouge, anonymes, souvent courbées et accablées. Dans sa dernière série, il y représente aussi les pays impliquées dans la guerre en Afghanistan : la France, les États-Unis, le Royaume-Uni, l’Iran…
Celui-ci représente la France, avec le drapeau : au premier plan, les victimes apportent leurs morts aux pays impliqués. Ils demandent de l’aide et montrent leurs morts, les victimes d’Afghanistan. Le monde devrait voir ces victimes…
L’une de ces figures pourrait être Mohsin Taasha, aujourd’hui artiste exilé et recueilli en France. Il espère un jour rentrer dans son pays mais n’a qu’une hâte en attendant : travailler sur son art. “Un artiste est là pour explorer”, dit-il.