Djanina Messali-Benkelfat avec son père Messali Hadj.Collection particulière Djanina Messali-Benkelfat. 17 mar 2022 Mise à jour 17.03.2022 à 16:20 par Pierre Desorgues
Djanina Messali-Benkelfat, née à Alger en 1938 est la fille de Messali Hadj, père du nationalisme algérien, et d’Émilie Busquant, la conceptrice du drapeau de l’Algérie. Son père aura vécu 76 ans et n’aura connu que 25 ans de liberté. Enfant, Djanina Messali-Benkelfat a grandi dans les parloirs des prisons d’Alger. Traqué par les indépendantistes du FLN, persécuté par les gouvernements français, Messali Hadj est une figure oubliée de l’histoire de la lutte pour l’indépendance de l’Algérie. Témoignage.
TV5MONDE: D’où venait votre père ? Quelle était son origine sociale ? Et à partir de quel moment il commence à militer dans sa jeunesse pour l’indépendance de l’Algérie ?
Djanina Messali-Benkelfat : Messali Hadj vient de Tlemcen (à l’est de l’Algérie) d’une famille d’origine ottomane (l’Algérie était une province de l’empire ottoman de 1518 à 1830, ndlr) qui s’est paupérisée avec la colonisation française. C’est d’ailleurs un motif de prise de conscience de ce qu’est le colonialisme. Il avait des oncles qui tenaient des épiceries. Il a fait un peu tous les métiers. Djanina Messali-Benkelfat a livré son récit sur la vie de son père dans son ouvrage, “Une vie partagée avec Messali Hadj, mon père”. Riveneuve éditions.
Il va à l’école jusqu’à 14 ans. Il fait en France son service militaire. Il se retrouve ensuite à Paris. Il milite au sein du parti communiste à Paris. Il fréquente alors tous les meetings que le parti communiste organisait.
TV5MONDE : quel est son premier grand fait d’arme politique dans la lutte pour l’indépendance ?
Alors qui est Messali Hadi ? En 1927, à Bruxelles devant des mouvements que l’on qualifiera plus tard de tiers mondistes il se prononce pour les indépendances en Afrique du nord (le Parti communiste organise un congrès anticolonial à Bruxelles, ndlr).
Il représentait alors l’Étoile nord africaine. Celle-ci est alors un parti satellite du parti communiste et finira par sortir de son giron au moment du stalinisme. Et personne n’avait demandé alors l’indépendance de l’Algérie. Personne ne s’était opposé comme cela au colonialisme. L’homme politique engagé pour libérer l’Algérie à partir de 1927 c’est Messali Hadj.
Messali Hadj né à Tlemcen en 1898 et mort à Gouvieux en France, dans l’Oise en 1974. Il est l’un des pères du nationalisme algérien. Dès 1927, il réclame l’indépendance de l’Algérie. Il est le fondateur du Parti du peuple algérien (PPA), du Mouvement pour le triomphe des libertés démocratiques, le MTLD et du Mouvement national algérien (MNA). Messali Hadj crée le MNA dans un contexte de lutte fratricide engagée contre le FLN. Il échappe de peu à une tentative d’assassinat du FLN en 1959. Il meurt en exil en France.
TV5MONDE : Pourquoi le 2 août 1936 à Alger est une étape importante dans la lutte pour l’indépendance de l’Algérie ?
Le 2 août 1936 est une date méconnue en Algérie aujourd’hui. Pourtant c’est une date capitale. Pour la première fois dans un stade plein, un Algérien va prendre la parole pour demander l’indépendance de l’Algérie. C’est Messali Hadj. Il arrive de Paris. Il est alors à la tête de l’Étoile nord-africaine, un vrai parti politique, un drapeau, des stauts et un journal, El Ouma.
L’Étoile nord-africaine (ENA) est une association fondée en France en 1926 par un noyau de travailleurs immigrés algériens, devenue par la suite un parti politique. Il réclame l’indépendance de l’Algérie. En 1937, il est dissout par les autorités françaises. Ses dirigeants dont Messali Hadj sont poursuivis. Le parti est à l’origine du drapeau actuel de l’Algérie.
En Algérie les militants vendent El Ouma. Ils vont prévenir la direction du parti à Paris de la tenue d’un meeting très important à Alger. Celui-ci doit expliquer que les propositions de Blum-Violette constituaient une avancée, à savoir la possibilité de donner aux élites algériennes de devenir Français (le projet de loi de 1936 dit projet Blum-Violette accordaent la nationalité française à 25 000 musulmans de l’élite algérienne, ndlr). Le rassemblement devait faire en sorte que les membres de ce congrès votent dans ce sens.
Ce 2 août 1936, Messali Hadj va prendre une poignée de terre. Et il dira en français et en arabe : “Cette terre n’est pas à vendre”. La foule, dans le stade va l’acclamer.
Djanina Messali-Benkelfat, fille de Messali Hadj.
Messali Hadj n’est pas invité à ce congrès, composé de notables, comme le leader politique, Fehrat Abbas, qui n’était pas pour l’indépendance immédiate. Ces gens font leurs petites affaires avec les institutions coloniales. Ils sont en bonnes relations avec celles-ci. L’indépendance, ma foi, ça ne les intéressait pas. C’était trop lointain. Et le parti communiste en Algérie n’était pas pour l’indépendance. Le PCA était pour la paix en Algérie, mais pas pour l’indépendance de l’Algérie. Messali Hadj, au palais de justice d’Alger dans les années 30.Domaine public.
Messali Hadj arrive donc avec ma mère Emilie Busquant et mon frère Ali. Il va demander au congrès si il y a une possibilité de s’adresser à cette foule parce que lui a quelques idées à formuler sur le projet Blum-Violette.
On lui donne dix minutes pour s’exprimer. Le stade est plein. À ce moment là, il va créer un silence. Il va prendre une poignée de terre. Il va la tenir dans son poing fermé.
Et il dira en français : “Cette terre n’est pas à vendre”. Et il le dira en arabe également. Et là il va y avoir un temps mort, un silence et la foule va l’acclamer. Et il va être porté en triomphe à Alger de Bellecourt jusqu à la place du gouvernement Il sera ensuite livré au commissariat.
Sur les 76 ans de son existence, Messali Hadj n’aura connu que 25 ans de liberté.
Djanina Messali-Benkelfat, fille de Messali Hadj.
Le 2 août 1936, c’est la première fois que le peuple d’Alger donne son sentiment sur le projet d’indépendance. C’est à ce moment qu’il y a une forme de conscientisation du peuple algérien.
TV5MONDE : Votre père va connaître rapidement la prison.
Les autorités coloniales vont vouloir tuer dans l’oeuf toute forme de contestation. Sur les 76 ans de son existence, Messali Hadj n’aura connu que 25 ans de liberté. En 1942, il est au bagne de Batna près de la frontière tunisienne. Le bagne était une construction ancienne avec des tours et des pavés sur lesquels les prisonniers se tordaient les chevilles.
On vous amène vos proches. Ils sont rasés complètement. Ils sont enchaînés. IIs sont entravés au pied. Et quand ils avancent, ça fait du bruit. On entend le bruit des chaînes. Imaginez l’effet sur une une enfant de quatre ans et un petit garçon de dix ans.
Djanina Messali-Benkelfat, fille de Messali Hadj.
J’ai des souvenirs d’enfance de cela. Ma mère Emilie Busquant était française et donc elle a pû avoir des papiers pour lui rendre visite. Elle savait tenir la dragée haute à cette administration française qui était d’une hostilité impensable. Il fallait apporter de la nourriture. Nous étions en pleine Seconde guerre mondiale avec ses restrictions. Les militants nous donnaient un peu de nourriture. Et là, on arrivait en gare de Batna.
Il était 5 h du matin dans la neige et il fallait aller à cette prison qui était encore à quelques kilomètres de la gare. Il faut franchir des grilles et des grilles. Et on vous met dans un parloir avec une table immense avec un banc d’un côté et un banc de l’autre. Et là on vous amène vos proches. Ils sont rasés complètement. Ils sont enchaînés. iIs sont entravés au pied. Et quand ils avancent, ça fait du bruit. On entend le bruit des chaînes. Imaginez l’effet sur une enfant de quatre ans et un petit garçon de dix ans.
TV5MONDE : Durant les années de captivité de votre père, c’est votre mère Emilie Busquant, une Française qui prennait en main l’activité militante et politique ?
Ma mère prenait la direction de l’Étoile nord africaine quand la direction du parti était incarcérée. Elle pouvait les remplacer au pied levé. Elle avait un sens politique développé. C’était était une vraie militante. Dans son cœur de française, en s’adressant aux Algériens, il n’y avait pas de limite dans la lutte pour la liberté. Émilie Busquant (1901-1953), photo prise dans les années 30, a été une militante de l’indépendance de l’Algérie au coté de Messali Hadj.DR.
Elle était ouverte à ces idées là. Ma mère, il faut le rappeler, est à l’origine de la confection du drapeau algérien. En 1934 dans une chambre de bonne du XXème arrondisement de Paris elle a cousu pour la première fois le drapeau algérien, présenté au congrès de l’Étoile nord africaine. Elle était de toutes les luttes. Et elle signait des pétitions pour libérer tout le monde. Elle était complètement en adéquation avec Messali Hadj. Donc ils étaient inséparables. C’était un binôme.
Ma mère, Émilie Busquant, il faut le rappeler, est à l’origine de la confection du drapeau algérien dans une chambre de bonne en 1934.
Djanina Messali-Benkelfat, fille de Messali Hadj.
Elle est allée jusqu’au bout de ses forces. Elle est morte en1953. Son corps a été placé pendant trois jours dans une chapelle ardente et des milliers de gens sont venus se receuillir.
Les femmes étaient aux fenêtres scandant des youyous. On a déposé son cercueil avec le drapeau algérien. Le cortège est passé devant le port. On a été bouleversé par la réaction qu’ont eu les dockers d’Alger qui la connaissaient parce qu’elle a été de toutes les luttes.
Et bien ils ont arrêté le travail. Ils sont venus s’incliner devant son cercueil et là à ce moment les bateaux du port d’Alger se sont mis à faire retentir leurs sirènes. Ça a été un moment très émouvant.
TV5MONDE : Les années de captivité et de résidence surveillée vont continuer après la Seconde guerre mondiale et durant la guerre d’indépendance (1954-1962)
Messali Hadj était un homme dangereux pour les gouvernants français qui ne voulaient pas négocier une indépendance avec Messali Hadj. Par exemple lorsqu’il est retrouvé en résidence surveillée en 1943 sur les hauts plateaux en Algérie, le géneral de Gaulle qui avait son gouvernement provisoire à Alger en 1943-1944 voullait rencontrer les notables. Il ne pouvait pas faire autrement que de recevoir Messali Hadj. Et celui-ci est sorti de sa résidence surveillée, il réitèra son message sur la nécessité de l’indépendance de l’Algérie.
Il est renvoyé par la suite en résidence surveillée à Insalah non loin du Mali. Les services secrets français avaient pénétré le mouvement et donc il se retrouvait régulièrement en prison ou en résidence surveillée.
Le FLN a voulu éliminer physiquement Messali Hadj. Pratiquement tous les responsables du MNA, le parti politique de Messali Hadj, ont été assassinés par des militants du FLN.
Djanina Messali-Benkelfat, fille de Messali Hadj.
TV5MONDE : La guerre d’indépendance est aussi une période où le FLN cherche à éliminer votre père.
Ne pouvant pas éliminer le programme de Messali Hadj, le FLN a voulu l’éliminer physiquement. Pratiquement tous les responsables du MNA, le parti politique de Messali Hadj, ont été assassiné par des militants du FLN. Ceux que l’on appelaient les tueurs du FLN ont tenté d’assassiner Messali Hadj à Louvieux en 1959 où il était en résidence surveillée. Messali Hadj à Gouvieux durant ses années d’exil.Domaine public.
Le FLN voulait sa perte parce qu’il avait un tel charisme, parce que c’était un grand homme politique. Il faisait peur à tout le monde, aux gouvernements français et au FLN. Et c’est dommage parce qu’il a manqué à l’Algérie. Durant cette période de la guerre, j’ai pris la suite de ma mère. J’avais un rôle plus technique que politique. Il n’avait plus que moi à cette époque là comme assistance.
TV5MONDE : Comment vous et votre père avez appris l’annonce du cessez-le feu et les accords d’Évian du 18 mars 1962 entre les représentants du FLN et le gouvernement français ?
Nous avons pris cela positivement. Les accords d’Evian sont un début d’ouverturepour accéder à l’indépendance. Mais il fallait que tout le monde soit concerné. Le gouvernement français qui voulait garder une main mise sur le Sahara s’est à un moment tourné vers Messali Hadj. Celui-ci rappelera qu’il n’est pas une “roue de secours”.
Lors de la reconnaissance de l’indépendance par la France le 3 juillet 1962, nous étions heureux. Nous avons reçu beaucoup de gens autour d’un grand couscous. Messali Hadj a dit très simplement que “si l’Algérie aujourd’hui est indépendante. Nous y sommes un peu pour quelque chose”.
TV5MONDE : Et vous personnellement quelle a été votre réaction ? Et quel regard portez vous sur l’Algérie d’aujourd’hui ?
Pour moi, cela n’était pas fini. Le peuple algérien attendait quelque chose avec l’indépendance. Et lorsqu’on a connu les années de gloire de la lutte pour l’indépendance et que l’on voit l’état de l’Algérie aujourd’hui, soixante ans plus tard on est extrêmement peiné.
Il va falloir que les Français et les Algériens se regardent les yeux dans les yeux pour se dire ce qui s’est exactement passé.
Djanina Messali-Benkelfat, fille de Messali Hadj.
TV5MONDE : Comment percevez-vous la question mémorielle aujourd’hui entre la France et l’Algérie ? Le président français Emmanuel Macron tente un rapprochement avec le pouvoir algérien.
Les mémoires sont blessées de part et d’autre. C’est la férocité du colonialisme qui est responsable de ces blessures. Mais comment soigner ces mémoires bléssés ? Il faut en revenir à l’histoire.
Cette histoire, elle est arrangée pour que les Algériens et les Français soient chacun satisfaits de leur côté. Et bien non, il va falloir que les Français et les Algériens se regardent les yeux dans les yeux pour se dire ce qui s’est exactement passé. La démarche d’Emmanuel Macron est intéressante. Il est d’une autre génération.
Pierre Desorgues Mise à jour 17.03.2022 à 16:20