Ce petit livre dont la couverture s’orne d’une vue plongeante sur une rivière de mon enfance, la Vézère, prenait la poussière dans ma bibliothèque depuis 18 ans ; le carton des éditions Fanlac, qui m’avaient alors adressé l’ouvrage, est daté de mars 2003. Je ne sais par quel enchaînement de hasard, j’ai ouvert le livre mais je ne le regrette pas, c’est une petite merveille, l’histoire, le style…Pour écrire cette critique, j’ai dû effectuer des recherches à propos de l’auteure et je découvre qu’elle fête ce jour, mardi 16 novembre, ses 90 ans. Thalie de Molène ai-je pensé, semble un élégant nom de plume. Eh bien non, elle est la fille de Marc de Molènes, un avocat qui fut député socialiste de la Dordogne dans les années 30. Sa mère fut aussi l’une des premières femme avocate au barreau de Paris.
Mais la guerre la cueille en Dordogne et c’est là que, 60 ans plus tard, dans ce tout premier roman adulte, cette auteure spécialisée dans les ouvrages jeunesse publiés chez le Père Castor de Flammarion, situe l’histoire de ce barabahau, qui chez ces paysans du Périgord signifiait badaboum, le bruit que faisait le petit Julien en se cognant partout. Il avait perdu une jambe sous la batteuse à l’été 39. Par glissement paresseux, barabahau est devenu bahau. Et c’est à travers lui que Thalie de Molène nous fait vivre la guerre et remet en scène l’époque à discrets coups de pinceaux : les battages et ses agapes, le standard téléphonique qui permettait à l’opératrice d’écouter les conversations des amants, l’autosuffisance alimentaire des paysans, les activités agricoles ; point de tracteurs alors mais de robustes bœufs. Et surtout, cette nature encore toute puissante, et celle qui avec le Bahau est au centre du récit, la Vézère, « …cette sombre blessure qui entaillait la vallée. Cette fente aux reflets soyeux palpitait sous la pluie, se figeait sous la lumière de midi. »
Dans ce petit village jamais nommé mais situé tout près de Montignac, la guerre survient par l’Est avec l’arrivée d’une famille juive, des réfugiés alsaciens. Les uns rejoindront les maquis, d’autres la milice, d’autres encore éviteront de se mouiller, le commun des mortels, la France en modèle réduit. Et ce Bahau observe cette comédie humaine sans presque mot dire, celui qui en sus de sa jambe a manqué de tout, l’amour des siens, l’éducation mais qui pourtant fait plus que tous, preuve d’humanité. « Les hommes faut peut-être qu’il leur manque un morceau de leur corps pour qu’ils soient sensés » dit sa grand-mère.
Jean-François Meekel
Si ce livre n’est sans doute, plus dans les rayons, s’adresser à la maison d’édition https://fanlac.com/contact/