Ixchel Delaporte journaliste et documentariste s’était déjà intéressée à la région en 2018 pour l’écriture de son premier livre « Les raisins de la colère » éditions du Rouergue, à propos de ce couloir de la misère sociale, qui le long de la Garonne, se superpose au territoire des grands crus du bordelais. Pour ce nouvel opus, elle s’est installée pendant plusieurs mois à Cadillac, dans le Sud-Gironde pour « écouter les murs parler » en l’occurrence ceux de l’hôpital psychiatrique de la ville.
Une longue plongée sensible dans l’univers de la folie pas ordinaire, à l’écoute principalement des malades, les Manou, Sam, Sylvie, Marie-Eve, Charles…en particulier de toutes celles et ceux qui vivent en appartements autonomes dans la petite ville partageant sans drame le quotidien des gens « normaux ». L’auteure a reçu un accueil mitigé de la part des soignants, elle a pu pourtant pénétrer dans les divers pavillons, y compris l’UMD, l’unité des malades difficiles. Elle y a entendu les plaintes d’un personnel souvent épuisé, en sous-effectif, annonçant alors à bas bruit le mouvement social qui a frappé l’établissement cette fin d’année : une grève du personnel pour protester contre la fermeture de lits liée dit la direction à la difficulté de recruter des soignants. Cadillac n’échappe pas à la crise globale de la psychiatrie en France ; selon le SPH, le syndicat des psychiatres hospitalier, « en 1999, la psychiatrie publique suivait un million de personnes, contre près de 2,4 millions en 2023, avec moins de psychiatres : 35% des postes de praticiens hospitaliers sont vacants. »
Passe aussi l’ombre de Thierry Metz l’auteur de « L’homme qui penche » qui fit des séjours à Cadillac pour tenter de soigner alcoolisme et dépression avant de se suicider. François Tosquelles aussi n’est pas loin, ce psychiatre catalan qui inventa une autre psychiatrie qu’il qualifiait de déconniatrie. En fait, écrit Ixchel Delaporte « Un peu d’écoute, d’empathie et de fraternité. Au fond, les patients ne demandent pas la lune. Ici, j’ai découvert un continent peuplé d’âmes errantes et délaissées. Elles empruntent parfois les chemins les plus tortueux, les plus épineux, les plus douloureux parce qu’elles ne savent pas faire autrement, ces âmes-là. Parce que bien souvent le milieu dans lequel elles ont grandi les a abimées. L’enfance, ce temps précieux qui fonde un être humain, qui lui donne le bon tempo pour croître, qui lui apporte la sécurité et l’affection nécessaire pour le reste de sa vie. Tant de patients m’ont conté des enfances violentées par un entourage malveillant ou lui-même brisé, dans l’incapacité de porter d’autres vies »
JF Meekel