Du fait de la complexité des démarches, faute d’être suffisamment informés et accompagnés, un grand nombre d’exilés renoncent à se soigner. Après une année d’observation dans les centres de soin de Médecins du Monde, l’ONG témoigne de chiffres accablants : près de 80 % des personnes en situation irrégulière, et même des demandeurs d’asile, n’ont pas de droits ouverts alors qu’ils sont éligibles à une couverture maladie.
Le nouveau rapport annuel de l’Observatoire de l’accès aux droits et aux soins de Médecins du Monde met l’accent sur les “immenses difficultés” rencontrées par les patients en situation de migration pour accéder à leurs droits.
Au cours de l’année 2022, l’ONG est intervenue dans le cadre de dix programmes auprès des personnes migrantes en France : sur le littoral du Pas-de-Calais ; à la frontière franco-italienne via des unités mobiles de mise à l’abri à Vintimille et Briançon ; à Paris et à Marseille ; ou encore à Mayotte. Trois programmes spécifiques étaient dédiés aux mineurs non-accompagnés, notamment ceux en voie de recours, exclus des dispositifs de protection de l’enfance, à Caen, Nantes et Paris.
L’activité principale de Médecins du Monde se concentre dans ses centres d’accueil de soins et d’orientation (CASO). En 2022, la moitié des personnes reçues dans ces CASO étaient en situation administrative irrégulière.
Retard dans le recours aux soins
Ainsi, un peu plus de 4 000 patients en situation administrative irrégulière y ont été reçus en consultation. Au cours de la même année, près de 2 000 patients étaient des demandeurs d’asile.
Lors de ces consultations, les médecins enregistrent que 57 % des patients en situation irrégulière ont au moins une maladie chronique. Un besoin de soins “urgents ou assez urgents” a été diagnostiqué pour 40 % d’entre eux.
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Chez les demandeurs d’asile, la situation est peu ou prou similaire. La proportion de demandeurs d’asile avec une maladie chronique – 55 % – est quasi identique à celle des patients en situation irrégulière. Les médecins enregistrent encore davantage un besoin de soins médicaux “urgents” ou “assez urgents” : leur proportion s’élève à 53 % pour les demandeurs d’asile.
Il ressort de ce rapport un phénomène global de retard pris dans le recours aux soins. Pas moins d’un patient sur deux en situation administrative irrégulière accuse ainsi ce retard, synthétise l’ONG.
91 % des personnes en situation administrative irrégulière n’ont pas de couverture maladie
Et pour cause : 91 % des personnes en situation administrative irrégulière n’ont pas de couverture maladie. Or, elles sont 85 % a y être tout à fait éligibles.
Du côté des demandeurs d’asile, 77% des éligibles n’ont pas de droits ouverts. Faute de pouvoir être remboursées, toutes ces personnes s’éloignent des soins et laissent s’aggraver leurs problématiques de santé.
Ce renoncement s’explique par plusieurs facteurs. Les démarches d’ouverture des droits sont complexes. Un rapport interassociatif paru le 20 avril révélait que 64 % des personnes interrogées rencontrent des difficultés pour se soigner faute de couverture santé. Parmi elles, sept sur dix ont renoncé aux soins.
“Je ne comprends pas les nouvelles procédures. Je n’ai pas Internet, et je n’ai pas les moyens de charger des crédits sur mon portable”, expliquait une femme âgée dans cette enquête, témoignant du besoin d’accompagnement pour ouvrir ses droits.
Or, seulement 4 % des personnes en situation administrative irrégulière sont hébergées par un organisme ou une association pour plus de 15 jours, note Médecins du Monde. De quoi limiter les possibilités d’accompagnement social et médico-social, pourtant essentielles pour aider à ouvrir ses droits.
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Du côté des demandeurs d’asile, deux sur cinq sont sans domicile fixe. Les “dublinés” sont davantage défavorisés dans l’accès à une couverture maladie, observe l’ONG, “parce qu’ils sont moins souvent hébergés et accompagnés pour l’ouverture des droits”.
AME : “pas d’abus de droit mais au contraire des risques de renoncement aux soins”
Le projet de loi immigration, qui sera discuté en séance publique au Parlement début novembre, est “source de grandes inquiétudes”, s’inquiète Médecins du Monde. Lors du passage du texte en commission au Sénat en mars, un amendement porté par la droite parlementaire visant à supprimer l’AME avait été adopté.
Le texte va encore être modifié ; rien ne dit que cet amendement restera dans le texte de loi final. Mais il est notable que l’AME fait l’objet d’offensives à chaque projet de loi immigration. Or, Médecins du Monde rappelle un constat de terrain : “il n’y a pas d’abus de droit mais au contraire des risques de renoncement aux soins”.
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Dans les consultations de Médecins du Monde en 2022, pas moins 86 % des patients éligibles à l’AME n’avaient pas ouvert leurs droits.
Ruptures de droits d’une année sur l’autre
Les freins sont nombreux. Il y a le manque d’information et d’accompagnement sur le sujet : “une dame en France depuis trois ans était suivie en ville et a toujours payé ses consultations et frais de santé. N’ayant plus les moyens, elle vient au Caso. Aucun professionnel de santé ne lui avait parlé de l’AME”, raconte ainsi une équipe de MDM dans le rapport. C’est cette équipe qui a dû l’aider à monter son dossier.
Les démarches sont aussi de plus en plus compliquées. “Quasi-fermeture des guichets d’accueil de la CPAM, dépôt physique des premières demandes, délai de traitement des dossiers, recours croissant à la dématérialisation ou à des plateformes téléphoniques payantes…”, liste le rapport. Conséquence : les personnes sans droit ouvert avec l’AME renoncent deux fois plus aux soins que celles qui sont couvertes.
En outre, l’AME n’est valable qu’un an. Il faut déposer un nouveau dossier pour la reconduire l’année suivante. Médecins du monde observe ainsi des ruptures dans la continuité des droits, d’une année sur l’autre. Avec d’autres ONG, l’organisation appelle depuis des années à une fusion de l’AME dans le régime général de la sécurité sociale, pour une protection “véritablement universelle”.