Écrit par Nicolas Chigot
L’artiste Gabriel Godard a fait don d’une tétralogie au centre de la mémoire d’Oradour-sur-Glane. Une œuvre monumentale dédiée au massacre du 10 juin 1944, et visible tous les jours à partir de ce 14 avril.
Elles s’appellent “le Supplice, l’Épouvante et la Mort”. Des noms évocateurs pour ces trois toiles monumentales sur Oradour-sur-Glane. La quatrième toile, plus abstraite, est intitulée”De l’humain… et de l’ignominie ordinaire”. Chacune des quatre parties de l’ensemble mesure près de quatre mètres de haut sur neuf mètres de long. L’artiste Gabriel Godard en a fait don au Centre de la mémoire.
La figuration du massacre exécutée par l’artiste est à peine soutenable et suscite des émotions violentes. Dans des tons gris, blancs et rouges, des corps se contorsionnent de douleur. Au travers des flammes, les bouches disproportionnées émettent des cris que l’on pourrait presque percevoir. L’inspiration de Guernica de Picasso saute aux yeux. Le Cri de Munch n’est pas loin non plus.
Ce jeudi 14 avril, l’artiste découvre enfin l’installation de son travail dans l’endroit auquel il était destiné. Sa silhouette semble perdue face à l’immensité des toiles.
“Il y a quelque chose de maladif chez moi. Cette histoire me fait pleurer, donc j’ai envie de le dire aux gens, c’est ça qui me pousse” explique Gabriel Godard, la larme à l’œil et la gorge nouée par l’émotion.
Il avait 11 ans quand s’est produit le massacre d’Oradour-sur-Glane. Un événement qui l’a hanté toute sa vie. Dans les années 60, il peint une première grande toile dédiée à Oradour. En 2009, il se lance dans la création de cette œuvre monumentale. Travail auquel il s’est entièrement consacré pendant quatre ans. Une année par toile.
“Je suis toujours touché par ce qui est mauvais. Je porte cette histoire-là en moi, je ne sais pas pourquoi. J’ai toujours envie de mettre l’accent sur les saloperies qu’on a fait subir à des gens. C’est ça le fond de mon histoire. J’ai encore envie de râler contre ce qu’il s’est passé ici. C’est pas possible d’accepter des choses pareilles. En ce moment ce qui se passe avec les Russes, on tue des gens dans la rue pour rien. ça m’agace. J’ai toujours envie de gueuler en fait !”
Dernier survivant du massacre Robert Hébras, 96 ans, est submergé par l’émotion.
“Ca me rappelle des souvenirs vous vous en doutez. L’émotion, je ne peux pas la décrire, c’est quelque chose qui est là en moi. Je revoit tout ce que j’ai vécu. La toile me choque un petit peu, c’est un peu virulent quand même. C’est pas que c’est trop vrai. Ce n’est pas trop vrai ! Dans toutes ces toiles, je revois les miens et ça me fait mal”.
C’est la première fois que le centre reçoit un don d’une telle ampleur et d’une telle importance. Babeth Robert, directrice du centre de la mémoire, est visiblement impressionnée, voire affectée par les œuvres. “Quand vous êtes au milieu de cet ensemble, vous êtes plongés au cœur de la tragédie du 10 juin 44. Supplice, épouvante et mort. Vous êtes dans une unité de temps, de lieu et d’action qui est le temps du massacre. J’espère que les visiteurs seront marqués par ces toiles et se souviendront par ce biais de ce qu’il s’est passé ici“.
Né en 1933 en Lorraine, Gabriel Godard s’est lancé dans la peinture a 19 ans. Il a remporté plusieurs prix, notamment celui de la fondation Taylor. Ses œuvres se trouvent un peu partout dans le monde. Certaines ont été acquises par le Centre Pompidou.