Pour RSF, l’AMDH et la Coalition marocaine des instances des droits humains, les irrégularités pointées lors du procès en première instance du journaliste Soulaiman Raïssouni n’ont pas été prises en compte en appel, alors que le nouveau verdit traduit un «acharnement» et «un entêtement» des autorités.
Par Yassine Benargane Publié Le 24/02/2022 à 17h50 Le journaliste Soulaiman Raissouni. / DR
La Cour d’appel de Casablanca a rendu, mercredi soir, son verdict dans l’affaire du journaliste Soulaiman Raïssouni. La juridiction a ainsi confirmé le verdict, prononcé en juillet dernier en première instance et condamnant le journaliste à cinq ans de prison ferme, en plus d’une indemnisation de 100 000 dirhams pour la partie civile.
Ce verdict tombe à un moment où les militants des droits humains s’attendaient à une condamnation moins sévère à l’égard du journaliste, jugé coupable d’agression sexuelle et annonce déjà la couleur pour les autres procès en appel dans lesquels des journalistes sont poursuivis. «C’est un moment assez délicat pour la liberté de la presse et toutes ces voix indépendantes», nous déclare ce jeudi 24 février depuis Tunis le directeur du bureau Afrique du Nord de Reporters sans frontières (RSF). «Il y a le cas de Maâti Monjib qui va être examiné aujourd’hui ainsi que les affaires des journalistes Omar Radi et Imad Stitou», rappelle Souhaieb Khayati.
Un «acharnement» et «un entêtement» des autorités
«Cela nous désole de les voir tous victimes de l’acharnement judiciaire et de cette volonté de les faire taire et de faire taire toutes voix dissonantes et discordantes au Maroc. Je pense que le royaume ne mérite pas cela au vu de la qualité et ses journalistes et la vitalité de la société civile marocaine. Le dynamisme du journalisme et des médias au Maroc, auquel nous avons été habitués pendant des années a été cité en exemple dans toute la région MENA mais il s’est estompé», regrette le responsable associatif.
«Nous avions espéré que la raison l’emporte et que ces journalistes soient libérés. Nous militons par tous les moyens qui nous sont permis pour sensibiliser les autorités au Maroc sur ces cas. Mais jusque-là, malheureusement, la situation ne se décompte pas. Nous aurions vraiment souhaité épargner le secteur médiatique, les autorités marocaines et nous en tant qu’ONG ce moment malheureux pour nous tous.» Souhaieb Khayati
Pointant un «acharnement» et «un entêtement», des autorités, le responsable promet de «continuer de militer par la force des arguments pour démontrer qu’il y a tout de même une instrumentalisation de faits contre ces journalistes». «Pour nous, notre demande est claire : des garanties pour des procès équitables. Jusque-là, nous n’avons vu que des procès entachés d’irrégularités», tranche-t-il.
Pour sa part, la militante Khadija Ryadi a dénoncé un «retour aux années de plomb». «Nous considérons ce procès comme politique et qui cible Soulaiman Raïssouni en tant que journaliste. Nous condamnons ce procès qui n’a pas été équitable et qui a servi les services ayant accusé Soulaiman Raïssouni», poursuit l’ancienne présidente et membre du bureau central de l’Association marocaine des droits humains (AMDH).
Un procès «entachés d’irrégularités» et un «retour aux années de plomb»
L’activiste rappelle à cet égard que «toutes les demandes de la défense ont été rejetées, ce qui signifie que le droit du journaliste à la défense n’a pas été respecté». «Le tribunal a aussi refusé de convoquer les témoins de la défense. Il a également refusé de mener une expertise sur la maison et voir si elle correspond au descriptif donné par le plaignant ou encore d’effectuer une écoute des appels téléphoniques du plaignant», rappelle-t-elle.
«Ce que nous vivons aujourd’hui est un retour des années de plomb sous d’autres formes, à travers les procès de Soulaiman Raïssouni, Omar Radi, Maati Monjib, Mohamed Ziane, Noureddine Aouaj et du Rif. Ce sont de nouvelles années de plomb et nous avons besoin d’une instance équité et réconciliation semblable à l’ancienne, pour examiner ces violations.» Khadija Ryadi
La militante a ajouté que son ONG et ses membres «savaient, depuis le début, que le procès se dirige vers la condamnation». «Nous avons exprimé notre colère, notre ressentiment et notre condamnation du niveau atteint par la justice au Maroc», indique-t-elle.
De son côté, Abdelilah Ben Abdeslam, coordinateur de la Coalition marocaine des instances des droits humains rappelle que «la coalition a déjà publié un premier communiqué lors du verdict en première instance, considérant que le jugement est injuste, que le procès a été entaché de plusieurs irrigularités et que depuis le début de son procès, le journaliste n’a pas bénéficié des conditions et des garanties d’un procès équitable».
«Tous ce que nous avons dit dans notre premier communiqué restent valable pour ce nouveau verdict, alors que ces irrégularités sont devenues flagrantes. D’ailleurs, cela se confirme par les plaidoyers et les remarques de la défense du journaliste. Ces remarques n’ont malheureusement pas été prises en compte par le jury», ajoute-t-il. «Pour nous, le procès a été donc inéquitable et ayant visé Soulaiman Raissouni compte tenu de son travail de journaliste, son activisme dans le domaine de la presse et a position de défenseur des droits humains», conclut l’associatif.