Arrivé, seul, à Avignon à l’âge de 16 ans, ce jeune homme a suivi son cursus lycéen à Philippe-de-Girard. Plus tard, il rêve d’être avocat ou homme politique. Voire les deux, à l’instar de son idole : Mandela
Par Fabien Bonnieux
L’abnégation a sans doute trouvé son incarnation faite homme. Cette histoire intense, embrasée par le danger et nimbée de courage, aboutit à un chapitre galvanisant, toujours en cours d’écriture. Une “Happy end” à la Disney. Pourtant, ce n’est pas sur l’écran noir mais bien en strates de nuits blanches que se dévoile la destinée mouvementée de Mahamet Tandia, 20 ans. Il y a quelques jours, ce Malien résidant d’Avignon a intégré Sciences Po Paris, après une Mention Bien obtenue au lycée Philippe-de-Girard d’Avignon. Pour mieux comprendre l’adolescence singulière de ce jeune homme pétri d’idéal, il faut revenir quasiment quatre ans en arrière. Décembre 2017 : Mahamet a 16 ans. Il vit au Mali avec sa famille dans un village de la région de Kayes. “Mon père s’opposait de manière radicale à ce que je fasse des études. Il voulait que je garde les vaches et les brebis, dans la tradition familiale, alors que moi, j’avais une idée en tête : aller étudier en France. La découverte de cette langue magnifique, quelques années avant, m’avait marqué. Mais à la maison, personne ne la parlait et personne ne pouvait donc m’aider à progresser” explique Mahamet à “La Provence”.
Promis à la robe d’avocat
Retour à 2017 : résolu, ce garçon de 16 ans quitte avec fracas le foyer familial. À pieds, en voiture, en bateau, en bus et en train, Mahamet Tandia va, trois mois durant, avaler des milliers de kilomètres. Algérie, Lybie. Évidemment, une piégeuse traversée de la Méditerranée, à propos de laquelle il reste pudique, et qui sera financée par son oncle. L’Italie, Milan, Vintimille. Puis l’arrivée en France, Nice, avant Marseille, et donc, Avignon, où il arrive un jour de printemps 2018, à la gare, sans connaître personne. “C’était la fin de journée, je me disais qu’il fallait que je m’arrête bientôt pour dormir dans un endroit calme. Dans le train, une dame m’a dit de m’arrêter à Avignon et d’aller voir les policiers.” Passé furtivement par l’ASE (Aide sociale à l’enfance), accueilli par des bénévoles de RESF (Réseau éducation sans frontières), il va trouver en Katia, sa future tutrice, un ange gardien. Cette Avignonnaise le prend sous son aile, l’héberge pendant plus de deux ans, alimente son inextinguible curiosité et l’incite à suivre les ateliers “Sciences Po” à Philippe-de-Girard. “Au début, je ne savais pas du tout en quoi consistait Sciences Po. On m’a expliqué que c’était un établissement dans lequel on apprenait la politique et le juridique. Ce sont deux domaines qui me passionnent. Je me suis dit : Ah, ce serait cool que j’aille là-bas !” dit benoîtement Mahamet Tandia, dont chacun loue unanimement l’humilité autant que la détermination. Et qui a un objectif solidement ancré : “devenir avocat, pour lutter contre les injustices, que vivent notamment les femmes et les enfants. J’ai déjà fait un stage très intéressant à Avignon, chez Maître Véronique Marcel.“
Pour Karine Malaval, l’enseignante qui, lui a donné les clefs afin de préparer au mieux le concours de Sciences Po, “s’il devient avocat, c’est certain, il ne s’occupera pas des divorces ! (rire) Il aura besoin de défendre des grandes causes.”
La lecture pour moteur
C’est par l’entremise de la passion livresque que Mahamet s’est pris d’amour pour la langue française. “À la maison, au Mali, je n’avais pas de livres, ce sont des copains qui m’en prêtaient”. Il dévorera, jeune ado, Victor Hugo, Lamartine et consorts. “À partir de 12 ans, j’apprenais par cœur les règles de grammaire du Bescherelle.” Le genre d’ode enflammée qui, actuellement, pourrait mettre KO tout prof de français…
Quand on lui demande ses auteurs de chevet dans la langue de Molière, il cite spontanément Montaigne et Voltaire plus que Marc Lévy et Paul-Loup Sulitzer. Ça rassure. “Ce que j’aime chez ces grands auteurs, ce sont leurs valeurs universelles” commente ce parangon de volonté. Exemple probant : lorsqu’il a été admis à Sciences Po Paris, à l’amorce de l’été, il a choisi le site de Reims “pour son programme : les relations entre l’Afrique et l’Europe.”
Rosmerta et Djiguiya
À Avignon, Mahamet ne laisse personne indifférent. Que ce soit au lycée Philippe-de-Girard, dont il porte au firmament “la bienveillance des profs, qui m’ont permis de trouver ma place”. Mais aussi à l’association Rosmerta, lieu d’accueil de mineurs isolés. Une structure qui l’a accompagné, et… qu’il a accompagnée. “Avec d’autres jeunes, on a créé un collectif : “Djiguiya”, qui signifie “Espoir” en Bambara (langue nationale du Mali, NDLR).” Épauler les migrants fraîchement arrivés, tel fut, entre autres, l’enjeu dudit collectif. “Les bénévoles de Rosmerta ne lâchent jamais rien pour aider ceux qui en ont besoin, et c’est beau.”
Une question nous taraude : qu’a donc pensé son paternel de son étudiant de fils, à près de 6 000 kilomètres de là ? “Il doit être fier, mais il ne le montrera pas, contrairement à ma mère, qui était contente quand j’ai reçu la réponse positive de Sciences-Po.” Mahamet Tandia dans le texte. Un redoutable expert en sciences po… sitives.
Ses “bonnes fées” : “A 16 ans, il avait déjà une grande capacité d’analyse et une force de caractère”
Katia, la tutrice de Mahamet Tandia : “J’ai hébergé Mahamet pendant deux ans et demi, de 2018 à 2020. Il venait juste d’arriver à Avignon. Un copain du réseau RESF (Réseau Education Sans Frontières) m’a demandé de l’accueillir et il n’est plus parti de la maison. La première fois que je l’ai rencontré, il avait 16 ans et demi et jouait au Scrabble sur son téléphone. Il était lumineux mais avec des phases sombres, par rapport à ce qu’il avait traversé, seul. Mais il aimait lire, maîtrisait déjà la langue française. Je me souviens qu’ il avait fait seulement trois fautes à une dictée que je lui avais proposée à partir d’un article du “Monde diplomatique”. Une fois qu’il a commencé sa seconde à Philippe-de-Girard (Avignon), j’ai insisté pour qu’il suive les ateliers Sciences Po, je voyais son potentiel. Il a accroché. Je l’ai emmené au Louvre, à Beaubourg, à la grotte Chauvet. Il a voulu abandonner à un moment mais sa professeur l’a boosté. Quand il a été admis, c’était un très beau moment. Je crois que j’ai voulu être pour Mahamet la personne que j’aurais aimé rencontrer quand j’étais jeune”.
Karine Malaval, enseignante, responsable des ateliers Sciences Po au lycée Philippe-de-Girard : “Depuis 2016, deux heures par semaine, j’anime cet atelier au lycée. L’an dernier, ils étaient douze en classe de Terminale. Et c’est la première fois que deux d’entre eux, la même année, sont admis à Sciences Po Paris : Laura Amiel et Mahamet Tandia. Quand il a commencé l’atelier en classe de seconde, Mahamet était introverti. Mais il avait déjà une grande capacité d’analyse, une vraie curiosité et une force de caractère impressionnante. Concernant les connaissances, c’était une véritable éponge. En plus de cela, il est humble. Son parcours a quelque chose de magique. Il va réussir pleinement, j’en suis persuadée. Je le vois évoluer dans le monde politique, je pense qu’il voudra par exemple améliorer les relations entre le Mali et le reste du monde”.