Luis Sepulveda le grand écrivain chilien est mort, victime du Covid 19. Il avait 70 ans, 3 mois de plus que moi. Cette nouvelle a fait l’objet de quelques secondes dans les flashs radio, notant qu’il était l’auteur du Vieux qui lisait des romans d’amour, sans doute le titre qui était cité dans la dépêche Afp qui annonçait son décès. Quelques heures plus tard mourrait le chanteur Christophe ; Covid 19 ou pas, suivra une polémique sur les causes du trépas, l’idole vieillie, 75 ans mais chantante encore souffrait d’un emphysème aigu, terrain propice au coronavirus. Quelques journaux l’avaient annoncés, sa famille s’est refusée à le confirmer. Affaire d’assurances qui couvrent mal les victimes de cette épidémies pas répertoriée dans les clauses ? Peut-être ; le chanteur était aussi au centre d’une industrie du spectacle, il faisait encore des concerts, ceux d’avril avaient été reporté, un manque à gagner ? Mais ce n’est pas le sujet de ce commentaire consacré à mon indignation devant le traitement médiatique accordé à l’un et à l’autre. La disparition de Christophe, Daniel Bevilacqua, d’origine italienne, chanteur populaire, il fut impossible d’échapper à ses tubes, eu droit à une série d’annonces dans les flashs, à des émissions spéciales, des rediffusions, des témoignages. Alors que le décès de Luis Sepulveda se résuma à ces quelques lignes dont je parle plus haut, à l’exception de beaux papiers dans Le Monde et L’Humanité. L’Huma qui cite un texte de l’auteur chilien qui justement fait un constat dramatique sur l’inculture contemporaine des journalistes. Accablant ! JF Meekel
« Moi aussi je suis journaliste » extrait d’une nouvelle de Luis Sepulveda paru dans un recueil publié en 2011 aux éditions Métailié : « Histoires d’ici et d’ailleurs »
« Quand je dis « Moi aussi je suis journaliste » je le fais avec beaucoup d’humilité car il me revient en mémoire une vaste galerie de photographies où se trouve le visage de Juan Pablo Cardenas, un grand journaliste et, de ce fait, otage personnel de Pinochet, et de Pepe Carrasco assassiné par Pinochet pour cette même raison, Rodolfo Walsh, écrivain et grand journaliste, assassiné par la dictature argentine, José Luis Lopez de la Calle, grand journaliste assassiné par l’ETA. A ceux-ci viennent s’ajouter d’autres illustrent collègue de la corporation rencontrés sur mon chemin, c’est pourquoi quand je dis « Moi aussi je suis journaliste » je le dis avec fierté mais ma fierté est de courte durée car la profession est en pleine décadence.(…)
Quand je dis « Moi aussi je suis journaliste » j’ai souvent l’impression de crier « Et je suis le dernier des Mohicans ! » ceux qui sentent l’encre et le tabac, qui se brûlent les yeux en se documentant ; bien sûr, nous recevions un salaire décent, nous étions syndiqués, nous ne dépendons pas des salaires de misère qu’on verse aux stagiaires.
Oui, c’est l’avis d’un vétéran, je le sais, mais d’un vétéran qui aime encore son métier précisément parce qu’il a connu et connaît d’autres vétérans plus attachés à maintenir la qualité de l’information que l’asepsie des salles de rédaction modernes.
Il y a deux mois, mon dernier roman a obtenu un prix littéraire important et j’ai dû naturellement accorder de nombreuses interviews, et je le dis tristement beaucoup d’entre elles commençaient par ce « Qui êtes-vous ? » auquel je répondais patiemment.
« De quoi parle votre roman ? » fait également partie des questions inévitables. Si je répondais : « C’est l’histoire d’un monsieur qui, à force de lire, s’est pris pour un chevalier errant, il a confondu les moulins à vent avec des géants, plus d’un journaliste, j’en suis sûr, publierait cette réponse qui, plus qu’un hommage à Cervantès est une larmes que je verse sur la culture méprisée.
Je suis journaliste, dis-je et je me sens pareil à Don Quichotte de la Manche, finalement vaincu, regardant l’ignorance danser joyeusement dans la cour de sa maison autour du bûcher où flambent ses livres. »