L’écrivain napolitain Erri de Luca, en mai 2020. © Crédit photo : AFP
Par Olivier Plagnol
Publié le 01/04/2023 à 18h30
L’écrivain italien a réuni des « histoires extrêmes » de parents et d’enfants, où il mêle l’intime et l’universel. Certains passages sont bouleversants
C’est une poignée de pages sublimes. Celles qui racontent comment Marc Chagall a peint le portrait de son père, cette lutte « entre le visage du père et le pinceau du fils », cette impossibilité de se souvenir des traits de son géniteur, marchand de harengs. Jusqu’à l’éclaircie : « Chagall est sur le point de jeter son pinceau qu’il serre, levé en l’air, sans pouvoir le poser sur la toile. Il saisit à deux mains le tableau tout frais d’huile qui brille à la clarté des bougies. Il le serre et au lieu de le briser d’un coup sur son genou, il entend une voix qui l’appelle d’une autre pièce. Marek ne répond pas. Il s’arrête, s’approche de la toile et, là où devrait être le visage de son père, dans cet espace blanc, il dépose un baiser. Il le voit maintenant, il le voit à travers ses larmes. »
La gratitude, l’amour d’un fils pour son père, fixés à jamais dans un portrait, tableau daté de 1911 qui fut (pour la petite histoire) volé par les nazis avant d’être restitué en 2022 aux héritiers et vendu la même année aux enchères à New York pour 7,4 millions de dollars.
« Sang maudit »
Rien que pour ce chapitre, il faut lire ces « histoires extrêmes de parents et d’enfants », récits certes inégaux, où l’on croise la fille d’un criminel de guerre nazi en cavale qui préfère devenir stérile plutôt que de perpétuer « le sang maudit » ; des gamins des rues à Naples, ces « acharnés de la vie » abandonnés par leurs parents ; le directeur d’un orphelinat du ghetto de Varsovie qui décide d’accompagner ses protégés jusque dans la mort ; une détenue qui reçoit comme seules visites celles de sa mère…
Comment Erri de Luca aurait-il pu passer outre sa propre filiation ? L’écrivain napolitain nous offre là aussi quelques superbes passages : « Je suis resté le fils de ce père mort à l’âge que j’ai aujourd’hui. Même si je peux mourir plus vieux que lui, je reste un fils. » À jamais.
« Grandeur nature », de Erri de Luca, traduit de l’italien par Danièle Valin, éd. Gallimard, collection « Du monde entier », 176 p., 18 €.
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