Publié le lundi 30 août 2021 à 20h48
L’Institut national de la musique était la seule institution en Afghanistan qui formait les jeunes musiciens jusqu’à l’arrivée des talibans. Actuellement, ses portes sont fermées, et les étudiants et professeurs craignent pour leur vie. Focus sur une exception afghane menacée.
Depuis 2010, l’année de sa fondation, il était le pilier de la vie musicale afghane et le seul programme d’éducation musicale pour les enfants et les jeunes du pays. Or, les portes de l’Institut national de musique d’Afghanistan sont à présent fermées, les étudiants et les professeurs cloitrés chez eux, apprend-on via les réseaux sociaux.“Certains ont peur d’amener leurs instruments à la maison parce que les talibans pourraient les trouver lors de leurs descentes. Les hommes armés ont pénétré dans l’enceinte de l’école en essayant de s’emparer des véhicules et ont détruit beaucoup d’instruments de musique.” Certains musiciens ont réussi à fuir le chaos et se trouvent actuellement en exil.
Le directeur et fondateur de l’Institut, le musicologue afghan Ahmad Sarmast, se trouvait en Australie lorsque les talibans ont pris le pouvoir, le 15 août dernier. Nous l’avons rencontré en 2019 à Paris, lors du Forum mondial de la musique. A l’époque, il évoquait déjà le danger qui planait sur l’institution, danger qui faisait partie du quotidien des élèves et des professeurs. “Les talibans continuent de s’attaquer à la musique. En 2014, un attentat suicide perpétré en plein concert a fait une victime”, nous racontait-il. Ahmad Sarmast a été grièvement blessé à cette occasion, et a perdu 90% de l’audition : “et deux autres projets d’attentats ont été déjoués en 2015 et 2017.”
Pourtant, lorsqu’il imagine en 2008 le projet d’une école de musique à son retour en Afghanistan, après avoir vécu et enseigné en Australie, une première dans le pays, Ahmad Sarmast le conçoit comme un havre de paix et un lieu où la musique aurait toute sa place, après “le génocide culturel qui a réduit les musiciens afghans au silence dans les années 1990,” nous confiait-il : “C’était difficile d’obtenir le soutient politique du gouvernement et de convaincre les mécènes privées d’investir dans un projet d’éducation musicale.” Mais les besoins dans le pays étaient énormes. “L’Afghanistan est le seul pays qui n’avait pas d’orchestre national, ni d’orchestre destiné aux productions cinématographiques, le seul pays qui ne formait pas de professeurs de musique ou d’éducateurs qui pourraient initier les jeunes enfants à la musique.”
Un avenir pour les enfants défavorisés
Mais son projet va bien au-delà de l’éducation purement musicale. Si l’Institut national de musique dérange autant, c’est que le projet est une arme contre les extrémistes, selon son fondateur. “L’idée derrière la fondation de l’Institut national de musique était d’utiliser la musique en tant que ‘soft power’ pour transformer les vies des enfants défavorisés : les vies des orphelins et petits vendeurs de rue, d’un coté, et également celles des filles, à qui l’accès à l’éducation et la place dans la société ont été refusés pendant le règne des talibans en Afghanistan, de 1996 à 2001.”
Dix ans après sa fondation, l’Institut comptait 300 élèves, 200 garçons et 100 filles. Les jeunes venaient quotidiennement suivre des cours de musique, mais aussi un enseignement plus général : mathématiques, histoire, géographie. L’enseignement musical était basé sur trois axes : la musique classique occidentale, la musique traditionnelle hindoustani et la musique traditionnelle afghane. Une attention toute particulière était portée à la revalorisation de la tradition musicale afghane : la musique orale était transcrite en notation occidentale, et le savoir-faire des derniers interprètes sur les instruments traditionnels transmis aux jeunes : “La musique instrumentale est traditionnellement réservée aux hommes, mais aujourd’hui, les filles jouent des instruments traditionnels afghans.”
Un programme 100% inclusif
Car le programme de l’école est 100% inclusif. “Quand nous avons commencé en 2010, il y avait une étudiante; aujourd’hui, les filles représentent un tiers de l’effectif”, souligne Ahmad Sarmast. Représentées dans toutes les matières musicales enseignées, y compris la direction d’orchestre, elles sont notamment 30 à former l’orchestre Zohra, orchestre emblématique du projet qui s’est déjà produit dans de nombreuses salles du monde entier sous la direction de Negin Khpalwak et Zarifa Adibad, les deux premières cheffes d’orchestre afghanes formées à l’Institut. Parmi ses apparitions les plus remarquées, celle en 2017 au Forum économique mondial de Davos. Quatorze autres ensembles étaient actifs au sein de l’Institut et de nombreux concerts et sessions de travail ouverts au public permettaient d’attirer l’attention sur l’importance de l’éducation musicale dans la société afghane.
Avec l’arrivée des talibans au pouvoir, l’avenir de l’Institut national de musique d’Afghanistan et de ses musiciens est incertain. Une collecte des fonds a été organisée via l’association des amis de l’Institut national de musique d’Afghanistan pour venir en aide aux musiciens et élèves restés sur place. La communauté internationale se mobilise pour accueillir les musiciens exilés. Cette mobilisation suffira-t-elle pour empêcher les talibans de réduire la musique au silence en Afghanistan ?