Ces associations, collectifs et syndicats témoignent, via cette tribune, de leur soutien à l’action de groupe contre les contrôles au faciès initiée le 27 janvier par six ONG dont Amnesty International France et Human Rights Watch. L’État disposait d’un délai de quatre mois depuis la mise en demeure pour ouvrir des discussions. Ils prennent aujourd’hui acte de l’absence de réponse des autorités concernées et se préparent à déclencher la phase suivante de la procédure. Et dans la lettre ouverte que publie franceinfo, ils appellent à “un ensemble de mesures cohérentes et systémiques” pour “en finir enfin avec ce fléau”. “Là où la volonté politique a échoué, nous espérons que l’action de groupe (…) aboutira à un réel changement”, concluent-ils.
Depuis trop longtemps, des personnes, familles, collectifs et organisations alertent l’opinion sur la problématique des contrôles d’identité discriminatoires et se heurtent en retour à l’inaction de l’État. Ces luttes ont un prix élevé pour les personnes qui les mènent car, victimes de discriminations, elles sont par ailleurs souvent stigmatisées, disqualifiées et entravées dans leurs actions.
C’est toutefois grâce à ces combats que de nombreuses institutions nationales et internationales – dont le défenseur des droits, ou les Nations unies – ont reconnu et condamné la pratique des contrôles au faciès. En 2016, la plus haute juridiction française, la Cour de cassation, a jugé l’État responsable de discriminations raciales dans le cadre de sa pratique des contrôles d’identité et reconnu une “faute lourde”.
Des pratiques discriminatoires qui perdurent malgré des condamnations
Pourtant, malgré toutes ces condamnations, dans la pratique rien n’a changé. Les contrôles d’identité discriminatoires qui ciblent les jeunes hommes perçus comme noirs ou arabes se perpétuent. Pour eux, ces contrôles, et les pratiques abusives de fouilles et de palpations qui les accompagnent souvent, font malheureusement partie intégrante du quotidien. Dès l’enfance, les premières expériences de ces contrôles se produisent sur le chemin de l’école ou à proximité du domicile. Très vite, ces jeunes et leurs familles apprennent à vivre dans la crainte qu’un prochain contrôle s’accompagne de violences et que leur nom devienne le prochain hashtag d’une campagne “Justice et Vérité”.
Ces contrôles ont des effets dévastateurs sur ceux qui les subissent, leurs familles et la société toute entière. Ils sont une atteinte à la dignité des personnes contrôlées, traitées comme “indésirables”, citoyens de seconde zone, éternellement suspectes d’avoir fait “quelque chose de mal”. Et la relation de confiance entre une partie de la population et les forces de l’ordre se dégrade un peu plus, année après année.
Les positions des autorités, lorsqu’elles existent, se limitent généralement à un traitement individuel du problème qui serait le fruit d’actes isolés et exceptionnels de la part de prétendues “brebis galeuses” au sein des forces de l’ordre. Par là, les autorités évitent de reconnaître sa véritable nature : un problème de longue date, répandu sur tout le territoire et lié aux politiques de l’État. C’est bien tout un système de textes, de politiques et de pratiques qui aboutissent à ces contrôles au faciès.
Et c’est donc ce système discriminatoire qu’il est urgent de changer pour en finir enfin avec ce fléau ! Un ensemble de mesures cohérentes et systémiques est nécessaire. Ces dernières doivent être fondées sur l’expertise et l’expérience des personnes qui subissent ces discriminations et celles des associations qui luttent à leurs côtés.
C’est pourquoi le 27 janvier 2021, six associations ont mis en demeure le Premier ministre, le ministre de la Justice et le ministre de l’Intérieur de prendre des mesures à la hauteur du problème.
• Le cadre légal doit être modifié : actuellement trop large et permissif, il ouvre la porte à l’arbitraire et aux discriminations. Cela doit nécessairement inclure la suppression des contrôles “administratifs”, qui permettent de contrôler une personne “quel que soit son comportement”, pour “prévenir une atteinte à l’ordre public”. La notion d’atteinte à l’ordre public étant floue et subjective, un tel contrôle porte en lui-même un risque majeur avec une dimension arbitraire et discriminatoire. La loi doit aussi limiter les contrôles aux situations dans lesquelles un motif objectif et individualisé les justifie.
• Les objectifs opérationnels de la police incitant aux contrôles au faciès doivent être revus. Les politiques “du chiffre” aujourd’hui en vigueur doivent cesser ; le mode principal de “communication” de la police avec la population ne doit plus passer par des pratiques de contrôles d’identité.
• Un “contrôle des contrôles” doit être instauré en fournissant une trace écrite aux personnes contrôlées. Celles-ci doivent être informées des motifs du contrôle et en recevoir la preuve.
• Un mécanisme de plaintes pleinement indépendant doit être mis en place.
Là où la volonté politique a échoué, nous espérons que l’action de groupe initiée le 27 janvier par les six associations qui ont mis en demeure l’État, aboutira à un réel changement. Nous, associations signataires de cette lettre ouverte, soutenons cette action.
Nous appelons les autorités françaises à agir avec détermination et urgence et à saisir cette occasion pour mettre fin aux contrôles d’identité discriminatoires.
Les signataires :
Associations locales : Agence de la promotion des cultures et du voyage (APVC) (93), Alyon-Nous (69), association Autremonde (75), BeingBlackatSciencesPo (75), Buddy System Réfugié-e-s (86), Collectif Agir (13), Collectif C Nous (38), Collectif du 5 novembre (13), Collectif féministe inclusif et intersectionnel Les Grenades (75), Collectif ivryen de vigilance contre le racisme et pour l’aide aux sans-papiers (CIVCR) (94), Collectif Romain Rolland (94), Coordination alsacienne de l’immigration maghrébine (Calima) (67), Cravache connexion (13), D’ailleurs nous sommes d’ici (86), D’ici ou d’ailleurs (35), Droits devant (75), Education World 86 (86), Egalité trahie 31 (31), La Cabane juridique (62), L’Auberge des migrants (62), Le Paria (75), Les Fleurs d’Aurore (93), Ligue des droits de l’Homme section de Poitiers (86), Maison des citoyens du monde (44), Migraction59 (59), Modus Operandi (38), Mouvement de la Paix (21), Parapluie, Asso Queer (13), Pas sans nous (49), Quidam (94), RDJeunes pour la réussite (94), Refugee Youth Service (62), Révolte décoloniale (31), Salam Nord-Pas-de-Calais (62), Tactikollectif (31), Tous migrants (05), Unaterra 74 (74), Villeneuve debout (38)
Collectifs de familles de victimes de violences policières : Comité Vérité et Justice 31, Justice pour Angelo, Justice pour Ibo, Justice pour Matisse, Justice et Vérité pour Wissam, Lumières pour Sabri, Lutte pour Olivio Gomes, Réseau d’entraide Vérité et Justice, Vérité et Justice pour Lamine Dieng
Syndicats étudiants : Fédération syndicale étudiante (FSE), Mouvement national lycéen (MNL), Solidaire étudiant-e-s, Union nationale des étudiants de France (UNEF), Union nationale lycéenne (UNL)
Associations nationales : Action droits des musulmans (ADM), Assemblée citoyenne des originaires de Turquie (ACORT), Association des Marocains de France (AMF), Association des travailleurs maghrébins de France (ATMF), Centre d’études et d’initiatives pour la solidarité internationale (CEDETIM), Cimade, Coalition internationale des sans papiers et migrants (CISPM), Coexister, Collectif Décolonial Déterminé, Collectif Fémin/Asie, Collectif Mwasi, Collectif PAAF (PanAsiAFéministe intersectionnel, constellaire, antiraciste et décolonial), Conseil représentatif des associations noires (CRAN), Décoloniser les arts, Droits ici et là-bas (DIEL), France Fraternités, Front uni des immigrations et des quartiers populaires (FUIQP), Groupe d’information et de soutien des immigrés (GISTI), Initiatives pour un autre monde (IPAM), La révolution est en marche, Ligue des droits de l’Homme (LDH), Mouvement contre le racisme et pour l’amitié entre les peuples (MRAP), Mouvement pour une alternative non-violente (MAN), Ni Una Menos, Observatoire pour les droits des citoyens itinérants (ODCI), Pas sans nous, Pour une écologie populaire et sociale (PEPS), Rencontres des Justices, Union juive française pour la paix (UJFP), Utopia56, We Sign It
Syndicat professionnel : CGT nationale