Ethnocentrisme et condescendance
Maupassant n’est pas sans préjugés ni jugements de valeurs. À maintes reprises, ses écrits sur les populations arabes sont teintées d’ethnocentrisme et de condescendance, même de sexisme et de racisme écrit Olivier Le Cour Grandmaison dans son livre Ennemis Mortels dans lequel il interroge ce qu’il qualifie d’ « islamophobie savante ».
Ainsi de la description de la prière à la mosquée, certes Maupassant a du style mais aussi du mépris.
« Dans cette chapelle, le mufti officie. Sa voix vieille, douce, bêlante et très monotone, vagit une espèce de chant triste qu’on n’oublie jamais quand une fois seulement on a pu l’entendre. L’intonation souvent change, et alors tous les assistants, d’un seul mouvement rythmique, silencieux et précipité, tombent le front par terre, restent prosternés quelques secondes et se relèvent sans qu’aucun bruit soit entendu, sans que rien ait voilé une seconde le petit chant tremblotant du mufti. Et sans cesse toute l’assistance ainsi s’abat et se redresse avec une promptitude, un silence et une régularité fantastiques. On n’entend point là-dedans le fracas des chaises, les toux et les chuchotements des églises catholiques. On sent qu’une foi sauvage plane, emplit ces gens, les courbe et les relève comme des pantins ; c’est une foi muette et tyrannique envahissant les corps, immobilisant les faces, tordant les cœurs. Un indéfinissable sentiment de respect, mêlé de pitié, vous prend devant ces fanatiques maigres, qui n’ont point de ventre pour gêner leurs souples prosternations, et qui font de la religion avec le mécanisme et la rectitude des soldats prussiens faisant la manœuvre. »
L’ardeur du climat exaspère les désirs sexuels
Quand au prétendu goût des hommes arabes pour Sodome, Maupassant en fait des tonnes et fait appel au climat tout comme Montesquieu pour qui « la nature et le climat dominent presque seul chez le sauvage. » (1)
Pour Maupassant donc : « Cet amour animal est entré si profondément dans les mœurs que les Arabes semblent le considérer comme aussi naturel que l’autre. .D’où vient cette déviation de l’instinct ? De plusieurs causes sans doute. La plus apparente est la rareté des femmes, séquestrées par les riches qui possèdent quatre épouses légitimes et autant de concubines qu’ils en peuvent nourrir. Peut-être aussi l’ardeur du climat, qui exaspère les désirs sensuels, a-t-elle émoussé chez ces hommes de tempérament violent la délicatesse, la finesse, la propreté intellectuelle qui nous préservent des habitudes et des contacts répugnants. Peut-être encore trouve-t-on là une sorte de tradition des mœurs de Sodome, une hérédité vicieuse chez ce peuple nomade, inculte, presque incapable de civilisation, demeuré aujourd’hui tel qu’il était aux temps bibliques. »
« L’érotisme brûlant des populations tropicales »
Et la femme, quel sort fait-on alors à la femme arabe ? Revenons d’abord à l’ouvrage déjà cité Ennemis mortels « Le Maghreb et le Levant ? demande l’auteur Olivier Le Cour Grandmaison : « Des terres mal exploitées et les populations à conquérir d’abord par la force des armes, à pacifier ensuite puis à coloniser pour jouir enfin et en toute liberté des femmes qui y vivent. Au fusil des hommes blancs et au viol commis lors des conflits succèdent le phallus … des civils notamment -les lettres de Gustave Flaubert les textes de Maupassant et la littérature coloniale en attestent- et des relations charnelles tarifiées ou non avec les autochtones de sexe féminin. «
Les femmes arabes jugées par Gustave Flaubert « d’une passivité de bête où se dilate l’orgueil viril .»
Elie Faure fameux historien de l’art de la première moitié du 20ème siècle parle de « L’érotisme brûlant des populations tropicales, cet Orient où l’obsession sexuelle est constante. »
Pour Maupassant « La femme arabe, en général, est petite, blanche comme du lait, avec une physionomie de jeune mouton. Elle n’a de pudeur que pour son visage… »
Illustration avec la nouvelle intitulée « Marroca » sous la forme d’une lettre adressée à un ami. Il lui raconte les histoires d’amour vécues en Orient, et en particulier une idylle avec une certaine Marroca. Je vous y renvoie (c’est dans le recueil Nouvelles d’Afrique Éditions Palimpseste, 2005 et même en clair sur le net ) si le détail de ce discours machiste et sexiste vous intéresse. Je vous livre juste cette phrase tirée des premiers paragraphes de la nouvelle et qui plante en quelque sorte le décor mental dans lequel se trouve notre normand : « Sache, dit-il à son ami, sache qu’ici on aime furieusement. On sent, dès les premiers jours, une sorte d’ardeur frémissante, un soulèvement, une brusque tension des désirs, un énervement courant au bout des doigts, qui surexcitent à les exaspérer nos puissances amoureuses et toutes nos facultés de sensation physique, depuis le simple contact des mains jusqu’à cet innommable besoin qui nous fait commettre tant de sottises. »
Antisémite enfin
Voilà, je pourrais m’en tenir là ; il me semble que la démonstration est suffisante de la capacité de duplicité de ces intellectuels du 19eme quand il est question de colonisation
Mais il me faut finir avec un autre travers de notre grand écrivain, bien de son époque aussi hélas : l’antisémitisme. Les Juifs pas plus que les Musulmans ne se sauvent dans le panthéon de Maupassant :
« Dès qu’on avance dans le sud, la race juive se révèle sous un aspect hideux qui fait comprendre la haine féroce de certains peuples contre ces gens, et même les massacres récents(…) À Bou-Saada, on les voit, accroupis en des tanières immondes, bouffis de graisse, sordides et guettant l’Arabe comme une araignée guette la mouche. Ils l’appellent, essaient de lui prêter cent sous contre un billet qu’il signera. L’homme sait le danger, hésite, ne veut pas. Mais le désir de boire et d’autres désirs encore le tiraillent. Cent sous représentent pour lui tant de jouissances… »
Jean-François Meekel
1 : une citation issue de l’Esprit des lois.voir p 180 du Guide du Bordeaux colonial.
Cette chronique dans sa forme orale sera ultérieurement diffusée dans le cadre de l’émission hebdomadaire (mercredi 14/15h) du Guide du Bordeaux colonial sur la Clé des Ondes (90.1)