Nous vous proposons en deux parties et deux publications successives un éclairage sur un auteur dont on sait (trop) peu qu’il fut critique face à la colonisation, en Algérie en particulier, ce qui pu avoir à l’époque un impact sur l’opinion publique car ses positions étaient publiés jusqu’à la Une d’un journal populaire. Hélas, Guy de Maupassant était de son temps et partageait des opinions racistes, antisémites et sexistes. Humaniste d’un côté et sommairement réactionnaire de l’autre, ce sont ces deux faces que nous vous proposons alternativement.
Guy de Maupassant, un auteur du 19eme siècle que tout un chacun croise inévitablement dans sa scolarité, on connait de lui quelques romans, Bel ami et Une vie pour citer les plus connus et surtout des nouvelles, beaucoup de nouvelles Le Horla , Les Contes de la bécasse , Boule de suif etc…des récits de voyage et de nombreux articles pour la presse de l’époque. En particulier, ceux qu’il donna au Gaulois lors de plusieurs voyages en Algérie et qui furent publiés en recueil sous le titre Lettres d’Afrique en 1990 par la Boite à Documents.
« Conserver le droit de dire du mal… »
Henry-René-Albert-Guy de Maupassant né en 1850 et meurt syphilitique et paranoïaque à 43 ans. Proche de Gustave Flaubert, normand comme lui, et d’Emile Zola, il connaît un considérable succès de son vivant. Le grand Léon Tolstoï ira même jusqu’à déclarer à propos du roman Une vie que c’est « un roman de premier ordre ; non-seulement c’est la meilleure œuvre de Maupassant, mais peut-être même le meilleur roman français depuis Les Misérables de Victor Hugo. » Pas moins !
Esprit libre comme Victor Hugo, il repoussera les avances d’un ami qui lui propose de rentrer en franc-maçonnerie en ces termes « Je veux n’être jamais lié à aucun parti politique, quel qu’il soit, à aucune religion, à aucune secte, à aucune école ; ne jamais entrer dans aucune association professant certaines doctrines, ne m’incliner devant aucun dogme, devant aucune prime et aucun principe, et cela uniquement pour conserver le droit d’en dire du mal »
En 1881, il voyage en Algérie missionné par le Gaulois, un journal qualifié à cette période de républicain modéré. Maupassant va publier des lettres signées non pas de son nom mais un colon. Le journal introduit l’affaire en ses termes « Un homme très considérable de l’Algérie, et qui l’habite depuis l’enfance, nous adressa la lettre suivante, la première d’une série sur l’état actuel de nos possessions algériennes ».
Mais Maupassant qui se cache donc derrière ce colon anonyme voit là l’occasion (rémunérée, c’est aussi ça le grand reportage) de découvrir des contrées qui hantent ses rêves…
« Voir l’Afrique était un de mes vieux rêves ; et je voulais la voir, cette terre du soleil et du sable, en plein été, sous la pesante chaleur, dans l’éblouissement furieux de la lumière.»
Des hommes poussés à bout
Mais le reporter normand n’aura pas vraiment le temps de profiter de la lumière algéroise, il débarque au début de l’insurrection du sud oranais conduite par Bouamama contre les autorités coloniales françaises, et c’est en Une du Gaulois que sera publiée cette critique. Que je vous livre, c’est un peu long comme beaucoup des citations contenues dans cette chronique mais cela évite surtout de tomber dans le piège de l’extrait qui à force de réduire n’a plus beaucoup de sens.
« Rien ne peut donner une idée de l’intolérable situation que nous faisons aux Arabes. Le principe de la colonisation française consiste à les faire crever de faim. (…)Quand ils se révoltent nous pardonnons trop vite peut-être mais que faire ? Nous sommes 300 000 européens contre près de 3 millions d’indigènes. Nous n’avons pas dans l’intérieur un colon pour cent Arabes. Quand ils sont sages nous les affamons. La famine est donc venue cette année, une famine affreuse, complète, c’était la mort pour des milliers d’hommes. Alors un exalté et un ambitieux, ce Bou Hamama, est venu, courant les douars, chauffant les esprits, se disant l’envoyé de Dieu et il a levé des cavaliers. Réclamant simplement ce qui est un droit pour tous, la vie. Si le gouvernement ne cède pas, il y aura quelques milliers de cavaliers de plus pour suivre Bou Hamama et piller nos convois de vivres. En somme tout se borne à une guerre de maraudeurs et de pillards affamés. Ils sont peu nombreux mais hardis et désespérés comme des hommes poussés à bout. Mais comme le fanatisme s’en mêle, comme les marabouts travaillent sans repos la population, comme le gouvernement français semble accumuler les âneries, il se peut que cette simple révolte – insurrection religieuse avortée – devienne enfin une guerre générale que nous devrons surtout à notre impéritie et à notre imprévoyance. »
Chasser et spolier les indigènes
Plus loin il ajoute ceci :
le colon ne voit dans l’Arabe que l’ennemi à qui il faut disputer la terre. Il le hait instinctivement, le poursuit sans cesse et le dépouille quand il peut. L’Arabe le lui rend. L’hostilité guerroyante des Arabes et des colons empêche donc que ces derniers aient aucune action civilisatrice sur les premiers..
Soyons clair, Maupassant ne se prononce pas contre la colonisation mais contre la manière de faire, notamment cette pratique de spoliation des Algériens qu’il décrit en ces termes.
« Voici les différents systèmes employés pour chasser et spolier les misérables propriétaires indigènes. Un particulier quelconque, quittant la France, va demander au bureau chargé de la répartition des terrains une concession en Algérie. On lui présente un chapeau avec des papiers dedans, et il tire un numéro correspondant à un lot de terre. Ce lot, désormais, lui appartient. Il part. Il trouve là-bas, dans un village indigène, toute une famille installée sur la concession qu’on lui a désignée. Cette famille a défriché, mis en rapport ce bien sur lequel elle vit. Elle ne possède rien d’autre. L’étranger l’expulse. Elle s’en va, résignée, puisque c’est la loi française. Mais ces gens, sans ressources désormais, gagnent le désert et deviennent des révoltés. D’autre fois, on s’entend. Le colon européen, effrayé par la chaleur et l’aspect du pays, entre en pourparlers avec le Kabyle, qui devient son fermier. Et l’indigène, resté sur sa terre, envoie, bon an, mal an, quinze cents, ou deux mille francs à l’Européen retourné en France. Cela équivaut à une concession de bureau de tabac ».
L’administration en prend aussi pour son grade ! « Voilà donc un de ces jeunes ignorants administrant cinquante ou cent mille hommes. Il fait sottise sur sottise et ruine le pays. C’est naturel. Il existe des exceptions. Parfois le délégué tout-puissant du gouverneur travaille, cherche à s’instruire et à comprendre. Il lui faudrait dix ans pour se mettre un peu au courant. Au bout de six mois, on le change. On l’envoie, pour des raisons de famille, de convenances personnelles ou autres, de la frontière de Tunis à la frontière du Maroc; et là il se remet aussitôt à administrer avec les mêmes moyens qu’il employait là-bas, confiant dans son commencement d’expérience, appliquant à ces populations essentiellement différentes les mêmes règlements et les mêmes procédés »
Jean-François Meekel
A suivre …