Journal Echos du Nord du lundi 11 octobre 2021. Libreville/Gabon.
Monsieur le Président,
Comme de nombreux citoyens africains, nous avons observé et analysé les contours du sommet Afrique-France que vous avez présidé à Montpellier les 8 et 9 octobre. Il est donc opportun de vous livrer notre sentiment, au moment où la France s’est, une énième fois, permis, loin de tout processus démocratique de représentation, de nous fabriquer des porte-parole à 6 000 kilomètres de Libreville.
Comment ne pas y voir un penchant paternaliste que vous réfutiez, par simple courtoisie, sur le podium dudit sommet ? Cette grand-messe n’était, à notre sens, qu’un théâtre de communication électorale visant votre réélection l’année prochaine.
Cependant, nous sommes bien d’accord avec vous, lorsque que vous affirmiez, en conclusion de cette rencontre, que « c’est vous (les Africains, Ndlr) qui changerez l’Afrique. La France ne changera pas l’Afrique ».
C’est pourquoi il est indécent que de tels sommets se tiennent hors de notre continent. Nous le considérons comme une méprise, au même titre que cet autre sommet organisé le 6 octobre à la mairie de Paris sur la préservation des forêts du bassin du Congo.
En termes de réciprocité, combien de sommets organisons-nous en Afrique sur quelque domaine associé à la vie politique ou sociale de la France ? Tel se présente le visage hideux du paternalisme.
Et pour démontrer à quel point ce sommet Afrique-France ne portait pas sur nos aspirations profondes, il nous suffit de pointer le Fonds de soutien à la démocratie financé prochainement par la France, sur proposition de l’intellectuel camerounais Achille Mbembe.
Que valent ces 30 millions d’euros à décaisser sur trois ans pour tout un continent qui ne manque pourtant pas d’argent, au regard des richesses que la France y exploite depuis des décennies ? Oui, 30 millions d’euros : c’est moins de 20 milliards de FCFA !
Un montant qui ferait bien rigoler nos dictateurs. Car c’est à peine ce qu’ils dilapident en Europe, pour le plus grand bien de vos économies, entre scandales des « biens mal acquis » et autres mignardises qui ne vous empêchent pas de légitimer leur forfaiture après chaque scrutin présidentiel. Et c’est le cas d’Ali Bongo Ondimba et les siens ici au Gabon.
Monsieur le Président,
Ce n’est pas de l’aumône ou de la pitié que les jeunesses africaines attendent de la France. Décomplexées, elles voudraient, comme vous, vivre dans des pays aux institutions fortes. A l’image de celles qui vous ont permis, à trente-neuf ans, de devenir président de la République française.
Celles qui permettent aux Françaises et aux Français d’obtenir les résultats électoraux à 20 heures sur le petit écran, le jour même de l’élection présidentielle. Pourtant, la France comptait près de 47 millions d’électeurs en 2017, contre un demi-million pour le Gabon en 2016.
Serait-ce la raison pour laquelle Ali Bongo Ondimba use de violences et de tripatouillages divers pour s’imposer au pouvoir ? Sans que la France, la patrie des droits de l’homme, ne daigne fermement condamner ces agissements.
La diaspora gabonaise de France, qui se mobilise depuis la dernière élection présidentielle, vous le crie en permanence place du Trocadéro. Cette France et vous êtes donc informés à propos.
Mais vous choisissez de biaiser, en triant sur le volet des jeunesses qui vous semblent conciliantes pour vos sommets. Celles qui ne vous opposent que des débats à portée généraliste. Alors que ce sont des hommes et des femmes, clairement identifiés, comme Ali Bongo Ondimba et Marie Madeleine Mborantsuo au Gabon, qui tordent le cou à nos Constitutions et lois électorales pour s’imposer au pouvoir, contre la volonté de la majorité.
Monsieur le Président,
Loin d’être naïfs, nous savons qu’il a toujours existé une constance dans les rapports humains. Elle se résume à considérer que « la puissance ne respecte que la puissance ». Ce n’est donc pas vrai d’affirmer comme vous, lors dudit sommet, que le président de la République française est en mesure de parler d’égal à égal avec les sociétés civiles africaines.
Lorsqu’on a le pouvoir de déclencher une guerre nucléaire, on ne négocie pas avec celles et ceux qui en sont incapables. On s’impose à eux de force ou par des campagnes électoralistes subliminales. Et c’est le cas de le dire. Campagnes qui procurent de façon éphémère le sentiment d’être considérés. Parce que, avouons-le, nombreux parmi nos frères et sœurs africains sont à la recherche permanente de cette reconnaissance française exclusive.
Pour toutes ces raisons, nous étions de ceux qui avaient choisi de poursuivre leurs études en milieu anglophone. Nous avons participé à écrire des ouvrages récents (Esquisse de la Constitution de la deuxième République gabonaise et son Exposé des motifs, de l’ancien président du Conseil économique et social, Edmond Okemvele Nkogho) qui démontrent que l’espace anglophone africain vit dans un imaginaire psychologique davantage libre. Au point que ses peuples sont plus prospères que ceux de nos enclos francophones. Rappelez-vous le discours de franchise que vous tenait le président ghanéen, Nana Akufo-Addo, en décembre 2017.
« On ne peut pas continuer à faire des politiques pour nous, dans nos pays, dans nos régions, sur notre continent sur la base du soutien que le monde occidental, la France ou l’UE, voudrait bien nous donner. Ça ne va pas marcher, ça n’a pas marché hier et ça ne marchera pas demain. »
Monsieur le Président,
Ces mots ne vont certainement pas impressionner une puissance mondiale comme la France. Mais ils auront le mérite de vous rappeler que nous sommes prêts à inviter les peuples africains à se détacher de la culture francophone et de la France en général. Aussi longtemps que vous soutiendrez implicitement ou explicitement les dictateurs africains et leurs oppressants systèmes de gouvernance. Ceux qui étendent leurs ramifications dans les milieux ésotériques, politiques et affairistes français. Convaincus de ce que la prospérité de la France est incompatible avec la nôtre.
La nouvelle Afrique est déjà en éveil. Elle n’était d’ailleurs pas représentée à votre sommet Afrique-France. Parce qu’elle tient à se réapproprier nos nations originelles et le destin collectif d’une Afrique forte et unie aux plans culturel, économique, militaire, monétaire et financier. Si la France veut réellement changer de paradigme, elle trouvera des partenaires parmi nous. Autrement, elle trouvera des adversaires. Nos devanciers panafricanistes ont commencé ce noble engagement, avec la ferme conviction que nous, leurs enfants et descendants, le poursuivrons. Nous y sommes.
Pour notre dignité et notre vraie liberté.