Cher ami, assiégé de Marioupol,
Je ne te connais pas mais je sais que tu souffres ! Nul autre que moi, qui suis palestinien, ne peut
mesurer l’intensité de ta détresse. Je sais ton effroi devant le visage défait de ta femme et de tes
enfants. Tu lis dans leurs yeux les ravages des bombardements, la peur au bruit lugubre des
avions juste avant qu’ils ne crachent leurs engins de mort et la terre qui tremble, secouant leurs
entrailles, figeant le sang dans leurs veines.
J’ai connu tout ça à Gaza, j’ai appris à reconnaître à son sifflement le bruit d’un canon ou celui
d’un missile de drone et jusqu’à la marque de l’un ou de l’autre. J’ai connu avant toi les
immeubles en feu, éventrés, fracassés, affaissés sur eux-mêmes comme des châteaux de cartes.
J’ai connu la faim, la soif, la terreur, les blessures physiques et plus profondes encore les blessures
psychologiques qui font qu’un homme est transformé d’un coup en une bête désespérée
déféquant à chaque explosion.
Tu as cependant dans ton indicible misère quelques lueurs d’espoir : quand tu prends les armes,
tu es un héros, moi je reste un terroriste ! Ta résistance crève les écrans des médias, la mienne
crève de crever en silence ! Tes hôpitaux, détruits au prétexte d’abriter des soldats se servant de
civils comme boucliers humains, sont réputés passibles de la cour pénale internationale, les
miens dans les mêmes conditions ne sont désignés que comme une réponse de légitime défense.
L’aide internationale afflue pour toi de toute part ; si peu pour moi dont même les manifestations
de soutien en ma faveur sont interdites à Paris. Je crains pour l’Humanité que cette différence de
traitement ne tienne qu’à une seule cause : tu es un Européen et moi non ! Triste !
J’ai connu aussi les bombes à fragmentation et même au phosphore blanc. Sais-tu par exemple
que l’actuel premier ministre Israélien Naftali Bennett, pour qui l’Occident n’a plus que les yeux de
Chimène depuis qu’il a voulu demander à Poutine l’arrêt des tueries de civils, a lui-même en 1996
ordonné de bombarder mon village de Cana abritant les Nations unies et de nombreux réfugiés
tuant 102 des miens et 4 casques bleus (Wikipédia). Tu vois, le monde n’est pas pourri que pour
toi. Le cynisme règne en maître.
Les Russes viendraient-t-ils bientôt implanter leurs maisons du côté de chez toi, ou à Odessa et
tisseraient-ils une toile entre leurs différentes cités effrontément et comme le signe de ta défaite
et ton humiliation une toile d’autoroutes interdites aux Ukrainiens. Et pourtant c’est ce qui m’est
arrivé et que je subis depuis de longues années !
Garde confiance tout de même, cher ami inconnu, ce cauchemar passera pour toi comme pour
moi. Nous défendons des causes qui dépassent de loin notre pauvre vie ! Ukraine vaincra !
Palestine vivra !
Paris le 15 mars 2022