Être journaliste comporte des risques, probablement plus que jadis, et y compris quand on travaille pour un petit média local. C’est ce qu’illustrent les témoignages de Florence Aubenas et Morgan Large, présentes dans une table ronde du festival de journalisme de Couthures-sur-Garonne animée par Pauline Adès-Mevel de RSF (Reporters sans frontières), ce 11 juillet 2021
En ouverture, on évoque la situation d’Olivier Dubois, correspondant stringer local de médias français (dont Libération et Le point) au Mali, enlevé à Gao le 8 avril dernier par le même groupe qui avait enlevé la Française Sophie Pétronin. Ses amis, soutenus par des confrères et par RSF, ont lancé une campagne de soutien et demande de libération.
On évoque aussi la situation d’Omar Radi et Soulaiman Raissouni, deux journalistes marocains victimes de détention arbitraire pour avoir librement exercé leur métier, soutenus par RSF, plusieurs comités internationaux et par Ancrage. Soulaiman, au 11 juillet, en est à son 93e jour de grève de la faim, ultime arme pour faire valoir ses droits.
Et puis ce journaliste néerlandais qui, quelques jours plus tôt, avait été attaqué parce qu’il avait écrit sur le système de corruption.
À ce jour, 400 journalistes sont détenus dans le monde, victimes de pressions que les gouvernements exercent sur eux. Bref, la liberté de la presse ou liberté d’expression, est bien malmenée, de par le monde, tout comme la sécurité des journalistes. Le Maroc est classé 136e sur 185 pays, selon le rapport annuel de RSF, tandis que la France occupe la 34e place. Qu’est-ce qui pose problème chez nous ? Entre autres, la loi de sécurité globale et principalement son article 24 relatif aux relations des journalistes aux forces de l’ordre, en cette période où les violences policières à l’égard des journalistes ne cessent d’augmenter.
Florence Aubenas, grand reporter au Monde, qui a été otage de forces islamistes en Irak pendant six mois en 2005, précise que les conditions de prises d’otages sont devenues différentes depuis le 11 septembre 2001. Avant cette date, une prise d’otages signifiait qu’il y aurait libération contre quelque chose (argent, armes, personnes, situation politique) après négociations avec le groupe responsable de l’enlèvement, possédant en général une infrastructure très organisée dans les moindres détails. Depuis les attentats du 11 septembre, Al Quaida et les autres groupes extrémistes procèdent à des enlèvements d’otages pour s’en servir à un moment donné : convaincus qu’ils ne gagneront pas la bataille militaire, ils misent sur la bataille médiatique en guise de revanche et organisent des exécutions filmées diffusées sur internet.
La mobilisation des citoyens est capitale. Elle demeure le principal levier positif sur le moral des victimes et exerce une pression sur les gouvernements concernés. Les Américains sont ceux qui ont le plus d’otages dans le monde et, à l’instar des Anglais et d’autres pays anglophones, ne souhaitent pas négocier avec des criminels. La France, en revanche, recherche souvent la négociation, même si elle s’avère parfois très compliquée et délicate. Pour Florence Aubenas, la force de la démocratie, c’est de discuter, y compris avec des salauds, tout en gardant une transparence sur les affaires.
Au plus près de nous, les journalistes ne sont pas enlevés ni emprisonnés arbitrairement, mais autrement menacés, en particulier lorsqu’ils touchent à des sujets qui dérangent. Il faut savoir que les lobbies, et autres puissants du pouvoir économique, s’imposent par la peur et, par le biais de menaces et diverses formes d’intimidation, transforment la vie de journalistes en un véritable enfer. C’est le cas de Morgan Large, journaliste bretonne spécialisée en agro-alimentaire qui exerce principalement à Radio Kreiz Breizh et qui a lancé un collectif pour la liberté d’informer sur l’agro-alimentaire en Bretagne. Elle avait déjà évoqué, à la radio comme à la télé, la collusion entre les intérêts des industriels et agriculteurs locaux et leurs positions d’élus. La riposte de la FNSEA – entre autres ? – ne s’est pas fait attendre : ils ont publié contre elle sur les réseaux sociaux, les portes de la radio ont été forcées et l’équipe radio, comme elle, a reçu des menaces. On pénètre de nuit chez elle, on empoisonne son chien, on la surveille, on sabote son véhicule… l’enfer ! Son média la soutient, tout comme le SNJ et RSF. Il s’agit bien, malheureusement, d’une illustration de ce qu’elle dénonce : la toute-puissance des lobbies et des intérêts personnels qui agissent de façon malveillante et criminelle lorsqu’on s’intéresse – c’est le cas ici avec l’agro-alimentaire – à un secteur important de la vie des citoyens et de leur sécurité sur lequel il s’avère nécessaire de communiquer et informer.
Il arrive de plus en plus souvent que le « puissant » attaque en justice le journaliste et, la veille du procès, retire sa plainte. C’est ce que l’on appelle le procès bâillon, qui veut montrer au journaliste qui est-ce qui est le plus fort et continuer d’intimider. Au Maroc, par exemple, on convoque le journaliste à l’audience de son procès (pour peu qu’il soit poursuivi en liberté) et on la reporte d’une fois sur l’autre pendant des années. Dans les deux cas, le journaliste vit avec une épée de Damoclès au-dessus de sa tête. Plus grave encore, la force occulte publie la date de naissance du journaliste accolée à sa date de mort annoncée !… Cela se passe en France et cette méthode glaciale rappelle encore une fois celle des médias diffamatoires de la police politique marocaine.
Il ne faut pas que le journaliste se retrouve seul, même si son média employeur, cédant à la pression, ne le soutient plus. Il ne faut pas cesser d’informer sur ces situations, de les dénoncer, d’apporter notre soutien citoyen, afin que la liberté de la presse reste un droit des citoyens et que les conditions d’exercice des journalistes soient préservées.
Sandrine Lacombe