Qui étaient-ils ces “pitauds” – mot pour désigner les piteux – ces misérables pour lesquels les élites n’avaient pas ou peu de considération ?
En juin 2021, un colloque fut organisé au Musée d’Aquitaine de Bordeaux, intitulé : “Les révoltes populaires en Aquitaine, des Pitauds aux Gilets jaunes”. Le mot “pitaud” désignait autrefois, les piteux, ces misérables qui faisaient pitié, et que les élites considéraient comme des hommes de peu de valeur. On sait que l’une des raisons qui alimenta la colère des gilets jaunes fut le sentiment d’être méprisés par les dirigeants de notre pays. Mais le principal point commun entre les pitauds et les gilets jaunes, c’est que les uns et les autres ont surgi sur la scène de l’histoire en s’engageant dans une vaste révolte contre un projet de taxe que le pouvoir d’Etat voulait leur imposer.
Pour financer la guerre qu’il menait alors dans le Piémont, François Ier décida que la production et le commerce du sel seraient désormais un monopole d’État
Les émeutes qui éclatèrent en 1548 dans le Sud Ouest marquèrent le point de départ des grandes luttes collectives contre l’instauration de la gabelle en Aquitaine. Pour financer la guerre qu’il menait alors dans le Piémont, François Ier décida que la production et le commerce du sel seraient désormais un monopole d’État. Les gens devaient se le procurer exclusivement dans les greniers de sel, moyennant le paiement d’une taxe.
Un impôt particulièrement impopulaire
Dans tout le royaume de France, cet impôt était particulièrement impopulaire car la salaison était le seul moyen de conserver les aliments. La colère fut décuplée dans les deux provinces qu’on appelait l’Angoumois et la Saintonge parce qu’on y trouvait beaucoup de marais salants où le sel s’échangeait librement jusque là. Pour échapper aux taxes, la contrebande s’installa rapidement. Les officiers de la gabelle, auxquels le pouvoir royal avait sous-traité l’encaissement des taxes, pourchassaient sans relâche les trafiquants.
C’est d’abord pour libérer des contrebandiers emprisonnés qu’éclata la révolte de 1548. Puis celle-ci se répandit comme une traînée de poudre, rassemblant jusqu’à 20 000 hommes. A Bordeaux, les insurgés massacrèrent le lieutenant-général de Guyenne au moment où il s’approchait pour parlementer. Son corps fut dépecé et enterré tout saupoudré de sel. Michel de Montaigne, âgé alors de 15 ans, assista à cette exécution qui le traumatisa. Il en parle d’ailleurs dans ses fameux Essais qu’il entreprit de rédiger à partir de 1572 (…)