par Benoît Collombat, Cellule investigation de Radio France publié le 29 octobre 2021 à 7h09
Créée en 2019 pour lutter contre la délinquance dans le monde agricole, la cellule Demeter suscite la défiance des associations environnementales. Elles accusent les pouvoirs publics de criminaliser la critique du modèle agricole dominant.
“C’est le début de la muselière pour des associations comme la nôtre.” Depuis que les gendarmes s’intéressent à ses activités militantes, Henri Plandé alerte. En février 2020, le président de l’association Alertes Pesticides de Haute-Gironde a organisé un débat citoyen sur les pesticides, à Blaye (Nouvelle-Aquitaine). Une initiative qui lui vaut d’être suivi de près par la gendarmerie nationale qui l’appelle à plusieurs reprises afin “d’avoir des informations” sur le contenu de la réunion et ses participants. “J’étais très étonné”, confie Henri Plandé. “Je leur ai demandé si c’étaient les Renseignement Généraux.” https://www.dailymotion.com/embed/video/x855lcb
Deux gendarmes finissent par se rendre à son domicile. “Ils portaient leurs armes et leurs gilets pare-balles, c’était hallucinant”, se souvient le président de l’association écologiste. “Le vieil instituteur que je suis est scandalisé. Jamais je n’aurais imaginé vivre une chose pareille en France. On cherche à intimider les associations comme la nôtre.” https://3807eddc6a73fc9a8a7c60f5b17252ac.safeframe.googlesyndication.com/safeframe/1-0-38/html/container.html
À l’origine de cette visite inhabituelle se trouve un dispositif, lancé publiquement en décembre 2019 par le ministre de l’Intérieur de l’époque, Christophe Castaner : “Une cellule spécifique pour lutter contre les atteintes agricoles” baptisée Demeter (du nom de la déesse grecque des moissons).
Demeter : un outil contre les actes crapuleux
Selon le document officiel de présentation du ministère de l’Intérieur, cette cellule a un objectif : lutter contre les actes crapuleux (comme les vols de gasoil ou de matériel) et la criminalité organisée.
Pour le principal syndicat agricole, la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA), “il fallait envoyer un signal politique et mettre un coup d’arrêt à la montée en puissance d’un mouvement anti-élevage et anti-viande qui a recours à des actes très violents comme des abattoirs incendiés ou des inscriptions du genre ‘éleveurs = nazis’”, estime le vice-président de la FNSEA, Etienne Gangneron. “Les vols en exploitation s’accélèrent”, renchéri le président de la FNSEA du Cher, Arnaud Lespagnol. “Nous avons des matériels de plus en plus sophistiqués, du type GPS, qui lorsqu’ils sont dérobés constituent des préjudices importants.”
Une analyse que conteste la Confédération paysanne. “Bien sûr qu’il y a des problèmes de malveillances vis-à-vis des paysans, des vols de moutons ou de tronçonneuses”, explique le porte-parole de la Confédération paysanne des Côtes d’Armor, Emmanuel Louail. “Mais il n’y a pas besoin de la cellule Demeter pour lutter contre ça. La gendarmerie existait avant 2019.” Par ailleurs, les chiffres officiels du ministère de l’Intérieur et de la gendarmerie nationale, cités par le média Reporterre, ne montrent pas d’augmentation considérable de la délinquance agricole : les vols avec violences ont même diminué en 2019, tandis “qu’une vingtaine de cas d’intrusions dans des élevages ou libérations d’animaux par des militants antispécistes” ont été relevés la même année.
Un instrument au service de la FNSEA ?
Autre sujet de polémique : La cellule Demeter s’appuie sur une convention de partenariat signée entre la FNSEA, les Jeunes agriculteurs (JA) et le ministère de l’Intérieur ainsi que la Direction générale de la gendarmerie nationale (DGGN). Cette convention prévoit “de renforcer, de façon significative, leur partenariat pour parfaire la sécurité des exploitations agricoles”. Mais les autres syndicats agricoles n’ont pas été associés à cette convention.
“Nous avions besoin d’avoir un meilleur échange avec les gendarmes”, assure Arnaud Lespagnol de la FNSEA. “Les agriculteurs voient ce qu’il se passe dans le monde rural, ils doivent travailler avec eux pour être en quelque sorte leurs informateurs. Avec la suppression de certaines gendarmeries, la relation avec le terrain était devenue plus compliquée. Quand des gendarmes doivent patrouiller sur cinquante communes au lieu de dix auparavant, il est beaucoup plus difficile de faire remonter l’information.”
Une analyse fermement contestée par des syndicats plus critiques vis-à-vis du modèle agricole actuel, comme la Confédération paysanne. “On va mettre un képi dans la tête des gens”, s’insurge Emmanuel Louail de la Confédération paysanne des Côtes d’Armor. “En tant que paysans, nous avons vécu la mise en place de ce dispositif comme un coup de massue : avec la cellule Demeter, on répond à côté de la plaque à de vrais problèmes, alimentaires, financiers ou climatiques, auxquels il faudrait apporter une véritable solution. Les vols et les intrusions dans les fermes servent d’excuses pour criminaliser toute critique du système agroalimentaire.”
Convoqué pour une interview dans un champ
Mais ce qui pose surtout problème à une partie du monde associatif et du monde agricole, c’est un autre objectif qui a été assigné à la cellule Demeter. Celui de réprimer “des actions de nature idéologique, qu’il s’agisse de simples actions symboliques de dénigrement du milieu agricole ou d’actions dures ayant des répercussions matérielles ou physiques”. Avec en arrière-plan, la volonté de lutter contre “l’agribashing”, le terme utilisé par les pouvoirs publics pour qualifier ce qu’ils considèrent comme du dénigrement du monde agricole.
“Ce terme a été inventé par l’industrie agricole”, estime Antoine Gatet, vice-président de la Fédération Nature Environnement (FNE), également juriste à l’association Sources et rivières du Limousin. En janvier 2020, il est contacté par des journalistes de France 3 qui réalisent un reportage sur l’installation controversée d’une serre industrielle de tomates hors sol dans une zone humide. Le juriste développe devant la caméra des journalistes, et aux côtés du président de la Confédération paysanne de Corrèze, son opposition à ce projet. L’interview se déroule sur un terrain agricole non clôturé, à l’extérieur du site controversé.
Surprise : quatre mois après la diffusion du reportage, Antoine Gatet reçoit la visite de gendarmes, à son domicile, à la demande du Procureur de la République de Tulle. On lui explique qu’il doit être entendu comme témoin dans le cadre d’une enquête pour “violation de domicile”, considérant que le militant associatif aurait pénétré illégalement sur le terrain du propriétaire de la serre industrielle.
“Je découvre la mise en œuvre de ce nouveau mécanisme Demeter : les agriculteurs ont visiblement été mécontents que le reportage de France 3 montre que l’installation de leur serre détruisait des zones humides”, témoigne Antoine Gatet. https://www.youtube.com/embed/z_go14bmIPM?feature=oembed
Sur le fond, l’homme, avocat de profession, conteste la moindre violation de domicile, voyant dans cette procédure une tentative d’intimidation. “Il y a une grosse différence entre la propriété privée et le domicile : à aucun moment je ne suis rentré dans des bâtiments ou un espace clos”, poursuit le juriste de Sources et rivières du Limousin. “J’étais sur un terrain agricole. Juridiquement, cette procédure ne tient pas. C’est une situation ubuesque.”
Finalement, l’enquête ne donnera rien, mais “le mal est fait”, constate Antoine Gatet. “On porte atteinte à ma réputation en envoyant les gendarmes chez moi, mais on envoie surtout un message auprès de l’ensemble des bénévoles de l’association. Ils ont très mal vécu cette histoire. Difficile de les renvoyer sur le terrain après ça…”
Le juriste va plus loin : “Cette cellule Demeter légitime la violence locale du monde agricole productiviste. Et pour nous, ça devient dangereux. Désormais, nous sommes ciblés. Par exemple, des panneaux fleurissent en Corrèze, où l’on peut lire : ‘Respecte l’agriculteur ou dégage !’ ou : ‘Office français de la biodiversité. Bienvenue en enfer !’”
“Demeter leur a donné des ailes”, estime également Maryse Arditi, la présidente d’une association dans l’Aude (ECCLA) qualifiée de “collabo à la solde de la nazi-écologie” par le Syndicat des viticulteurs de l’Aude pour avoir pris position contre le traitement phytosanitaire par voie aérienne. “Comme si désormais les associations devaient la boucler. Cela montre en réalité que nos positions gagnent du terrain tous les jours et ça les énerve de plus en plus.”
Une roue de voiture déboulonnée
Cette violence liée à la critique d’une certaine forme d’agriculture, la journaliste bretonne Morgan Large en a fait elle aussi l’amère expérience. Pour avoir témoigné sur le lobby agroalimentaire et les poulaillers géants en Bretagne dans un documentaire diffusé sur France 5 (Bretagne, une terre sacrifiée) la journaliste de Radio Kreiz Breizh (RKB) a été victime de menaces et d’intimidations.
Sa photo a d’abord circulé sur les réseaux sociaux avec des commentaires hostiles. Puis ses animaux (chevaux et vaches) ont été mis en divagation, les locaux de sa radio ont été forcés, son chien a été intoxiqué… En mars 2021, les choses sont allées encore plus loin : “On est venu à mon domicile et on a enlevé deux boulons sur la roue arrière de ma voiture, raconte Morgan Large. J’ai sans doute roulé comme ça pendant plusieurs jours.” Une enquête a été ouverte, mais la journaliste n’a pas obtenu le numéro d’urgence qu’elle réclamait auprès de la gendarmerie en cas de présence suspecte aux abords de son domicile.
J’ai eu le sentiment que les gendarmes ne prenaient pas la mesure de ce qui m’était arrivé. C’est quand même un peu raide de devoir inspecter chaque matin ce qu’il y a sous votre voiture avant de partir au travail.”
“Parfois, ça me réveille la nuit. Une fois, alors que j’avais entendu du bruit, je n’ai pas réussi à me lever. Je suis restée immobile, comme sidérée. Il y a quand même un sacré décalage entre la cellule Demeter censée lutter contre l’agribashing et ma situation factuellement très inquiétante.”
https://www.franceinter.fr/societe/les-opposants-a-l-agriculture-intensive-dans-le-viseur-de-la-cellule-demeter?fbclid=IwAR1gI3J6Vpx3Gw7RzsM4LfrJC7xOybAt2ZYJ23feYpCWeJLlqaQGJ3a5NYY
Poursuivie par un tracteur
Autre exemple : le cas de la journaliste allemande Bettina Kaps. En mars 2021, elle se rend dans le village de Glomel (Côtes d’Armor) où réside Morgan Large afin de l’interviewer, parmi d’autres personnalités locales, dans le cadre d’un reportage radiophonique sur le poids de l’écologie avant les élections régionales. Alors qu’elle se promène avec son micro le long d’un champ, en fin de journée pour enregistrer de l’ambiance, un tracteur vient se porter à sa hauteur.
“Le tracteur ralentit, se souvient Bettina Kaps. Et un agriculteur me demande ce que je fais. Je lui explique que je suis une journaliste en train de réaliser un reportage et que je ne fais qu’enregistrer le bruit de son tracteur. Dix mètres plus loin, nous engageons à nouveau la conversation. Il me demande si je suis végétarienne, si je suis pour le bio, puis il m’explique qu’il rêve d’avoir un méthaniseur, ajoutant que cela ne va sûrement pas me plaire. Je sens bien qu’il veut me mettre dans un camp et voir si je suis pour ou contre lui.”
Soudain, la conversation bascule. “Lorsqu’il aperçoit mon micro, son ton change radicalement, précise la journaliste. Il me tutoie et me dit : ‘Tu enregistres ?’ Il commence à m’insulter et à m’intimider. Il me dit : ‘Je vais appeler la gendarmerie.’ Je lui réponds : ‘La cellule Demeter ?’ Puis il m’ordonne de rester là jusqu’à ce que les gendarmes arrivent. Je suis vraiment mal à l’aise, je me sens agressée. Je décide alors de quitter les lieux et de rentrer à mon hôtel. Mais l’agriculteur me poursuit avec son tracteur. Il se met en travers de la route pour tenter de m’arrêter. Par chance, je réussis à entrer par l’arrière de mon hôtel, en passant par la cuisine.”
À peine installée dans la salle de restauration de son hôtel, Bettina Kaps entend quelqu’un frapper à la porte : l’agriculteur l’a suivie jusque-là. Mais il n’est pas seul. “Il me dit : ‘Tu sors tout de suite ! Les gendarmes sont là !’. Je me rends donc dans la cuisine où se trouve l’agriculteur et deux gendarmes, un homme et une femme. Devant eux, l’agriculteur me qualifie de ‘garce’, au bout d’un moment je finis par dire aux gendarmes : ‘Vous voyez comment il se comporte ? Et vous ne lui dites rien ? Je pourrais porter plainte contre lui pour insulte.’ Les gendarmes me font comprendre que ça ne mènera nulle part.”
La journaliste explique qu’on lui demande alors d’aller chercher son enregistreur radio rangé dans sa chambre. “Les gendarmes m’obligent à effacer l’enregistrement de ma conversation avec l’agriculteur”, témoigne la journaliste. “Dans le feu de l’action, je m’exécute. C’est une situation vraiment incroyable.” Les gendarmes expliqueront par la suite avoir voulu apaiser la situation avec l’agriculteur sans aucune volonté de faire pression sur le travail de la journaliste.
Un maire sous pression
Dans son bureau de la mairie de Glomel, le maire Thierry Troël a rapidement eu vent de cette histoire, tout comme du sabotage de la voiture de Morgan Large. Cet ancien conseiller régional Europe Écologie-Les Verts décide alors de publier un communiqué condamnant les faits et appelant au respect des règles de la République. Quelques heures plus tard, il reçoit la visite des gendarmes à son domicile. “ Ils m’expliquent que la réaction de l’agriculteur est légitime. Je suis vraiment surpris par leurs propos. Ils veulent tenter de me convaincre que les torts sont plutôt du côté de la journaliste allemande car l’affaire commence à faire du bruit.”
Puis le maire de Glomel reçoit une autre visite, cette fois en mairie. L’agriculteur dont la journaliste allemande a croisé la route“ vient me voir avec son frère et me dit : ‘Tu n’as qu’un son de cloche. Les choses ne se sont pas passées comme ça.’ Il me conseille vivement de rédiger un démenti pour, je reprends sa formule, ‘ne pas avoir d’ennuis avec les syndicats’. Il s’agit clairement d’une pression à laquelle j’ai résisté”, raconte Thierry Troël.Contacté, l’agriculteur n’a pas souhaité répondre à nos questions.
Cette montée de la tension, Thierry Troël, par ailleurs agriculteur bio depuis dix ans, la constate sur le terrain depuis plusieurs années. À l’occasion de la campagne municipale qui a précédé son élection en juillet 2020, “Un tract diffamatoire contre moi a été distribué”, raconte-t-il. “On m’accusait de maltraitance animale et d’alcoolisme. L’objectif était de sidérer les gens pour empêcher mon élection.” La manœuvre a échoué, mais l’enquête sur l’origine de ce tract n’a rien donné.
Des interventions au sein de lycées agricoles
Les lycées agricoles, sous tutelle du ministère de l’Agriculture, constituent également un “champ de bataille” idéologique, dans lequel les interventions des pouvoirs publics ou de certains syndicats ne sont pas anodines. Ainsi, en mai 2021, un adjudant de gendarmerie est intervenu auprès d’une classe d’un lycée privé agricole à Derval (Loire-Atlantique) au côté du syndicat des JA sur le thème de “l’agribashing”.
Une initiative pour l’instant isolée mais qui préoccupe le secrétaire général du Snetap-FSU, le principal syndicat national de l’enseignement technique agricole public, Frédéric Chassagnette : “Ce type de démarche sort du cadre du service public de la gendarmerie, car c’est un certain modèle d’agriculture qui est mis en avant. Pour l’instant, nous n’avons pas relevé d’interventions similaires dans les lycées agricoles publics. En revanche, dans le Limousin, nous avons des établissements publics agricoles qui, à l’initiative des préfectures ont été ‘invités’ à faire partie d’observatoires Demeter. Et ça franchement, ça nous interroge. Notre domaine c’est la formation et l’éducation, pas la répression ou la suspicion.”
En mars 2021, une exposition de photos s’inspirant de peintures anciennes a également été organisée au sein du lycée privé agricole La Touche de Ploërmel (Morbihan) afin de “célébrer la beauté de la gestuelle paysanne pour mettre en lumière une profession parfois décriée.” “L’idée c’était de défendre ‘l’agriloving'”, explique un professeur d’éducation socioculturel à Ouest-France. Les élèves sont blessés par l’agribashing, on s’en prend à leur futur métier.” “Cette exposition a été soutenue par Eureden“, rappelle la journaliste Morgan Large. Il s’agit d’une coopérative incontournable dans le monde de l’agroalimentaire breton, avec 9 000 salariés et un chiffre d’affaires de plusieurs milliards.”
Par ailleurs, ces dernières années, le syndicat Snetap-FSU a relevé une série d’interventions qu’il juge préoccupantes au sujet du contenu pédagogique des lycées agricoles. En 2015, les JA interviennent pour s’opposer à l’organisation d’une journée sans viande dans un lycée agricole à Melle (Deux-Sèvres), l’assimilant à du “militantisme anti-viande”. Deux ans plus tard, dans le même établissement scolaire, le projet d’une étudiante sur la question de notre rapport aux animaux est également bloqué.
Autre exemple : en octobre 2017, la direction d’un établissement d’Auvergne-Rhône-Alpes interdit à des enseignants d’organiser une sortie avec leurs élèves pour la projection du film Petit paysan d’Hubert Charuel (César 2018 du meilleur premier film) estimant que ce film pourrait heurter les élèves et qu’il ne présenterait pas une image fidèle du métier d’agriculteur. “Ce qui est particulièrement troublant, c’est que lorsqu’elle officialise sa demande d’annulation de cette projection par mail, la directrice d’établissement met en copie la directrice de la chambre d’agriculture”, relève Frédéric Chassagnette, secrétaire général du Snetap-FSU.
À la même époque, la Direction régionale de l’alimentation, de l’agriculture et de la forêt (Draaf) Auvergne-Rhône-Alpes demande aux équipes pédagogiques de l’enseignement public de n’organiser aucun “débat partisan” sur le retour du loup qui “engendre beaucoup de conséquences négatives sur l’élevage” ainsi que “des débats le plus souvent polémiques”.
“Nous sommes extrêmement inquiets par ce type d’interventions”, conclut Frédéric Chassagnette. Son syndicat réclame au ministère de l’agriculture la mise en place d’un Observatoire de la liberté de l’enseignement pédagogique.
Une liberté associative fragilisée
Au-delà même de la cellule Demeter, en octobre 2020, un rapport conduit par un groupe de chercheurs à la demande de l’Observatoire des libertés associatives fait le constat “d’atteintes aux libertés associatives dans la France contemporaine”. L’analyse d’une centaine de cas révèle des pressions allant de la suppression de subventions à la privation de locaux, en passant par les procédures judiciaires abusives, les amendes à répétition ou l’atteinte réputationnelle. Est notamment cité le cas de la porte-parole de l’association de défense de l’environnement Sepanso des Landes, opposée à un projet de dragage d’un lac et dont la maison avait été qualifiée de “taudis” dans un message posté sur sa page Facebook personnelle par le maire d’Hossegor, suscitant des messages de menaces. Poursuivi par la militante environnementale le maire d’Hossegor a été relaxé.
“Il y a un recul de la liberté associative”, estime Benjamin Sourice de l’association VoxPublic. “Une criminalisation et une gestion beaucoup plus policière de l’opposition politique que représentent désormais les associations.” En février 2020, un collectif de 28 associations (dont la Ligue des droits de l’Homme) a réclamé la dissolution de la cellule Demeter au Premier ministre. Une initiative renouvelée en juillet 2020, par douze associations et un syndicat (la Confédération paysanne) auprès du ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, pointant les “dérapages” et se disant “extrêmement inquiets face aux nombreuses dérives possibles d’une cellule de renseignement au mandat flou”.
Cette préoccupation du monde associatif n’a fait que croître avec la loi du 24 août 2021 “confortant le respect des principes de la République”, également qualifiée dans le débat public de “loi contre le séparatisme.” “Cette loi renforce le contrôle sur les associations”, s’inquiète encore Benjamin Sourice. “L’État et les collectivités imposent aux associations de signer un contrat d’engagement républicain avec un certain nombre de critères à respecter, notamment le fait de ne pas avoir recours à la désobéissance civile qui fait pourtant partie du mode d’action des associations. De même, les aides matérielles ou les agréments pour agir en justice au nom de l’environnement pourront plus facilement être retirés. Tout cela va contribuer à faire taire les voix critiques et à étouffer le milieu associatif.”
Contactés au sujet de la cellule Demeter, ni Christophe Castaner, ni le ministère de l’Intérieur, ni la Direction générale de la gendarmerie nationale n’ont souhaité répondre aux questions de la cellule investigation de Radio France.
Pour aller plus loin :
- Podcast | Les Pieds sur terre (France Culture) – le Journal Breton d’Inès Léraud à propos des pressions et de l’omerta dans le monde agricole.
Épisode 6 : Conseillère municipale de Glomel, habitant de Glomel, et militant associatif à Hillion, simples citoyens, racontent les pressions, menaces, et injonctions au silence qu’ils ont rencontrées lorsqu’ils ont voulu parler des pollutions produites par le système agroalimentaire breton.
Épisode 7 : Enquête sur les pressions exercées par les Jeunes Agriculteurs, syndicat proche de la FNSEA, sur la pédagogie d’un lycée agricole.
Épisode 12 : Suite au témoignage de la conseillère municipale d’opposition dans le Journal breton, la subvention qu’attribuait la ville de Glomel à la radio locale RKB, a été supprimée. Enquête sur les raisons de cette suppression, qui met à jour les pressions insidieuses qui s’exerce sur les associations. - Article | Présentation de la cellule Demeter sur le site du ministère de l’agriculture
- Article et podcast | Qu’est ce que la cellule Demeter ? Reportage d’Anne-Laure Barral
- Article | Enquête de Libération sur la Cellule Demeter