Depuis le début de l’année, un terrain de 4 hectares est occupé sur la commune de Villenave-d’Ornon par des Roms de Roumanie. Depuis une ordonnance prononcée le 9 mars, et après le bidonville de Brazza, les occupants vivent dans la crainte d’une expulsion, que ni la Préfecture, ni la mairie n’ont confirmée.
Ce mercredi matin, sous le crachin de juillet, il n’y a pas grand monde au 32 chemin de Caminasse à Villenave-d’Ornon. Les hommes, travailleurs saisonniers pour la plupart, embauchent dès 6h dans les vignes du Médoc.
La majorité des familles du plus grand bidonville de la métropole bordelaise sont originaires de Bacău, ville du nord-est de la Roumanie, proche de la frontière moldave. Un huissier est passé la semaine dernière, mais aucun avis d’expulsion par écrit n’a été transmis aux familles. Selon certaines qui l’ont répété à Rue89 Bordeaux, il aurait été fait mention d’une expulsion « sous trois semaines ».
Occupé depuis le début de l’année, le terrain appartient à la mairie de Villenave-d’Ornon. Celle-ci a saisi le tribunal administratif de Bordeaux en référé pour demander une expulsion. L’ordonnance est tombée le 9 mars 2023 demandant « de libérer les lieux dans un délai de quarante-huit heures […] au risque de faire l’objet d’une expulsion avec le concours de la force publique ». A ce jour, cette dernière n’est pas intervenue.
Parmi les occupants, plus d’une centaine était déjà sur un autre bidonville situé sur la commune, chemin de Galgon, évacué le 26 avril. Aujourd’hui, chemin de la Caminasse, une famille a vu son dossier Droit au logement opposable (DALO) accepté il y a presque un an. Aucun logement ne lui aurait été proposé malgré ses deux enfants en situation de handicap.
Zone inondable
« Beaucoup ne savent ni lire ni écrire, ce qui est un vrai obstacle pour entamer des démarches », explique Leonard Velicu, président de l’association Eurrom, qui craint de son côté une expulsion avant le 15 août. Avec les habitants rencontrés, il échange en romani, la langue des Roms. Ici, peu d’enfants parlent français, et peu sont scolarisés.
« Pour être scolarisés, la mairie demande une attestation de domicile, or la domiciliation sur le bidonville est un vrai problème« , avance Leonard Velicu.
Sans compter les autres freins comme l’absence de ramassage scolaire.
Sur le terrain, l’accès à l’eau potable se fait via deux bornes incendies. Une benne à ordure a récemment été installée à l’entrée du camp, auparavant les déchets étaient brûlés.
Le jour de notre passage, deux employés d’Enedis sont venus prendre en photo le seul et unique panneau électrique du campement : 20 000 volts de branchements sauvages sur un transformateur. « J’ai jamais vu ça, c’est vraiment dangereux, il n’y a aucune sécurité », commente l’un d’eux. La zone est classée rouge pour les inondations. Au sol, quelques tapis pour éviter que les enfants ne jouent avec les câbles.
Comité pilotage
Dans un communiqué en date du 8 juin, la préfecture de la Gironde observe une « situation préoccupante en termes d’insalubrité et de sécurité, dans un contexte de délinquance croissante ». Un comité de pilotage pour la résorption du bidonville a été mis en place par Étienne Guyot le 7 juin. Il réunit, entre autres, la police nationale, la gendarmerie nationale, le SDIS, le maire de la ville, les représentants du Département et de la Métropole.
Sur place le Comité des œuvres sociales (COS) a recensé 575 occupants, dont 200 mineurs, répartis en 195 ménages :
« La fondation COS a proposé aux 195 ménages recensés sur le site un accompagnement social individualisé. À ce jour, 12 ménages en ont accepté le principe. Des rendez-vous destinés à définir les modalités précises d’accompagnement ont dès lors été proposés à ces familles », poursuit le communiqué.
Mais certains rechignent à honorer ces rendez-vous. Selon Leonard Velicu, ce qui bloque ces familles pour entamer les démarches administratives, c’est la barrière de la langue. Il faut un « vrai accompagnement avec l’embauche d’un travailleur social » ajoute-t-il.
« Pour aller où ? »
Mirela et Gheorghe vivent dans une cabane aménagée de bric et de broc. Dans un sac, Gheorghe conserve précieusement tous ses contrats de travail. Le couple dit être au courant d’une possible expulsion, mais n’a pas de solutions :
« Pour aller où ? On pourrait au moins rester jusqu’à la fin du travail saisonnier, en octobre. »
Même chose pour Ciprian, 44 ans, dont la femme et les enfants sont restés en Roumanie.
« S’il y a une expulsion, ils vont aller sur un nouveau terrain ou des petits sites vont émerger à droite et à gauche », explique Leonard Velicu alors que les plus « anciennes » familles sont présentes sur la métropole depuis 2014.
Contactée, la préfecture, elle, ne confirme pas d’expulsion pour le mois d’août. De son côté, la mairie de Villenave-d’Ornon s’est contentée d’évoquer un projet de ferme urbaine sur le terrain.
L’AUTEUR
Victoria Berthet
Journaliste, diplômée de l’IJBA. Du terrain, des faits et de la nuance.