L’expulsion des deux squats de la Clairière, dont l’Eclaircie, à Gradignan, va intervenir fin juin ou début juillet. Le concours de la force publique a été demandé par le CCAS de Bordeaux, propriétaire du terrain et du bâtiment. Pour l’heure, 12 familles n’ont pas reçu la moindre proposition de relogement. Avec l’angoisse de se retrouver à la rue.
Les deux squats installés dans l’ex-maison de retraite de La Clairière à Gradignan vivent leurs derniers jours. En effet, le Centre communal d’action sociale (CCAS) de Bordeaux – propriétaire du bâtiment et du terrain – a redemandé le 3 juin le concours de la force publique auprès de la préfecture de la Gironde.
Et cette fois-ci, il n’y aura pas de rétropédalage de la part de Pierre Hurmic. Le maire de Bordeaux, qui préside cet établissement public, avait en effet sollicité une suspension en février, peu de temps après l’évacuation d’un autre squat, celui de la zone libre de Cenon (300 personnes expulsées et dispersées) qui avait fait couler beaucoup d’encre.
Expulsion imminente
Actuellement, une centaine de personnes vivent (encore) dans ce bâtiment tout en longueur, entouré d’un parc arboré, à deux pas du centre-ville de Gradignan. La très grande majorité sont des demandeurs d’asile. Les âges varient, comme les nationalités (France, Algérie, Albanie, Georgie…).
En première ligne en raison de ces multiples casquettes (vice-présidente du CCAS, adjointe au maire de Bordeaux, administratrice à La FAB), Harmonie Lecerf espère toujours d’une « résorption plutôt qu’une expulsion ». Or, le temps presse. Selon nos informations, l’expulsion sera ordonnée entre le 28 juin et le 10 juillet.
Pour l’heure, seulement 11 familles sur 23 se sont vues proposer une solution de relogement « dans le patrimoine de la Ville de Bordeaux et du CCAS », souligne-t-elle. 12 familles se retrouvent sans solution, avec la rue comme seul horizon. Sans parler du futur en pointillés de la soixantaine d’hommes et d’une poignée de femmes seules. Ce mardi, un second diagnostic social a été mené par la Préfecture accompagnée par l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII) et le CCAS de Bordeaux.
Effort collectif ?
Dans ce dossier complexe, Harmonie Lecerf assure que la Ville de Bordeaux mettra bien à l’abri les familles domiciliées à Bordeaux (3, selon nos informations). Mais elle déplore que « l’État ne dispose pas des places d’hébergement qui lui permettrait de mettre à l’abri toutes ces familles. » Elle appelle aussi à la responsabilité des autres collectivités, « dans un effort collectif » :
« Les squats de Gradignan hébergent actuellement des familles qui ont des liens avérés avec plusieurs communes de la Métropole », poursuit-elle.
En effet, d’après Juliette, co-fondatrice du collectif Partout Chez Elles, cinq familles sont domiciliées à Mérignac, une à Eysines, une à Pessac, une à Villenave d’Ornon, une à Gradignan. Alain Anziani, maire de Mérignac – et par ailleurs président de Bordeaux Métropole – a rencontré il y a quelques jours une délégation d’une vingtaine de personnes (des associations, des instituteurs…). Lors de cette entrevue, l’édile a expliqué que la Ville accueillait déjà des familles en situation précaire et qu’elle ne disposait pas de lieux d’hébergement supplémentaires. Sollicité par Rue89 Bordeaux, il n’a pas donné suite.
A Gradignan, le maire Michel Labardin (sans étiquette) rappelle, dans un courrier daté du 4 juin, que la municipalité « s’est engagée à recevoir deux familles en contournant la difficulté à trouver un bailleur ».
« En effet, le CCAS de la ville de Bordeaux dispose d’un parc social conséquent sur Gradignan à la Cité Jardin, justifie l’élu dans un courrier adressé à Médecins du Monde Aquitaine. J’ai donc demandé à ce que ces deux relogements puissent intervenir dans le parc géré directement par la Ville de Bordeaux. »
Enfin, Juliette précise ne pas avoir eu de réponse de la part des autres communes concernées. En attendant, et dans l’espoir d’une mobilisation citoyenne, les associations cherchent une solution alternative auprès de propriétaires de maisons vides.
« Personne n’assume ses responsabilités »
Morgan Garcia, le coordinateur de la mission squat pour Médecins du Monde à Bordeaux, suit attentivement ce dossier dans lequel « personne n’assume ses responsabilités ». Il pointe du doigt ces « élus qui font la politique de l’autruche, préférant se jeter des patates chaudes à chaque fois qu’il y a une expulsion plutôt que de se réunir pour trouver des solutions. On voit bien que la politique d’expulsion systématique est un échec. » Et il dénonce, au final, un « État défaillant ».
« Un recensement a été effectué par effectué par la Délégation Interministérielle à l’Hébergement et à l’Accès au Logement (DIHAL), souligne Morgan Garcia. Les chiffres montrent que la Gironde est le département le plus concerné par le nombre de squats et bidonvilles sur son territoire. Au lundi 14 juin, la DIHAL dénombrait 142 squats et bidonvilles abritant 1848 habitants. On est sur une augmentation avec des chiffres qui sont sous-estimés. »
Pour la petite histoire, il rappelle que « des dizaines de maisons vacantes appartiennent à Bordeaux Métropole, ce qui pourrait être une partie de la solution (…) Le droit permet d’avoir des solutions innovantes, de mener des projets pilotes et de résorber ces squats et bidonvilles qui sont une honte pur toute la société. »
Juliette, qui habite à l’Eclaircie, demande un nouveau délai, le temps que chaque habitant puisse se replier. Elle craint sinon « l’ouverture de nouveaux squats », comme un éternel recommencement, et qui se dit « révoltée » par cette situation.
« Des hommes et des femmes pourraient également tomber dans des réseaux plus ou moins mafieux. Tout le monde vit dans l’angoisse », ajoute-t-elle.
L’enjeu d’un énorme projet métropolitain
Derrière l’évacuation de ces deux squats se profile la construction d’un groupe scolaire (17 classes pour un montant estimé à 12,7 millions d’euros) dans le cadre d’un énorme projet métropolitain programmé sur 15 ans, qui s’étendra sur près de 30 hectares. L’aménageur est la Fabrique de Bordeaux Métropole (voir notre article du 8 mars dernier). Sauf que la construction de ce groupe scolaire – liée à la réalisation d’un second groupe dans le sud de la ville – a pris un sérieux retard justement en raison de l’occupation illégale du terrain depuis un an.
En mars dernier, Harmonie Lecerf avait confié à Rue89 Bordeaux que la Ville de Bordeaux n’avait « pas l’intention de maintenir ce squat sur place ni de bloquer le projet de ZAC qui fait l’objet d’une déclaration d’utilité publique (DUP), sur 11,8 hectares ».
Pour l’heure, les négociations sur la vente des fameux 11,8 hectares seraient toujours en cours entre le CCAS de Bordeaux et LA FAB.
« Les marges du calendrier de la FAB ont été rognées au maximum afin de permettre de laisser du temps pour trouver des solutions de relogement et ne pas couper l’année scolaire. Ni la Ville ni le CCAS de Bordeaux n’ont la maîtrise du calendrier », se défend-elle aujourd’hui.
L’élue précise aussi que « la DUP a été mise en place par l’Etat, en réponse à une demande de la ville de Gradignan, via la métropole, de disposer d’une école pour la rentrée 2023. L’ensemble des parties prenantes ont confirmé leur souhait de tenir le calendrier imposé au CCAS. »
Deux associations locales attaquent le permis de démolir au tribunal administratif
Le permis de démolir du bâtiment a été formulé le 25 février dernier, puis complété le 9 avril par LA FAB, représentée par Jérôme Goze, directeur général délégué. Il a été accordé le 29 avril par le maire de Gradignan, Michel Labardin.
En début de semaine, l’association Gradignan la ZAC Autrement et le Collectif Gradignan Rénovation Douce ont porté conjointement un recours en annulation auprès du Tribunal administratif de Bordeaux et un référé-suspension (dont la décision devrait être prise très rapidement, d’ici fin juin, début juillet). « Le permis de démolir a été accordé par le maire de Gradignan en toute illégalité à Monsieur Goze, qui l’a demandé en toute illégalité », affirme Jean Marret, président de l’association Gradignan la ZAC Autrement.
Maintenir les habitants jusqu’au bout ?
Une fois l’évacuation ordonnée, un diagnostic amiante sera effectué dès la mi-juillet dans les locaux de cette ancienne maison de retraite.
« Pour entreprendre le diagnostic amiante, les bâtiments doivent être vides pour des raisons de sécurité, justifie Jérôme Goze, directeur général délégué de LA FAB. Une fois les résultats connus, les phases de déconstruction et de démolition démarreront début août jusqu’à fin septembre. »
« Au départ, on voulait conserver le bâtiment en partie. Mais techniquement, cela coûtait beaucoup plus cher de le conserver pour des problèmes de structures et de mises aux normes », poursuit-il.
Récemment, une demande a été formulée auprès du service de la mission squat de Bordeaux Métropole pour maintenir les habitants jusqu’à la veille de la démolition.
« Ce n’est pas infaisable. Ces deux ou trois semaines de plus peuvent être décisives », lâche Juliette.