Serge Hefez, responsable de l’unité de thérapie familiale dans le service de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière de Paris, réagit sur franceinfo au rapatriement de 15 femmes et 32 enfants français de Syrie, détenus dans des camps de prisonniers jihadistes dans le Nord-Est syrien.
“Il n’y a aucune raison qu’ils soient des bombes à retardement, ils ont plutôt une soif de reprendre une vie normale“, a indiqué mardi 24 janvier sur franceinfo Serge Hefez, psychiatre et psychanalyste, responsable de l’unité de thérapie familiale dans le service de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière de Paris. Les autorités françaises ont procédé mardi 24 janvier matin au rapatriement de 15 femmes et 32 enfants français de Syrie, détenus dans des camps de prisonniers jihadistes dans le Nord-Est syrien. Au total la France a rapatrié 77 mineurs français.
“C’est formidable que ces enfants rentrent”, a réagi le psychiatre. Mais “ils sont séparés très brutalement de leur mère” à leur arrivée en France et “tous ceux qui sont entrés ces derniers mois n’ont toujours pas été remis en relation avec leur mère. On continue la maltraitance”, a déploré Serge Hefez.
franceinfo : Vous semble-t-il essentiel de rapatrier tous les enfants français qui se trouvent encore en Syrie ?
Serge Hefez : Oui, bien sûr. Évidemment, ce sont des enfants innocents et des enfants qui n’ont pas demandé à naître ou à partir en Syrie. Pour ceux pour qui les mères ne veulent pas rentrer, il s’agit d’une maltraitance d’enfants. Elles les exposent à des dangers, non seulement au danger de radicalisation, mais au danger d’une guerre possible. Il faut absolument rapatrier ces enfants. Après tout, les enfants qui ont des parents maltraitants en France, dans nos contrées, on les sépare de leurs parents.
Dans quel état psychologique sont-ils ?
J’ai rencontré beaucoup d’enfants qui étaient rentrés il y a trois ou quatre ans. Ils n’avaient pas encore eu la possibilité de subir la longueur de cette détention dans les camps, comme les enfants qui rentrent aujourd’hui. Ceux-là ont été hors du temps pendant trois ou quatre ans. Ils ont été dans une relation extrêmement fusionnelle avec leur mère qui était leur seule interlocutrice. Il n’y n’avait pas d’école, pas de jeux. Ils étaient collés à leur mère. C’est formidable que ces enfants rentrent, ça fait longtemps qu’on se bat pour qu’ils rentrent, mais ils sont séparés de leur mère dès leur arrivée en France. Ce qu’on peut comprendre puisque les mères sont incarcérées et que les enfants sont confiés à l’aide sociale à l’enfance. Mais rien n’est fait à l’heure actuelle pour continuer à tisser ce lien, comme on le faisait il y a trois ans.
Que faisait-on, il y a trois ans, que l’on ne fait pas aujourd’hui ?
Il y a trois ans, très rapidement, avec l’aide de l’aide sociale à l’enfance, on pouvait mettre ces enfants en rapport avec leur mère en prison et continuer à travailler sur la relation, à travailler sur l’histoire de ces enfants. Or, ces enfants, aujourd’hui, sont séparés très brutalement de leur mère et tous ceux qui sont entrés ces derniers mois n’ont toujours pas été remis en relation avec leur mère. On continue la maltraitance ! C’est une maltraitance d’enfant de les séparer aussi brutalement de leur mère qui est leur seule relation et leur seule interlocutrice.
Arrivent-ils à retrouver une vie presque normale ?
Je dois dire qu’ils sont dans l’ensemble bien pris en charge par notre système social et psychiatrique. Ils ont des interlocuteurs, ils sont soignés, ils sont écoutés. Il y a des psychologues qui vont être à leur écoute et qui vont leur permettre de se reconstruire et de retisser leur histoire. C’est la partie positive de ce retour. La partie plus négative, c’est qu’ils ont des grands-parents qui les attendent ici depuis des années, qu’ils ont fait des pieds et des mains pour que ces enfants soient réintégrés dans leur famille. Mais ça traîne beaucoup trop. Encore une fois, les enfants qui sont rentrés il y a six mois maintenant n’ont toujours pas eu de contact avec leur famille d’origine.
Ces enfants sont-ils des “bombes à retardement” ?
Pour tous ceux qui sont rentrés précédemment, on n’a pas vu ça. Les enfants qui sont rentrés il y a deux ou trois ans de Syrie vont tous bien à l’heure actuelle. Ils ont tous été bien pris en charge et aucun ne manifeste une quelconque agressivité ni un quelconque comportement de “bombe à retardement”. On voit ça dans l’ensemble des pays européens qui ont rapatrié les enfants. C’est plutôt un excellent pronostic le fait qu’ils ont envie de se réinsérer, qu’ils ont envie de reprendre une vie normale. Les enfants rapatriés aujourd’hui sont polytraumatisés et surtout ils ont vécu cette expérience du camp. On va se donner un petit peu de temps pour les prendre en charge et les aider à retisser leur histoire. Mais il n’y a aucune raison qu’ils soient des bombes à retardement. Ils ont plutôt une soif de reprendre une vie normale.