Pour l’ancien journaliste marocain Aboubakr Jamaï, le nouveau quotient électoral adopté pour les législatives vise à « fragmenter le champ politique ».
Propos recueillis par Laureline Savoye
Publié le 08 septembre 2021 à 13h30, mis à jour hier à 09h41
Entretien. Les Marocains sont appelés aux urnes, mercredi 8 septembre, pour des élections législatives et locales qui détermineront le sort du Parti de la justice et du développement (PJD, islamiste) au pouvoir depuis une décennie.
Dans un entretien au Monde Afrique, Aboubakr Jamaï, fondateur du Journal hebdomadaire – forcé à fermer en 2010 – devenu professeur de relations internationales à l’Institut américain universitaire d’Aix-en-Provence, estime que le « régime marocain » tient au maintien du calendrier électoral pour « afficher une image de démocratie ». Selon lui, la nouvelle règle relative au quotient électoral vise à « fragmenter davantage le champ politique et à diluer l’influence du PJD ».
Quel est l’enjeu de ces élections ?
Aboubakr Jamaï Ce scrutin arrive après une série d’événements qui a écorné l’image, aussi superficielle soit-elle, de la dimension démocratique du régime marocain, en premier lieu le scandale Pégasus, mais aussi les affaires Mohamed Hajib [militant islamiste germano-marocain de l’école tabligh condamné en 2010 au Maroc à dix ans de prison pour « terrorisme » et résidant aujourd’hui en Allemagne] et Ali Aarrass [emprisonné douze ans au Maroc également pour « terrorisme »] qui soulignentla prépondérance de la dimension sécuritaire dans la gestion du fait public au Maroc.
Aujourd’hui sont ciblés les opposants comme Omar Radi, Maati Monjib, Soulaïmane et Hajar Raissouni, mais aussi des citoyens lambda qui critiquent le caractère autoritaire du régime. Tenir les élections en temps et en heure est important pour Rabat qui souhaite afficher une image de démocratie.
Comment se porte le Parti de la justice et du développement ?
Je serais étonné qu’il fasse les mêmes scores qu’en 2011 et en 2016. Les compromissions et les résultats décevants à la tête du gouvernement ont fait perdre au PJD le premier et deuxième cercle de son électorat. Il a déçu la jeunesse, notamment celle qui portait les revendications du « Mouvement du 20 février » [version marocaine des « printemps arabes » de 2011]. La première de ces revendications était d’instaurer une vraie monarchie parlementaire.
L’annonce par le roi d’un changement de Constitution en mars 2011 a constitué un aveu d’échec du système politique. C’était un discours de reddition. Il reconnaissait qu’il avait trop de pouvoir. Pourtant, la réforme constitutionnelle n’a pas eu lieu. Selon moi, c’est Abdelilah Benkirane qui a fait opérer ce cap au PJD, pourtant favorable aux demandes des manifestants. Il s’est rendu coupable d’avoir accepté une réforme constitutionnelle qui n’en était pas une. Les pouvoirs sont restés concentrés entre les mains du roi, et la monarchie est devenue un régime vengeur qui ne cherche même plus à mettre les formes.
Dans quel contexte socio-économique se tiennent ces élections ?
Si on observe le Maroc de l’étranger, on peut croire à un modèle économique performant : de beaux aéroports, de nouvelles autoroutes, Tanger Med, le TGV… Mais toutes ces infrastructures sont des éléphants blancs car elles n’ont pas l’effet d’entraînement qu’elles devraient avoir sur la population. Le taux de pauvreté n’a pas diminué, le chômage des jeunes empire. Les événements d’octobre 2016 dans le Rif [la mort d’un vendeur de poissons broyé par une benne à ordure avait déclenché un vaste mouvement de contestation sociale] ont obligé à reconnaître l’échec du modèle économique. Pour moi, le « nouveau modèle de développement du Maroc » − défini par une commission spéciale mandatée par le roi Mohammed VI après la contestation de 2016 − est au « Hirak » du Rif ce que la Constitution était pour le « Mouvement du 20 février ».
En 2011, le roi avait lui-même mandaté une commission pour établir les termes de la nouvelle Constitution. En 2017, c’est le même procédé avec la Commission spéciale sur le modèle de développement (CSMD). Un groupe de personnalités hétéroclite présidé par un ancien ministre de l’intérieur, Chakib Benmoussa, a écrit un projet pour le Maroc, sans s’attaquer au fond du problème : les défaillances institutionnelles.
Un système autoritaire ne permet pas une économie de marché qui tient la route. Il y a nécessairement de la corruption et des secteurs oligopolistiques, voire monopolistiques. Or, aujourd’hui, ce projet élaboré par le roi devient le cadre référentiel que les partis politiques doivent suivre. C’est ce que le roi a rappelé explicitement dans son discours du 20 août 2021. C’est bien la preuve que ces élections ne sont pas démocratiques. Des législatives sont censées déterminer une majorité gouvernementale qui définit un projet politique et économique. Mais on nous dit : « Le projet est déjà là ! »
Une nouvelle règle s’impose dans cette élection : le quotient électoral. Que va-t-il changer ?
Ce nouveau quotient électoral montre l’obsession du régime à vouloir évincer le PJD. Ce mode de calcul basé sur les inscrits et non pas sur les votants est un concept fou qui vise à fragmenter davantage le champ politique et à diluer l’influence du PJD. Plus le paysage politique est balkanisé au Maroc, plus le régime peut justifier son rôle d’arbitre et son autoritarisme.