Avec “La plus secrète mémoire des hommes”, un roman “monde” porté par une langue magnifique et des histoires éternelles, l’écrivain sénégalais de 31 ans Mohamed Mbougar Sarr a séduit tous les jurys et son livre est déjà un succès en librairie. Article rédigé par
Laurence Houot France Télévisions Rédaction Culture Publié le 28/10/2021 16:16 Mis à jour le 29/10/2021 01:24 Temps de lecture : 5 min.
Femina, Goncourt, Renaudot, Medicis et bien d’autres… Avec son 4e roman, La plus secrète mémoire des hommes, publié en août aux éditions Philippe Rey, l’écrivain sénégalais Mohamed Mbougar Sarr a séduit la quasi-totalité des prix littéraires de la rentrée, mais aussi la critique, les libraires, et les lecteurs.
Inspiré par l’écrivain malien Yambo Ouloguem, prix Renaudot 1968 avec son roman Le Devoir de violence, son roman est en bonne place pour emporter 50 ans plus tard les suffrages du même prix, ou/et celui du Goncourt, tous deux simultanément remis le 3 novembre au restaurant Le Drouant.
L’histoire : en 2018, Diégane Latyr Faye, jeune écrivain sénégalais vivant à Paris est bouleversé par la découverte d’un livre, Le labyrinthe de l’inhumain, paru en 1938. L’histoire de ce livre mystérieux l’intrigue. Celui que l’on appelle alors le “Rimbaud nègre” a disparu dans la nature après le scandale provoqué par son livre.
Diégane se met alors en tête de découvrir qui se cache derrière l’histoire de ce roman qu’il considère comme un chef d’œuvre absolu. Sa quête va le conduire sur les traces d’Elimane, du Sénégal où il est né, à Buenos Aires, en passant par Amsterdam ou Paris.
S’il creuse l’histoire intime de ses deux personnages d’écrivains africains, Mohamed Mbougar Sarr scanne aussi, en faisant un pas de côté avec une distance teintée d’humour, l’histoire de la relation tumultueuse entre l’Afrique et l’Occident, la fascination réciproque mêlée de peur qui lie l’homme africain et l’homme blanc, revisitant ainsi brillamment l’éternel face à face Nord/Sud.
“Entre ces deux continents et histoires entre lesquels on a toujours l’impression qu’il faut choisir, j’essaye d’en inventer un autre. Le troisième, c’est le continent de la littérature”, confiait le romancier au journal Libération en août.
Un livre “monde”
D’une plume foisonnante, lyrique, inventive, Mohamed Mbougar Sarr déploie en de multiples récits, sous toutes sortes de formes, cette histoire, qui embrasse celle du 20e siècle jusqu’à aujourd’hui, de la colonisation à l’émancipation, en passant par la boucherie de 14, et par la Shoah.
Ce roman “monde” est à lui seul un thriller, un conte philosophique, un hymne à la littérature et à la liberté, une ode à la vie, avec, c’est à noter, des personnages féminins magnifiques.
“Un grand livre ne parle jamais de rien, et pourtant tout y est””La plus secrète mémoire des hommes”
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La plus secrète mémoire des hommes avait donc bien de quoi séduire les jurés des prix littéraires, qui l’ont quasi tous inscrit dans leurs sélection de cette rentrée 2021. L’engouement a surpris l’intéressé.
“Ces histoires de prix, j’ai toujours regardé ça d’un peu loin, tout en m’y intéressant. Je ne savais pas comment ça fonctionnait. Évidemment, ça m’a réjoui, j’ai été très honoré, très touché, mais je comprends que ce ne sont que des premières listes”, confiait-il à l’AFP en septembre dernier.
Tellement surpris qu’il avait promis à son éditeur de courir un marathon si son livre figurait dans au moins trois listes. On ne sait pas en revanche ce que l’écrivain a promis en cas de victoire finale au Goncourt…
“Brillantissime”
Le 4e roman de Mohamed Mbougar Sarr n’a pas séduit que les jurys littéraires. La critique est plus qu’enthousiaste. “Que la littérature ait encore ses chercheurs d’or, et la jeunesse pour lampe frontale, c’est la meilleure nouvelle de la rentrée”, estime Camille Laurens dans Le Monde. “Autant le dire tout de suite, ce roman est un grand livre, un joyau de savoir-faire qui vous enchante, vous transporte et vous poursuit“, s’enthousiasme Marianne Payot dans l’Express. Un “roman brillantissime”, pour Valérie Marin La Meslée du Point.
“Le livre n’a pas immédiatement accroché l’intérêt des libraires”, confie Marie-Laure Walckenaer des éditions Philippe Rey, “mais avec l’accueil enthousiaste des journalistes, ils se sont emparés de ce roman et le défendent maintenant beaucoup”, ajoute l’attachée de presse. D’abord tiré à 5 000 exemplaires, le livre a déjà été réimprimé plusieurs fois, avec un tirage “qui atteint aujourd’hui 30 000 exemplaires”, précise l’éditeur.
“Donner le meilleur exemple qui soit à mes frères”
Aîné d’une fratrie de sept garçons, Mohamed Mbougar Sarr a grandi à Diourbel, à l’est de Dakar, dans un milieu favorisé, où l’on croyait au mérite. “J’ai envie de, simplement, donner le meilleur exemple qui soit à mes frères”, a-t-il confié à l’AFP.
Après des études militaires, le Prytanée militaire de Saint-Louis, une filière extrêmement sélective, puis une classe préparatoire en France, à Compiègne (Oise), et enfin l’Ecole des hautes études en sciences sociales à Paris, où il a commencé un doctorat de lettres.
“Je n’ai pas terminé ma thèse, parce que j’ai commencé à beaucoup écrire à ce moment-là, et que la fiction l’a emporté”, confie l’écrivain, qui vit aujourd’hui à Beauvais.
Entré en littérature dès ses 24 ans, avec Terre ceinte, publié par une maison dont le catalogue l’avait formé, Présence africaine, il a rejoint après son deuxième roman chez le même éditeur, les éditions Philippe Rey, chez qui il a publié en 2018 De purs hommes, le troisième, et enfin ce quatrième livre, qui promet de le propulser dans la liste des auteurs qui comptent.
Extrait :
“Il me parlait. Elimane me parlait. Je savais de quoi il parlait. Et c’est pour ça que je me suis accrochée à sa voix. Et moi aussi, comme toi aujourd’hui, j’ai commencé à me demander ce qui lui était arrivé, où il était allé, ce qu’il avait fait et vécu et souffert et tu et caché. Un homme pareil ne disparaît pas comme ça. Ou peut-être que si. Peut-être que tous les hommes peuvent disparaître de cette manière. Mais peut-on croire aux disparitions sans héritage ? Aux évanouissements absolus ? Je n’y croyais pas. Je n’y crois toujours pas. Il y a une présence qui demeure après tout départ. Peut-être même la vraie présence des êtres et des choses commence-t-elle après tout départ. Peut-être même la vraie présence des êtres et des choses commence-t-elle seulement après leur disparition. Tu ne crois pas ? (“La plus secrète mémoire des hommes”, page 211)