Critique par J F Meekel
Christophe Dabitch , scénariste, auteur bordelais vient de recevoir le prix François Augiéras décerné dans le cadre du salon du livre de Champcevinel en Dordogne. Belle récompense pour Dabitch en compétition ici avec Claude Bourgeyx ou Catherine Simon. Il rejoint pour ce dixième prix une liste où figurent Hervé Lecorre, chroniqué dans cette mémoire des livres, Louis Sanders et Beata Umubyebi-Mairesse, également présente dans cette mémoire des livres. Trois critères: singularité, exigence et ouverture constituent la matière du prix. Des qualités qui furent celles de l’écrivain Augiéras, “astre infréquentable de la prose périgourdine ” selon la formule du président du prix. Le livre est aussi dans la sélection du pris Hors Concours.
Azimut brutal: «fait d’aller tout droit comme une bête brute», on dit aussi azimut sanglier,celui-ci fonçant toujours droit devant. Christophe Dabitch avec 3 compagnons de route atenté l’azimut brutal le long du 45eme parallèle en Dordogne, d’Ouest en Est, du département de la Gironde à celui du Lot. Huit jours de marche, machettes et bâtons en main.
Littéralement, une plongée hors des sentiers battus, hors des sentiers tout court,courbés dans les passages des animaux…Une immersion dans un territoire qui échappe le plus souvent au regard de la grande majorité des voyageurs pressés des nationales et des autoroutes, des espaces oubliés de la plupart des hommes et de fait préservés, des lieux encore d’enfance, de mystère, d’odeurs fortes, de rencontres inattendues. Quatre compagnons donc, l’un recueille du son, un deuxième des images, notre auteur des sensations à traduire en mots, le 4ème étant en quelque sorte le marcheur, le vrai qui mène la patrouille.
A chaque étape un petit comité d’accueil, la presse et la télé locale. Au final, une expo (des expos) commune images/sons/textes et la publication de ce texte de Christophe Dabitch, qui après le très bel Adieu au Fleuve ( Éditions Filigranes 2015)révèle, au delà du prolixe scénariste de bandes dessinées attiré par des par cours singulier, un auteur d’une grande sensibilité traçant un nouveau sillon dans une veine poétique. «Dans ce lieu, il s’agit de définir à partir de ce que j’éprouve, vois, entends et sens au fil des jours et plus tard, au temps de l’écriture, c’est une solidité, des terres grasses et des bois touffus, serrés et enchevêtrés, des frêles chemins dans lesquels nous nous frayons un passage» p 56.
La marche au plus prés de la nature nous conduit vers des dimensions insoupçonnées, à l’intérieur de son propre corps et de ses souffrances qu’on endure d’abord et qu’on finit paradopter. «Notre corps vient au premier plan, il est l’outil que nous sentons en permanence habité par le souffle. Nous sommes des machines animées, de muscles, de sueur, des en sations; il nous faut tout autant écouter qu’arracher le mouvement par la volonté»p 73Mais aussi dans le lien qui se tisse avec l’inconnue végétale et animale qui nous submerge au point qu’on se détache très vite du «bruit et de la fureur» «Lorsque nous les croisons sur les petites routes, de fait, les caisses métalliques nous deviennent de plus en plus étrangères et nous en ressentons une vague puissance morbide» p 72
Thoreau (D H )n’est jamais loin, qui vécut au fond des bois le temps d’écrire Walden ou la vie dans les bois, mais ici en Périgord c’est plutôt la figure de François Augièras qui s’impose surtout quand l’auteur rencontre dans ce Périgord Noir, Paul Placet, ami et gardien de la mémoire d’Augièras, ce «barbare en occident» selon le titre de l’un des livres que Placet consacra à son ami, peintre, écrivain. Augièras vécut solitaire au fond d’une grotte à Domme, dans ces paysages de Cro-Magnon et des Solutréens ou Magdaléniens de Lascaux qu’un autre grand écrivain, Henri Miller, décréta lieu sa crédans son Colosse de Maroussi en 1941. Augièras cherchait une forme de divinité dans une nature encore épargnée dans ces années d’après guerre et dont il s’enivrait. Mais ici dans cet Azimut Brutal d’un XXIème débutant si mal, la lucidité s’impose. «Dans cette nature qui peut saisir par sa beauté, dans un sous-bois traversé de rais de lumière, à la tombée d’une nuit où les oiseaux chantent une dernière fois , je ne peux que penser aux destructions en cours ailleurs, aux pollutions connues, aux meurtrissures qui éliminent impitoyablement des pans entiers de vie physique, dans cette Méditerranée dans laquelle je me baigne chaque année et qui par moments m’apparaît vide de vie, comme de l’eau propre dans une baignoire moussue.
Cette petite nature réconfortante et vivace que je trouve ici me renvoie à celle en péril dont on parle à longueur de journée sans que le mouvement engagé ne s’arrête.»p 87Au grès de ce court périple, l’auteur laisse venir à son esprit des sensations, des réminiscences, des souvenirs d’autres voyages, d’autres cieux, il est peu question ici de rencontre, hors celle centrale de la flore et de la faune. Plutôt d’une rencontre avec soi comme l’était sa pérégrination au long de l’estuaire de la Gironde dans le sus cité Adieu au fleuve.