Pour mieux « contrôler l’immigration », des candidats comme Emmanuel Macron, Valérie Pécresse, Marine Le Pen ou Éric Zemmour promettent de « réformer » le droit d’asile. En réalité, il s’agit de maintenir les exilés toujours plus loin, dans une logique d’externalisation des procédures.
5 avril 2022 à 13h30
Il suffit d’ausculter les programmes des candidat·es à l’élection présidentielle pour se rendre compte de l’importance donnée aux questions liées à l’immigration. Surtout à droite. Le droit d’asile, qui permet d’octroyer une protection à des personnes fuyant une zone de conflit ou redoutant des persécutions dans leur pays d’origine, n’a jamais autant été remis en question. La notion de « frontières » est dans toutes les bouches ou presque : il faudrait les « renforcer » ou les « protéger ».
En 2021, 104 600 premières demandes d’asile ont été enregistrées, et 54 000 personnes ont obtenu une protection. Pour réduire et contrôler l’immigration, les candidat·es de droite et d’extrême droite envisagent donc de s’attaquer au droit d’asile, considéré comme l’une des principales voies d’entrée en France. La candidate Les Républicains, Valérie Pécresse, a annoncé vouloir « en finir avec cette Europe passoire » et proposé une « profonde réforme de la procédure du droit d’asile en France et en Europe ».
À l’instar du modèle grec, dont elle a vanté les mérites à l’occasion d’une visite d’un centre d’accueil fermé pour migrantes et migrants à Samos en janvier dernier, la candidate entend mettre en place un « asile à la frontière », incluant des centres d’hébergement et de contrôle d’identité « qui permettraient de ne pas laisser entrer les demandeurs d’asile sur le territoire européen, mais de trancher sur leur sort aux portes de l’Europe ».
Des demandeurs d’asile devant l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra), le 5 avril 2022. © Nejma Brahim / Mediapart
Dans le même esprit, Marine Le Pen (RN) souhaite « modifier » le droit d’asile « pour mettre fin à son détournement », estimant que, depuis plusieurs années, « la procédure du droit d’asile est devenue une des voies principales de l’immigration illégale ». « L’immense majorité des demandeurs sont déboutés, mais demeurent en France », a-t-elle insisté, déclarant que les modalités de présentation d’une demande d’asile seront fixées par la loi et que celle-ci pourra contraindre les exilé·es à déposer leur demande dans les services des ambassades et consulats français à l’étranger.
Même son de cloche chez Nicolas Dupont-Aignan (Debout la France), qui veut réformer le droit d’asile « en limitant le droit d’asile aux individus le demandant aux frontières » et veut aller jusqu’à assigner à résidence les demandeurs et demandeuses d’asile durant la procédure d’examen. Éric Zemmour veut lui aussi « exiger que les demandes d’asile soient déposées en dehors du territoire national, dans nos consulats » tout en réduisant drastiquement le nombre de demandes déposées, pour revenir, dit-il, « à l’esprit originel du droit d’asile », en le limitant à une centaine de personnes par an.
Des mesures hors-sol et inefficaces
En octobre 2020, sur CNews, Zemmour va jusqu’à déclarer : « Le droit d’asile, c’est une autre porte de l’invasion migratoire. Tout le monde se déclare persécuté et en fait personne ne l’est. » Il ajoute, quelques mois plus tard, être favorable à la « suspension » du droit d’asile, faisant primer « la sauvegarde du peuple français » sur « la liberté de quelques personnes dans le monde ». Mais à l’heure de la guerre russe en Ukraine, qui a déjà poussé plus de 4 millions de personnes sur les routes de l’exil, tous ces discours démontrent le caractère hors-sol et l’inefficacité des propositions des candidat·es.
« Les programmes étaient partis pour être très restrictifs, mais les candidats vont être obligés de changer leur fusil d’épaule avec l’Ukraine », note Gérard Sadik, responsable asile à La Cimade, association d’aide aux étrangers. Ça n’a pas tardé. Malgré les propositions de son programme, Valérie Pécresse s’est empressée de défendre le droit d’asile parmi les « valeurs chrétiennes et humanistes de la France ». « Je souhaite que nous donnions l’asile aux Ukrainiens qui fuient. Contrôler l’immigration est une priorité, mais le droit d’asile, c’est l’honneur de la France », a-t-elle déclaré sans sourciller.
Marine Le Pen a estimé que les réfugiés ukrainiens étaient des « voisins », des « Européens », et qu’il fallait « évidemment les mettre à l’abri de cette guerre », tandis qu’Éric Zemmour a proposé d’octroyer des visas humanitaires aux Ukrainiens qui souhaiteraient gagner la France parce qu’ils y ont des « attaches », après avoir dit qu’il préférait que les Ukrainiens soient en Pologne – des propos qui ont suscité la polémique.
Les principales mesures des candidat·es en matière d’asile, qui s’inscrivent dans une logique d’externalisation des procédures, ont par ailleurs déjà montré leurs limites par le passé. L’idée est simple : il s’agit de tenir les personnes en quête de protection loin du territoire où elles souhaitent s’établir, le temps que leur demande d’asile soit étudiée. En pratique, ces méthodes peuvent être lourdes de conséquences.
En Australie, où ce modèle existe depuis le début des années 2000 avec le placement des demandeurs d’asile sur les îles de Manus et Nauru, de nombreux abus ont été constatés, parmi lesquels des violations des droits humains, des décès et des problèmes de santé mentale chez les exilé·es. En 2020 et 2021, le Royaume-Uni a de son côté imaginé des scénarios ubuesques pour tenter de marcher dans les pas de l’Australie.
« L’asile à la frontière, c’est la roulette russe : soit on applique les vrais critères, soit on apprécie la situation à la frontière, rappelle Gérard Sadik. Quant à l’idée d’enfermer les personnes dans des camps dès le départ, c’est tout le contraire du droit d’asile. On a déjà fait cette erreur avec les réfugiés espagnols au moment de la Retirada et on a vu ce que ça a donné. »
« L’idéeque les procédures d’asile puissent être mises en placeen dehors de nos frontières revient assez régulièrement, et ce depuis des années, observe Claire Rodier, juriste et directrice du Groupe d’information et de soutien des immigrés (Gisti). On laisse entendre qu’il serait mieux que les gens n’aient pas à prendre le risque de la traversée, que la prise en charge se fasse au plus près du lieu qu’ils quittent, dans les pays limitrophes par exemple. Mais dans la pratique, cela ne fonctionne absolument pas. »
Les programmes de réinstallation, qui permettent le transfert de réfugié·esd’un pays d’accueil versun autre, en sont l’illustration. La France, poursuit Claire Rodier, a accueilli bien moins de 10 000 réfugié·es en provenance de Grèce alors qu’elle s’était engagée, en 2015, à en accueillir 30 000. « La réalité invalide tous les discours des candidats à l’élection. »
Le leurre des visas humanitaires
L’une des propositions suggérées par les candidates et candidats de droite et d’extrême droite consistant, pour les exilé·es, à déposer leur demande d’asile dans les ambassades et consulats français à l’étranger ne tient pas non plus.
Une décision de la Cour de justice de l’Union européenne de mars 2017 montre comment les États européens peuvent refuser d’accorder un visa humanitaire à des personnes souhaitant se rendre sur leur territoire dans l’intention d’y demander l’asile, en se basant sur le cas d’un couple syrien et de leurs trois enfants, qui avaient introduit une demande de visa humanitaire auprès de l’ambassade de Belgique au Liban. « Saisie d’une autre affaire, la Cour européenne des droits de l’homme a tranché dans le même sens, estimant qu’il n’y avait pas d’obligation pour un État de délivrer un visa humanitaire pour une demande d’asile », rappelle Claire Rodier.
Et la juriste de souligner : « La combinaison des deux cas montre que l’externalisation de l’asile est très pratique puisqu’elle permet à un État d’échapper à toute obligation et à tout contrôle juridictionnel lorsqu’il refuse de prendre en considération des demandes qui lui sont adressées depuis un autre pays, contrairement à ce qu’impose la convention de Genève si la demande est présentée sur son territoire. »
« Les visas sont discrétionnaires et donc à l’appréciation des États, qui ne sont pas tenus alors d’appliquer les critères de la convention de Genève », complète Gérard Sadik, de La Cimade. Entre 2017 et 2021, le nombre de visas humanitaires délivrés par la France a d’ailleurs chuté de 38 %. L’externalisation de la demande d’asile impliquerait également de modifier la Constitution française qui, en préambule, rappelle que « tout homme persécuté en raison de son action en faveur de la liberté a droit d’asile sur les territoires de la République ».
Dans le cas très concret de l’Ukraine, l’externalisation des procédures aurait, encore davantage, fait peser la responsabilité de l’accueil sur les pays voisins comme la Pologne, la Hongrie, la Roumanie ou la Moldavie, qui accueillent à eux seuls plusieurs millions de personnes. Entre 2011 et 2015, les personnes fuyant la Syrie se sont dirigées vers des pays voisins comme le Liban, la Jordanie et la Turquie, faute d’autres voies sûres et légales.
« Les consulats des pays européens ne donnaient pas de visas et les demandes, nombreuses, du HCR aux pays européens pour procéder à des réinstallations n’ont quasiment rien donné, se souvient Claire Rodier. L’Europe ne niait pas le fait que les gens avaient besoin d’une protection, mais considérait qu’il valait mieux la trouver ailleurs, en s’appuyant sur ce principe d’externalisation. C’est parce que ce système a perduré que les pays d’accueil ont explosé et que les gens ont commencé à prendre la mer vers la Grèce et l’Italie, jusqu’à la crise de 2015 que l’on a connue. »
Le président sortant a aussi appelé à la mise en place de « procédures d’éloignement plus rapides et effectives ».
Emmanuel Macron, candidat à sa réélection, a quant à lui annoncé vouloir poursuivre « la refonte de l’organisation de l’asile et du droit au séjour », notamment dans le contexte de la présidence française du Conseil de l’UE. La Commission européenne, qui a présenté le pacte européen pour la migration et l’asile en septembre 2020, entend donner la possibilité aux États d’examiner toutes les demandes d’asile à la frontière, en dehors des cas médicaux, toujours dans cette logique d’extra-territorialisation des procédures.
Lors de la présentation de son programme le 17 mars, le président sortant a aussi appelé à la mise en place de « procédures d’éloignement plus rapides et effectives », expliquant que le rejet d’une demande d’asile « vaudra obligation de quitter le territoire français » et jugeant que la « multiplication des procédures et des voies de recours crée l’inefficacité de notre système ».
Dès les premiers mois de son quinquennat, Emmanuel Macron a fait des mesures d’éloignement l’une de ses priorités et le nombre d’expulsions n’a cessé d’augmenter jusqu’en 2019 et la survenue du Covid-19. Faire le lien entre asile et expulsions vise à donner « l’impression qu’une fois que les demandeurs d’asile posent le pied en Europe, ils ne repartiront pas, et ce même s’ils sont déboutés », relève Gérard Sadik.
« Déjà, il faut relativiser les chiffres. On annonce 100 000 obligations de quitter le territoire français (OQTF) par an, mais il n’est pas certain qu’elles ne concernent pas plusieurs fois les mêmes personnes. Ensuite, dire qu’elles ne repartent pas est de moins en moins vrai, car cela dépend beaucoup des pays d’origine. » Cette année, le ministre de l’intérieur, Gérald Darmanin, a annoncé une baisse drastique dans l’octroi de visas aux Maghrébins, au prétexte que ces pays refusaient de délivrer les laissez-passer consulaires permettant le renvoi de leurs ressortissants.
Par ailleurs, Macron reprend, selon le responsable asile de La Cimade, une idée déjà développée par Les Républicains, qui supposerait de réformer « intégralement le droit d’asile et le droit au séjour » en France, de manière à lier les deux. « Ce serait monstrueux, prévient-il. Il faudrait un immense office des étrangers, qui comprendrait à la fois la police aux frontières (Paf), l’Office français de l’immigration et de l’intégration (Ofii), l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra)… Le rejet d’une demande d’asile vaudrait refus de séjour et mesure d’éloignement. Et il y aurait un recours suspensif à toutes les décisions, qui serait étudié par une cour nationale du droit des étrangers. » Une réforme qui semble compliquée – ou en tout cas très longue – à appliquer en France.
Et un angle mort subsiste : celui des requérants qui ne peuvent être renvoyés dans leur pays d’origine, comme l’Afghanistan, mais qui peuvent toutefois être déboutés de l’asile, comme a pu le documenter Mediapart. Fin 2021, plusieurs associations d’aide aux migrants et aux étrangers faisaient part de leurs craintes d’éventuelles expulsions « par ricochet » vers l’Afghanistan (voir ici ou là).
Autrement dit, des Afghans en quête de protection, relevant de la procédure Dublin (qui contraint les requérants à demander l’asile dans le premier pays européen par lequel ils sont entrés dans l’UE), ont été renvoyés vers d’autres pays européens, comme la Bulgarie ou l’Autriche, qui n’ont eux-mêmes pas suspendu les expulsions vers l’Afghanistan, et ce malgré la prise de pouvoir par les talibans à la mi-août 2021.
À gauche, un « accueil digne » et un droit d’asile « déconnecté des politiques migratoires »
Plus à gauche, les candidat·es comme Anne Hidalgo proposent justement de faire aboutir « la réforme complète du système de Dublin [souvent décrié, car ne prenant pas en compte la volonté du demandeur d’asile – ndlr] pour garantir des procédures efficaces et un accueil digne des personnes » et prônent « la solidarité » entre États membres, notamment en fonction de leurs capacités d’accueil. La candidate du PS veut un accueil « digne en toutes circonstances » des demandeurs d’asile, en se basant sur une répartition équilibrée des personnes sur le territoire et des délais de traitement réduits, tout en promettant de lutter « contre les voies irrégulières et meurtrières d’immigration clandestine ».
Jean-Luc Mélenchon (La France insoumise) propose quant à lui de suspendre le règlement Dublin, regrettant que les politiques d’asile soient « désormais remises en cause au nom de la limitation des flux migratoires ». « Nous souhaitons la pleine garantie et le renforcement du droit d’asile, la suppression de la procédure accélérée », indique le programme du candidat, qui souhaite également rattacher l’Ofpra au ministère des affaires étrangères (et non au ministère de l’intérieur) « afin de rétablir un droit d’asile déconnecté des politiques migratoires » et donner, comme Yannick Jadot (EELV), la possibilité aux demandeurs d’asile de travailler durant la période d’examen de leur demande. Le candidat LFI propose aussi d’assouplir les politiques de visas « au titre de l’asile ».
Yannick Jadot veut assurer l’effectivité du droit d’asile en France et fluidifier l’entrée dans la procédure en rationalisant le parcours. Il propose enfin de supprimer la liste des pays d’origine « sûrs », établie par l’Ofpra et restreignant les chances pour les requérant·es de ces pays d’obtenir l’asile, au profit d’un examen individuel. De leur côté, Nathalie Arthaud (Lutte ouvrière) et Philippe Poutou (NPA) revendiquent la liberté de circulation et d’installation. Ce dernier se refuse à distinguer migrants dits « économiques » et réfugiés, défend un droit d’asile effectif pour les personnes fuyant la guerre et les persécutions et un accueil digne pour toutes et tous.