Le cœur blanc Catherine Poulain
Éditions de l’Olivier
Jean-François Meekel
Le cœur blanc est le deuxième roman de Catherine Poulain après le Grand Marin publié chez le même éditeur en 2016. Et avec Catherine Poulain, le terme roman paraît bien faible, inapproprié. Qu’il s’agisse de ses campagnes de pêche en Antarctique dans le Grand Marin ou des travaux saisonniers dans le Sud-Est de la France du Cœur Blanc, l’auteure nous plonge toujours au centre d’une réalité physique implacable, au plus prés des corps, dans l’effort physique, confrontés aux éléments, la grande chaleur du Sud-Est dans ce deuxième récit, la morsure du froid glacial dans le grand marin. Si romanil y a c’est celui de sa vie et de la vie de ceux et celles qu’elle a côtoyés dans ses errances.
Dans ses textes, Catherine Poulain remonte en quelques sortes sa vie à l’envers. Car chronologiquement, l’épopée d’une femme sur des bateaux depêche dans le grand nord se déroule prosternement à ses années de saisons mais elle fut écrite et surtout finalisée avant ce deuxième opus. Rencontrée après la sortie du premier roman, elle racontait que son sac à dos de voyageuse au pied léger était encore plein de récits, qu’elle tentait d’y mettre un peu d’ordre. Elle en a extirpé ce cœur blanc. Le cœur blanc du titre, c’est celui de Rosa, Rosalin de. Ahmed, le saisonnier marocain sans papier le lui a dit, «tu es courageuse, tu as le cœur blanc, le cœur pur.» Rosalinde, l’allemande rousse à la peau laiteuse et Mounia, Moun, la fille de kabyles, peau presque noire sous le soleil, rêve de Gibraltar et du désert; elles sont les deux héroïnes de ce récit souvent vu à travers le regard et les mots de Moun. Un univers impitoyable, celui des saisonniers dans ce sud-est de la France écrasé de chaleur et détruit par le sincendies :une bande de marginaux de tous poils, « …les saisonniers, les durs, les crados et les rebelles, français espagnols portugais, hollandais,anglais ou belges…Fils de paysans, d’ouvriers, fils de bourgeois ou fils derien, enfants de la route ou de l’errance.»
Dans la galerie de portraits, des junkies de la période sida et des overdoses, des mômes en cavale, des sans papiers venus du sud, Jules l’illuminé de Bouddha, «le dalaï-lama il viendra vers moi, il regardera mes mains, il me dira Toi t’as la lumière», le gitan violent, les Portos dont Acacio le libertaire définitivement en deuil de la révolution des œillets, les chiens , le Corniaud, Rivière Dorée, Cerbère; tous«en guerre contre quelque chose qui leur échappe» «Et toi Rosa c’est quoi ta guerre?» demande Mounia à Rosalinde. «Est-ceque je sais seulement. Mais c’est pour dire…On reste bloqués. La vie et la mort de nos parents, on en a fait du figé et de leur mémoire on a fait des mausolées.
Le figé se laisse adorer tu sais, manipuler, déguiser suivant les humeurs. Le vivant non-car ils étaient vivants eux. Le vivant change sans cesse et sa vérité nous échappe.Ils ont raison au fond les gens du pays, on est vraiment des fruits tordus juste bon pour la casse. Et ça doit bien le sarranger qu’il y en ait qui soient déglingués. Faut bien des abricots pour la pulpe, faire marcher les usines avec la chair des fruits déclassés, elle rit.Remarque, les triples A se feront bouffer aussi…»…
Dans cet univers violent où l’alcool coule à flot, les femmes sont des proies qui doivent chèrement défendre leur liberté, lutter aussi contre leur propre désir des hommes pour Rosa. Désir pour les hommes mais pas d’un homme singulier alors que tous la voudraient pour eux captive. «Au fond Rosalinde,on est toutes les deux des femmes du feu-il nous habite et aura notre peau.»dit Moun. Et de fait l’histoire se termine mal, on l’avait deviné dans le GrandMarin quand l’héroïne à demi mot laisse entendre que dans ce grand nord,elle fuyait un drame situé dans ce pays du soleil. Comme pour le grandmarin, le lecteur est happé par ce cœur blanc qui l’accompagne ensuite desjours durant. Catherine Poulain vit dans le Médoc où elle soigne des vigneset ses mots et nos maux aussi, tant sa lecture touche au plus prés ce quel’homme et la femme possède de belle fragilité.