Du 16 au 20 janvier, le Collectif contre le sans-abrisme en Gironde a réalisé une action démontrant la saturation des centres d’hébergement d’urgence. Le collectif a mandaté un huissier de justice qui a consigné tous les appels passés au 115 par des personnes sans-abri. Bilan : « 100 % des appels constatés par le commissaire de justice sont restés sans solution d’hébergement ». Reportage.
Mercredi 20 janvier 2023. La nuit est tombée et la neige a fondu dans les rues de Bordeaux. Le mercure, lui, frôle toujours les valeurs négatives. Devant le Grand-Théâtre, la file d’attente s’allonge face aux bénévoles des Robins de la rue. Tous les quinze jours, l’association distribue vêtements et repas chauds aux sans-abri. Ce soir-là, ils sont une soixantaine.
À quelques mètres de la file, en retrait, se tient Maître Ferreira. Huissier de justice, il a été contacté par le Collectif contre le sans-abrisme en Gironde. Créé à l’initiative de la Fondation Abbé Pierre, il regroupe une dizaine d’associations locales* dans le but d’interpeller les pouvoirs publics sur les problématiques de précarité et de mal-logement.
Du 16 au 20 janvier 2023, l’huissier a pu recenser et dresser un constat des appels passés au 115 par des bénéficiaires des associations bordelaises suivantes : Toutes à l’abri, les Gratuits, les Robins de la rue et Graines de Solidarité. Il a rendu un rapport de 150 pages qui n’a pas encore été divulgué, mais dont le constat final ne faisait guère mystère : le 115 ne répond plus.
« C’est toujours comme ça »
Sur les marches de l’opéra, Maître Ferreira compose ce numéro d’appel dédié à l’hébergement d’urgence, et géré localement par une association agréée par l’Etat, le CAiO (centre d’accueil, d’information et d’orientation). Il une dizaine de minutes puis tend le téléphone à Steven. On lui demande de décliner son identité et son âge. Steven a 31 ans. Il a vécu « quelques temps » à Strasbourg avant de revenir à Bordeaux.
Au téléphone, le régulateur lui explique qu’il y a plusieurs centres d’hébergement d’urgence dans la ville. Qu’il est possible d’y rester jusqu’à 15 jours. Mais ce soir, c’est « complet malheureusement ». Steven connaît la « chanson » :
« C’est toujours comme ça. Ça fait un mois que je suis à la rue et j’appelle tous les jours. »
La même opération est effectuée avec Christian, 60 ans. Muni d’un enregistreur vocal, Maître Ferreira dicte. L’heure d’appel, la durée de ce dernier. Il consignera tout à l’écrit. Parfois, après plusieurs minutes, la messagerie. Il faut rappeler.
Urgence
À Christian, la même réponse est donnée. Plus de place, il faut rappeler le jour suivant à 9h. Avec « des années » de rue derrière lui, Christian prend la direction de la gare. Originaire de Normandie, il raconte avoir été forain, mécanicien, DJ. Il a aussi travaillé dans le vignoble du Sauternais.
Comme toutes les autres nuits d’hiver, Christian dormira dans un parking souterrain. Souffrant de troubles psychiques, il est notamment suivi par le Pimms Médiation de Bordeaux.
Après le Grand-Théâtre, les Robins de la rue prennent la direction de Gambetta et de Mériadeck. En cours de route, rue de la Porte-Dijeaux, un troisième appel au 115 est passé.
Ce soir-là, aucun des sans-abri rencontrés n’a pu dormir dans un centre d’hébergement d’urgence. Bernie Calatayud, coordinatrice du Collectif contre le sans-abrisme, décrit une action « nécessaire » face à « l’urgence » de la situation des sans-abri à Bordeaux et au manque de places.
Interpeller la préfecture
Par cette action, les associations souhaitent également rebondir sur une polémique survenue l’année dernière après la première Nuit de la solidarité, qui visait à « quantifier » le sans-abrisme dans la ville. Cette année-là, 561 personnes ont été recensées, plus 287 autres dans des squats. Mais quelques jours après l’opération, la préfète de la Gironde contestait cette estimation de 848 personnes nécessitent une mise à l’abri d’urgence.
« La réalité des appels au 115 la nuit dernière dément formellement ce chiffre. Aucun appel n’a été recensé pour une demande d’hébergement d’urgence alors que des places étaient disponibles », estimait Fabienne Buccio dans un communiqué.
Le taux de remplissage des centres est mis à jour chaque nuit par la préfecture. Contactée, cette dernière précise que « 2 000 places d’hébergement d’urgence sont financées à l’année par l’État ». 160 places supplémentaires, « pour la plupart occupées », ont été créées cette année dans le cadre du plan hivernal. Les écoutes au 115 ont, elles, été « renforcées ». De son côté, la Nuit de la solidarité a connu sa deuxième édition. 554 sans-abri ont été recensés lors de l’opération.
« Pas de place »
Dans un communiqué publié le 31 janvier, le Collectif contre le sans-abrisme en Gironde, sur la base des données recueillies par l’huissier de justice, dresse un constat sans appel :
« 100 % des appels constatés par le commissaire de justice sont restés sans solution d’hébergement avec pour unique réponse : « … rappelez demain… ». Certaines personnes ont même dû appeler jusqu’à 18 fois consécutives avant d’obtenir une réponse. »
L’huissier a ainsi assisté 21 personnes, hommes, femmes et familles confondus. En 2019, Rue89 Bordeaux révélait que, selon des sources internes au CAIO, le 115 signifiait jusqu’à 300 refus par jour.
« Le 115 n’est plus aujourd’hui en capacité de répondre à toutes les urgences sociales et l’hébergement d’urgence, saturé, laisse de côté de trop nombreuses personnes », dénonce le Collectif.
Face à une « situation qui se dégrade de jour en jour sur notre territoire », les associations girondines demandent en « urgence » une « intervention de l’État ».
*Associations du Collectif contre le sans-abrisme en Gironde : Fondation Abbé Pierre, Médecins du monde, RESF, Ligue des droits de l’homme, Les Maraudes des Gratuits, Toutes à l’abri, Diamants des cités, Maraudes du coeur, La Cimade, 100 pour 1 Toit, Graines de solidarité, MDC Bordeaux, Faire et Agir, Association Ethnopies, Solacmi