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C’est un conflit passé au second plan depuis le début de la guerre en Ukraine. Deux ans après la guerre remportée par l’Azerbaïdjan, l’Arménie lutte désormais pour le maintien de ses frontières. De violents combats ont eu lieu entre les deux pays, faisant près de 300 morts des deux côtés.

Le ton est monté cette semaine au Parlement arménien. Il a voté une résolution accusant Bakou de couper le Haut Karabakh du reste du monde. “Les conséquences humanitaires sont graves” pour les habitants de l’enclave, affirment les parlementaires arméniens, pour qui les agissements de l’Azerbaïdjan “font reculer le processus de paix“.

A Bakou, ces réactions outrées font sourire. Le corridor de Latchine coupé ? Ce serait uniquement le fait de militants écologistes protestant contre un projet arménien d’exploitation minière désastreux pour l’environnement. “La circulation civile est libre dans les 2 sens” affirme le porte-parole de la diplomatie azerbaïdjanaise, et l’approvisionnement en gaz du Haut Karabakh a été rétabli. Mais cet incident n’est que le dernier d’une longue série.

Le cessez-le-feu signé en 2020 est régulièrement violé. Et plus préoccupant encore, un cap a été franchi les 13 et 14 septembre dernier, quand la guerre s’est déplacée sur le territoire souverain de la république d’Arménie.

Bilan : au moins 286 morts dans ces affrontements à la frontière, et l’Arménie qui espérait une protection russe en a été pour ses frais : Moscou semble vouloir ménager l’Azerbaïdjan, et a d’ailleurs signé un accord avec Bakou pour contourner les sanctions occidentales.

Dans ce contexte favorable à l’Azerbaïdjan, toujours soutenu par la Turquie, l’Arménie se sent isolée, abandonnée… mais elle n’est pas pour autant prête à céder.

Notre invité Gaïdz MINASSIAN, journaliste au Monde, chercheur et enseignant à Sciences Po Paris.

Village frontalier de Srashen, dans la région du Syunik, au sud de l’Arménie.

Depuis novembre 2020, les Azerbaïdjanais, soutenus par la Turquie, ont repris le contrôle de la vallée. “Jusqu’à présent, ils ne tenaient que deux postes militaires, là-haut, sur la crête, explique Razmik, un habitant. Et depuis septembre, depuis les 13 et 14, ils ont avancé de quatre postes, ils ont pris quatre positions.”  Harut, 11 ans, était en train de jouer dehors, devant les ruines de l’Eglise du village, détruite lors de la première guerre, en 1992. “J’étais là quand ils ont commencé à tirer, explique le petit garçon, qui a dû fuir sa maison, à quelques kilomètres, à l’issue de la guerre des 44 jours. Je jouais avec un copain, on avait commencé à creuser les tranchées que vous voyez là. Ils ont lancé une roquette, juste là. Elle a explosé. On est restés toute la nuit dans le refuge. Toute la nuit, ça a tiré.”  Selon Sergueï, un habitant du village, les tirs sont quotidiens.

“Tu es Arménien, tu es soldat, tu n’es plus un être humain”

Tous les jours ils nous tirent dessus, tous les soirs. Beaucoup de nos soldats sont morts là-bas,  dit-il en montrant du doigt la vallée, en direction des postes militaires de Nerkin Hand.  Vous auriez dû venir plus tôt, vous auriez vu ce qu’ils ont fait, les atrocités commises. Tu es Arménien, tu es soldat, c’est foutu pour toi, tu n’es plus un être humain.”  Soixante kilomètres plus au nord, le village de Shurnukh est coupé en deux depuis 2 ans. “Les Azerbaïdjanais vivent de leur côté, sans qu’on ne voie jamais leurs visages” explique Arnold. A 67 ans, le retraité, qui arrondit ses fins de mois en travaillant comme gardien de l’école, a connu toutes les guerres. “Je n’ai aucune envie que mes enfants, mes petits-enfants, connaissent le même destin que moi,  explique-t-il, amer.  Je pense qu’il y aura une autre guerre, parce quand on voit le discours d’Aliev, le président de l’Azerbaïdjan, et comment parlent les autres ! La situation est telle qu’il est impossible de dire qu’on va vers la paix.”

Les civils en première ligne

Lors des dernières attaques du mois de septembre, 7 600 personnes ont dû être déplacées. « Les Azéris contrôlent désormais des pâturages, des terres arables, les chemins, explique Arman Tatoyan, à la tête de sa propre fondation des droits de l’homme. Les habitants n’ont même plus la possibilité d’avoir du bétail. Ils sont ainsi privés de toute source de revenus, pour nourrir leurs familles. Cela crée d’énormes problèmes socio-économiques. »

Le village de Vorotan, enclavé dans la vallée de la rivière du même nom. Pour y accéder, les habitants doivent emprunter une piste en terre, les Azerbaïdjanais ayant coupé la route.
Le village de Vorotan, enclavé dans la vallée de la rivière du même nom. Pour y accéder, les habitants doivent emprunter une piste en terre, les Azerbaïdjanais ayant coupé la route. © Radio France – Virginie Pironon

Dans certains villages, les Azéris se sont installés dans les maisons qui appartenaient à des Arméniens. C’est le cas dans le village de Vorotan, entre les villes de Goris et Kapan. Là, l’Azerbaïdjan a coupé la route principale, obligeant les habitants à faire un détour par une nouvelle piste, chaotique, presque impraticable en hiver. Le bâtiment qu’ils occupent est une maison qui appartenait à une famille arménienne. “Les Azéris sont arrivés, explique Arman Tatoyan, et ils ont donné une heure aux propriétaires pour quitter les lieux, les menaçant de les tuer.” Mher Tatinsian habite juste en face de cette maison. De sa terrasse, cet habitant du village, qui a installé ici une distillerie et produit de la vodka vendue jusqu’aux États-Unis, a une vue directe sur la nouvelle position Azéri. “Regardez, dit-il, un brin désabusé. Ils sont à 120 mètres de notre bâtiment. Il y a les services de la douane, les services spéciaux, la police. Moi, je ne partirai pas. Jamais. Je travaille ici, j’habite ici. Ce terrain nous appartient. Je n’ai pas le choix, je n’ai nulle part où aller.” En contrebas, à gauche, les forces de maintien de la paix russes. Lors des attaques des 13 et 14 septembre dernier, la Russie, pourtant liée à l’Arménie par l’Organisation du Traité de sécurité Collective, n’est pas intervenue, au grand dam d’Erevan. Mais sur le terrain, cette force d’interposition reste la bienvenue pour les habitants. « Il y a 6 mois,  explique Mher Tatinsian,  6 veaux sont passés de l’autre côté de la rivière, côté Azerbaïdjanais. Et là, il y a seulement quelques jours, les Russes en ont ramené 5 sur 6. C’est eux qui ont été les chercher. »  Grâce à sa distillerie, le cinquantenaire fait vivre une dizaine de familles. Il peste contre le gouvernement et ses représentants, qui ne viennent pas suffisamment souvent selon lui dans le sud du pays : « le poste russe en face, c’est même moi qui leur fournit l’électricité, vous vous rendez compte ? C’est moi qui paye tous les mois la facture ! »

“L’Azerbaïdjan n’aura pas de corridor ici, c’est une ligne rouge”

Tout au sud du pays, l’Arménie et l’Iran partagent une frontière d’une quarantaine de kilomètres de long. La route, qui longe le fleuve Araxe, est étroitement surveillée par des garde-frontières russes, qui contrôlent les passages des véhicules. C’est ici que l’Azerbaïdjan souhaiterait créer un « corridor » pour relier son enclave du Nakhitchevan, à l’ouest, côté turc, et le reste de son territoire. Une hérésie, pour les habitants.

« Il n’y pas d’Azerbaïdjanais ici, peste Rafik. Ils ne sont pas présents et ne le seront jamais. On ne leur donnera jamais cette route ! On se battra, on mourra s’il le faut » A Erevan, la création d’un tel corridor est en effet considéré comme une ligne rouge. « L’Azerbaïdjan peut affirmer ce qu’il veut, mais ce n’est pas à l’agenda”, affirme Armen Grigorian, secrétaire général du Conseil de Sécurité arménien. Les négociations pour la paix avec le voisin Azerbaïdjanais se poursuivent difficilement.

La Russie n’est plus un partenaire fiable

En 2020, un accord de cessez-le feu avait été signé, sous l’égide de la Russie Mais alors que Moscou et Erevan sont liés par un accord militaire, cette fois, Moscou, accaparé par la guerre en Ukraine, n’a pas réagi. « On attendait de la Russie qu’elle nous protège de cette attaque de l’Azerbaïdjan, explique Arman Grigorian Quand cette agression de grande ampleur a eu lieu, les 13 et 14 septembre, un conseil exceptionnel de sécurité a été convoqué par le premier ministre et nous avons pris la décision de nous tourner d’abord vers la Russie, en vertu de l’accord qui lie nos deux pays. Mais, encore aujourd’hui, on continue à attendre ce soutien. »  A défaut de la Russie, les Etats-Unis, l’Union européenne, et la France en particulier, tentent de jouer leur carte en jouant les médiateurs pour la paix. « L’Arménie a obtenu trop peu de garanties pour son partenariat avec la Russie, explique  Richard Giragossian, le directeur du groupe de réflexion Regional Studies Center, basé à Erevan.  Et la Russie a fait une grave erreur, pêchant par arrogance en pensant que le pays lui était acquis. Par conséquent, l’Arménie cherche aujourd’hui de nouvelles options. »  Avec un avantage, ajoute ce spécialiste : la légitimité d’un gouvernement élu démocratiquement, qui n’a plus peur de dire aujourd’hui que la Russie n’est plus un partenaire fiable.

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