À l’heure où Emmanuel Macron insiste sur la nécessité de « nous protéger contre les flux migratoires irréguliers », plusieurs maires se disent prêts à accueillir des réfugiés afghans. Ces derniers fuient le régime des talibans, lesquels viennent de prendre le contrôle de Kaboul. Il y a quelques années, Regards s’était rendu à Lalizolle, en plein cœur de l’Auvergne, où le maire avait décidé d’accueillir des familles de réfugiés. Reportage.
Gilles Trapenard, soixante-huit ans, a commencé son premier mandat en 2014, à Lalizolle, quatre cents habitants, commune de l’Allier (Auvergne) située à trois quarts d’heure de Vichy. Il se dit lui-même « sans étiquette, plutôt de droite, quoique… ». Dans son bureau est affiché un appel aux urnes de son grand-père, conseiller général « républicain-socialiste ». « Je ne suis pas un politicien, je ne recherche que le bien de mon canton, sans autre arrière-pensée », peut-on y lire. Mais si la politique semble une affaire de famille, c’est bien Gilles Trapenard seul qui a décidé, en décembre 2017, d’accueillir plusieurs familles de réfugiés dans son village. (…)
À cette époque, il veut faire d’une pierre deux coups. Son école étant menacée de fermeture, il a cette idée : faire venir des réfugiés. Sauver des vies, sauver son village. Il contacte directement l’opérateur Viltaïs, financé par un fonds européen, le FAMI, qui dépend du ministère de l’Intérieur et qui travaille à la venue de réfugiés dans le département. Gilles Trapenard souligne que la préfecture, elle, « était contre la venue de ces réfugiés ». L’Allier est le département qui accueille le plus de réfugiés en France, proportionnellement à son nombre d’habitants – Île-de-France mise à part.
En quelques jours à peine, l’opération est bouclée : Lalizolle sera une terre d’accueil pour quatre familles. Vingt-et-une personnes originaires du Mali, de Centrafrique et de Côte-d’Ivoire.. (…)
Gilles Trapenard a beau être fier de sa décision, il n’a prévenu personne de son plan. Ni la presse, ni ses administrés, pas même ses élus. Et quand il en a parlé à son premier adjoint, Maurice Deschamps, un fillonniste convaincu, celui-ci s’est empressé de lui faire part de son hostilité. Et après une nuit de réflexion et d’insomnie, il finit par lâcher : « Gilles, c’est toi qui as raison, faisons-le ! » Viltaïs était sur la même longueur d’ondes : agir rapidement pour éviter que des fantasmes ne se créent, que l’extrême droite récupère l’arrivée des migrants.. (…)
Finalement, les quatre cents âmes de Lalizolle ont été informées. Pas de surprise : « Les irréductibles gueulent, mais certains se réjouissent, notamment l’école », nous raconte l’édile. Ces « irréductibles » vont jusqu’à émettre des menaces de mort à l’encontre des réfugiés, souvent sur le ton de l’ironie, jamais face à eux. Le maire s’en désole, mais ne s’inquiète pas outre mesure. Il fait un constat sans appel : Lalizolle est passée en quelques décennies de 60 % de votes communistes et 30 % de socialistes à près de 50 % de votes frontistes. À la dernière présidentielle, Marine Le Pen est arrivée en tête du premier tour avec 25 % des voix. C’est dans ce contexte que, le 18 janvier 2018, débarque la vingtaine de réfugiés.
Sas de décompression
À leur arrivée, ils sont fatigués du voyage, frigorifiés par moins dix degrés. Les bénévoles de Viltaïs leur ont préparé de quoi manger. Gilles Trapenard, lui, laisse quelques larmes lui échapper. « Je suis ému », sourit-il. Le maire a beaucoup d’espoir pour sa commune. Huit enfants viendront se joindre aux vingt-trois élèves de l’école. Trois autres iront au collège du coin. Lalizolle, c’est une Poste, une épicerie et une école. « C’est rare », pour une si petite ville, commente le maire.
Ce programme d’accueil est temporaire : Lalizolle a en quelque sorte la fonction d’un sas de décompression. Les réfugiés resteront au maximum quatre mois avant que d’autres familles n’arrivent. Pendant ces seize semaines, ils devront apprendre le français, si besoin, inscrire les enfants à l’école, se familiariser avec l’administration française, faire valoir des équivalences de diplôme, chercher une formation professionnelle, un emploi et un logement stable. Le tout, bien évidemment, épaulés par Viltaïs. Après ces quatre mois, l’organisme continue de suivre les familles ailleurs en Allier où, pendant huit mois, est alors mis en place un bail glissant, afin de rendre ces familles autonomes, petit à petit.. (…)
Pour Jean-Philippe Morel, chef de service de Viltaïs, ce genre de programme d’accueil est « facile, il n’y a jamais eu de souci ». Il nous explique que les seules réelles difficultés, ce sont celles de la ruralité vis-à-vis de l’emploi, de la mobilité. D’autant que, dans leurs pays d’origine, la plupart des réfugiés ne vivaient pas dans d’aussi petites communes.
Intégrer sans désintégrer
Viltaïs se donne aussi la mission de respecter la culture d’origine des réfugiés. Mais pour y parvenir, il faut que les municipalités acceptent d’accueillir plus de deux familles. . (…)
Les « irréductibles », on ne les entend plus. Jean-Philippe Morel témoigne avoir vu « le plus raciste de tous en train de papoter avec les gamins deux jours après leur arrivée ». À l’épicerie, on constate que les habitants de Lalizolle sont plutôt rassurés. Presque fiers d’appartenir à une ville qui a fait le choix de la solidarité. Au sein de la communauté scolaire, en revanche, on est tout de même un peu amer. Si l’accueil des enfants réfugiés n’a posé aucune problème – les enfants de Lalizolle y ont été préparés et tout s’est bien passé – plusieurs critiques ont été formulées. À commencer par la barrière de la langue, pénalisante pour se faire comprendre, et entendre, tous les enfants n’étant pas francophones. Mais le maire est confiant : « Comme tous les enfants du monde, ce sont des éponges, dans un mois, ils vont parler français ».
Aussi, il n’y a que deux enseignants dans cette école de bientôt trente-huit élèves dont douze réfugiés, et ils doivent déjà composer avec des classes à plusieurs niveaux. Un renfort serait nécessaire mais « l’Éducation nationale nous a fait des promesses qu’elle n’a jamais tenues ». (…)
Enfin, avec ce roulement des familles tous les quatre mois, les enfants, réfugiés ou non, font face à des montagnes russes émotionnelles entre l’accueil et l’au revoir. « Nous, on aimerait plus, mais il s’agit d’un temps de réadaptation, de soin du traumatisme et d’intégration », continue l’édile. Il reconnaît que, d’un point de vue pédagogique, il serait mieux d’avoir les enfants toute une année scolaire. Jean-Philippe Morel nous explique de son côté que le programme de Lalizolle est établi pour trois ans, renouvelable, et que Viltaïs est « partant pour une très longue durée ». Un horizon partagé avec Gilles Trapenard, malgré les oppositions diverses.. (…)