L’accident, dans l’Etat du Chiapas, d’un camion dans lequel s’étaient entassées plus de 150 personnes illustre le durcissement de la politique migratoire du pays, confronté à un afflux massif et difficilement contrôlable de migrants.
Des corps alignés sur le bitume, enveloppés dans des linceuls, à côté d’un camion couché sur la chaussée. L’image choc tournait en boucle, vendredi 10 décembre, dans les médias nationaux au lendemain d’un des pires drames de l’émigration clandestine au Mexique. La tragédie jette une lumière crue sur les effets pervers de la politique migratoire « schizophrène » du président, Andres Manuel Lopez Obrador (« AMLO »), entre discours humaniste et mesures répressives.
Au moins 55 clandestins, dont une mineure âgée de 16 ans, sont morts, jeudi, dans l’État du Chiapas (sud), frontalier avec le Guatemala. L’accident a aussi fait 104 blessés, selon le dernier bilan des autorités. Plus de 150 migrants, la plupart Guatémaltèques, étaient entassés dans la remorque d’un camion. Le chauffeur, en excès de vitesse, a perdu le contrôle de son véhicule percutant le pilier d’un pont en ciment. La cabine s’est détachée. Quarante-neuf clandestins sont morts sur le coup, six autres à l’hôpital. Certains ont été éjectés par la violence du choc. D’autres sont décédés étouffés ou écrasés, selon les autorités. Le chauffeur, lui, a pris la fuite.
Les migrants avaient traversé illégalement la frontière « depuis plusieurs jours avec l’aide de trafiquants de personnes », a déclaré, vendredi, un représentant des autorités du Chiapas, porte d’entrée d’un flux historique de clandestins en provenance d’Amérique centrale. Cette année, 228 000 sans-papiers ont été interpellés par les autorités mexicaines, dont 82 627 ont été expulsés dans leurs pays d’origine, Honduras et Salvador en tête. Pis, 1,3 million de migrants ont été arrêtés, entre janvier et septembre, par les services migratoires américains. A la demande de Washington, le Mexique, le Guatemala et le Honduras, ont renforcé, depuis avril, leur dispositif militaire pour tenter de bloquer en amont les migrants. On compte ainsi 28 000 soldats et gardes nationaux déployés au sud et au nord du Mexique.
Un espoir déçu
« La tragédie est la conséquence du durcissement (…) d’une politique migratoire militarisée, répressive et violente, qui oblige les migrants à emprunter des routes de plus en plus dangereuses », ont dénoncé, juste après le drame, 53 organisations de défense des migrants. Selon la presse, les tarifs des passeurs explosent, passant de 3 000 dollars (2 650 euros) à plus de 13 000 dollars (11 500 euros) en partance d’Amérique centrale. Le transport en camions est l’une des méthodes les plus utilisées par les trafiquants de clandestins, souvent liés au crime organisé.
Deux semaines plus tôt, 600 migrants ont ainsi été arrêtés par les autorités à bord de semi-remorques dans les Etats de Veracruz et de Tabasco (sud-est) où se dirigeait le camion accidenté jeudi. Fin octobre, des gardes nationaux ont ouvert le feu sur un pick-up qui tentait de forcer un barrage, tuant deux Cubains.
Dans la foulée du drame, le bureau mexicain du Haut-Commissariat des Nations unies aux réfugiés (Acnur) a exigé, jeudi, « des alternatives migratoires et des voies légales pour éviter des tragédies comme celles-ci ». La Commission mexicaine d’aide aux réfugiés (Comar) déplore un manque flagrant de moyens face à plus de 108 195 demandes d’asile, de janvier à octobre, un record.
Quel contraste avec l’espoir suscité par l’entrée en fonction d’AMLO, fin 2018, qui avait annoncé l’attribution massive de visas humanitaires pour régulariser les milliers de migrants qui traversaient le pays en caravane. Mais les menaces douanières de Donald Trump l’avaient contraint à revoir sa copie, misant depuis sur la « contention » et les expulsions massives.
Biden reste ferme
Même déconvenue depuis l’arrivée au pouvoir, en janvier, de Joe Biden, qui fait preuve de fermeté à l’égard des migrants ne remettant pas en cause la présence des militaires aux frontières mexicaines. Le 46e président américain avait pourtant promis de rompre avec les mesures répressives de son prédécesseur, annonçant une régularisation des onze millions de clandestins sur le sol américain restée depuis dans l’attente d’un vote du Congrès américain.
M. Biden avait notamment mis fin au programme « Quedate en Mexico » (Reste au Mexique), instauré par son prédécesseur, qui a contraint des milliers de demandeurs d’asile d’attendre au Mexique que leurs démarches soient traitées par la justice américaine. Le dispositif vient pourtant d’être réactivé sur décision de la Cour suprême américaine alors que l’Office international des migrations (OIM) a estimé que le programme est « inhumain et contraire au droit international ». L’accident de jeudi est survenu le jour même où les États-Unis ont remis au Mexique les premiers migrants en situation irrégulière en vertu de « Quedate en Mexico ».
Vendredi, lors de sa conférence de presse quotidienne, AMLO a accusé la « lenteur » du gouvernement américain à mettre en place un programme de développement de l’Amérique centrale pour « s’attaquer aux causes » des migrations.
« Le problème ne se résout pas avec des mesures coercitives » mais avec des « opportunités de travail pour les migrants » a-t-il martelé en référence aux quatre milliards de dollars promis au Mexique et à l’Amérique centrale par Washington, qui attendent toujours une validation du Congrès américain. Le puissant voisin a aussi annoncé le projet « Sembrando oportunidades » (Semer des opportunités) visant à financer des programmes sociaux et des emplois pour plus de 500 000 jeunes centraméricains.
Andres Manuel Lopez Obrador a appelé, vendredi, Washington a une « prise de conscience (…) des problèmes de fond » pour changer de politique migratoire bilatérale. De son côté, l’ambassadeur américain à Mexico, Ken Salazar, a imploré, sur son compte Twitter, les clandestins « à ne pas risquer [leur] vie en migrant de manière irrégulière ». Un appel qui semble difficilement audible par ceux qui fuient la misère et la violence de leur pays d’origine. Trois jours de deuil national au Guatemala
Le ministre guatémaltèque des affaires étrangères, Pedro Brolo, a fait savoir, vendredi 10 décembre, que le président Alejandro Giammattei allait « annoncer aujourd’hui trois jours de deuil national avec le drapeau en berne », après l’accident de camion qui a tué 55 migrants clandestins, en majorité venus du Guatemala.
« En ce moment, tout le Guatemala est en deuil », a-t-il précisé à la presse, devant un hôpital de Tuxtla Gutiérrez, où sont encore soignés des blessés de l’accident.
Frédéric Saliba (Mexico, correspondance)