Le sociologue Mathieu Rigouste montre comment la doctrine policière repose sur une politique raciste fondée, dans les quartiers populaires, sur « l’écrasement du quotidien » et la « distribution de la mort ».
Hugo Boursier • 5 juillet 2023abonné·es
Article paru
dans l’hebdo N° 1765 Consulter ce numéro
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Comment le meurtre de Nahel par un policier, à Nanterre, illustre-t-il, selon vous, la logique néocoloniale et répressive qui traverse la doctrine policière dans les quartiers populaires ?
La logique répressive correspond à la fonction même de la police : contrôler, surveiller, réprimer les classes dominées. C’est sa fonction à travers l’histoire et c’est ce qui structure son action au quotidien. Dans la séquence néolibérale, cette dynamique est maximisée. Le système économique et politique repose sur une forme de ségrégation socioraciale. C’est pour cela que rien n’évolue du point de vue de l’État, alors que les luttes continuent de se renforcer et de se développer. Les classes dominantes vivent et se reproduisent sur ce système de pouvoir et de domination. Toutes les institutions participent à l’entretien de cette ségrégation socioraciale en agissant sur les questions liées à la santé, au travail, à l’école, au logement ou à la rue. Il faut de l’idéologie, du divertissement et de la force. Les violences policières font donc partie intégrante de ce système.
Mathieu Rigouste est l’auteur de La Domination policière, La Fabrique, 2021.
Vous parlez d’endocolonialité : comment se caractérise ce système ?
Ce caractère endocolonial est lié à l’histoire coloniale par des réseaux humains de policiers, d’administrateurs et de militaires formés dans les colonies et qui vont être progressivement réinstallés par la suite en métropole, notamment en lien avec la gestion des quartiers populaires. Par les armements, aussi : les fusils d’assaut vont d’abord être utilisés dans le domaine de la guerre coloniale puis apparaître dans le paysage intérieur. Et par les armes non létales, que j’appelle armes toxiques et de domination, d’abord expérimentées dans les domaines coloniaux pour être réagencées pour la police des quartiers populaires, les prisons ou aux frontières. Et enfin par les doctrines, notamment la contre-insurrection, dont la grille de lecture générale consiste à considérer que les classes populaires sont la matrice de toutes sortes de subversions. Une vision qui légitime la guerre policière pour maintenir l’ordre dans notre âge néolibéral et sécuritaire.
Y a-t-il un « permis de tuer » accordé aux policiers lorsqu’il s’agit de criminaliser les habitants des quartiers populaires ?
Des observateurs de la sociologie critique et les comités de personnes touchées par les violences policières parlent de « permis de tuer » pour désigner le fait que, même bien avant l’article L435-1 du Code de la sécurité intérieure [datant de février 2017], les policiers mis en cause continuaient à grimper dans leur carrière. C’est un système d’impunité – et, comme on le voit avec la caisse de solidarité pour le policier qui a tué Nahel, c’est un permis de tuer qui est valorisé. Que ce soit en termes d’élévation professionnelle dans la police ou de virilité. L’impunité judiciaire fait que les policiers peuvent user de régimes de violence féroces – qui, parfois, risquent de conduire à la mort – sans être inquiétés. Cela participe au fait que ces régimes de violence fonctionnent de manière systémique. La possibilité d’être mis à mort plane en permanence sur les prolétaires non blancs. La possibilité d’être mutilé, aussi : habiter les quartiers populaires, c’est connaître le risque de se faire pourchasser par une équipe de la brigade anticriminalité, d’être étranglé, de prendre un coup de Taser ou un tir de LBD, de perdre un œil. Ça fait partie d’un système d’écrasement de la vie quotidienne, conjugué à une politique de distribution de la mort. C’est ce qui définit la condition endocoloniale.
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