Aucune date n’est prévue pour la cérémonie en l’honneur de l’avocate qui a défendu des militants du FLN, alors que le chef de l’Etat tente d’amorcer un « rééquilibrage » mémoriel sur la guerre d’Algérie.
La promesse avait été formulée d’un tweet, le 23 août. « Sa “farouche liberté”, elle l’utilisa pour libérer les autres. Par ses combats pour l’égalité, Gisèle Halimi changea et change encore la vie de millions de femmes. En accord avec sa famille, la Nation lui rendra hommage début 2022 aux Invalides », avait écrit ce jour-là Emmanuel Macron sur son compte Twitter.
Le message témoignait d’une forme d’empressement, au lendemain de l’annonce de l’entrée de Joséphine Baker au Panthéon. Quid de Gisèle Halimi, morte le 28 juillet 2020, s’enquéraient alors la famille et les admirateurs de l’ancienne avocate, militante des droits des femmes et de la lutte pour l’indépendance algérienne ?
L’hommage, prévu à l’origine le 3 septembre 2020, n’avait pu se tenir car le chef de l’Etat s’était rendu au Liban pour soutenir un pays frappé par l’explosion sur le port de Beyrouth. Son tweet valait réassurance. Mais depuis, le silence pèse à nouveau. Avec en toile de fond une concurrence mémorielle liée à la guerre d’Algérie.
L’avocat Jean-Yves Halimi, l’aîné des trois garçons de Gisèle Halimi, confie au Monde son « inquiétude ». Aucune date de cérémonie ne lui a été communiquée par l’Elysée. Pire, la présidence de la République ne répond même plus à ses messages ; pas plus le conseiller « mémoire » d’Emmanuel Macron, Bruno Roger-Petit, que son directeur du cabinet, Patrick Strzoda. Deux hommes avec qui il échangeait pourtant depuis un an et demi.
Le premier avait proposé que l’événement coïncide avec la journée des droits des femmes, le 8 mars 2022 : trop proche de l’élection présidentielle, les 10 et 24 avril, lui a répondu Jean-Yves Halimi. « Il faut un moment le plus neutre possible, estime ce dernier. J’ai suggéré à Bruno Roger-Petit d’organiser ça plutôt début janvier, avant que la campagne électorale ne batte son plein. Il m’a dit “c’est d’accord”. » La discussion remonte à la fin du mois d’août. Depuis, plus de nouvelles.
« Un renoncement non assumé »
Un brouillard s’est installé autour de la promesse présidentielle. « On y travaille », jure un conseiller du chef de l’Etat, sans plus de précisions. « Projet en cours et en discussion avec la famille », affirme un autre. Jean-Yves Halimi, pourtant, ne reçoit aucun écho. « Je n’exclus pas qu’il n’y ait pas de cérémonie, souffle-t-il. Je m’attendais au moins à ce qu’on m’en confirme le principe. Il est possible qu’ils aient décidé de ne rien faire, et de n’en rien dire. »
L’avocat William Bourdon, qui envisage de lancer, avec son confrère Jean-Pierre Mignard, un comité de soutien à la panthéonisation de Gisèle Halimi, se montre de son côté plus direct. « La situation présente toutes les apparences d’un renoncement non assumé à un engagement public », regrette-t-il. Les hommages rendus au cours du quinquennat au fondateur du Nouvel Observateur Jean Daniel, à l’écrivain et académicien Jean d’Ormesson, ou encore à l’acteur Jean-Paul Belmondo, tous organisés dans la cour des Invalides, se sont à chaque fois tenus quelques jours après la disparition de ces personnalités.
Selon plusieurs proches du dossier, le contexte politique et mémoriel ne serait pas étranger à ces atermoiements. Le 20 janvier, l’historien Benjamin Stora remettait à Emmanuel Macron un rapport – commandé par l’Elysée – sur la mémoire de la colonisation et de la guerre d’Algérie. Il préconisait notamment de faire entrer au Panthéon Gisèle Halimi, qui avait défendu dans les prétoires des militants du Front de libération national (FLN) algérien.
La proposition avait aussitôt soulevé un concert de protestations. Dans une tribune au Figaro, une semaine plus tard, cinquante et une « filles et femmes de harkis », menées par la journaliste Dalila Kerchouche et l’historienne Fatima Besnaci-Lancou, s’élevaient contre cette éventualité. Gisèle Halimi, « qui a affiché en plusieurs occasions son mépris pour les harkis », ces supplétifs de l’armée française abandonnés à leur sort à la fin de la guerre, en 1962, « n’est pas une femme de réconciliation », écrivaient-elles. « Certains groupes pro-Algérie française ont accusé Gisèle Halimi d’être une porteuse de valises du FLN », rappelle pour sa part un bon connaisseur de l’histoire franco-algérienne.
« Rééquilibrage » mémoriel
Or, Emmanuel Macron recherche l’« apaisement » et veut donner voix à « toutes les mémoires ». Depuis quelques mois, le président de la République porte une attention plus marquée qu’auparavant à celle des harkis et des pieds-noirs. Il doit recevoir à l’Elysée, le 13 janvier 2022, différentes associations de rapatriés d’Algérie. Le but, selon son entourage, est de « reconnaître la part d’histoire qui leur revient et a vocation à s’intégrer dans la mémoire commune apaisée, qui demeure l’objectif du processus initié » avec le rapport Stora. « Le chef de l’Etat souhaite calmer des mémoires rivales, avoir un mot pour chaque groupe qui a participé ou subi les conséquences de la guerre d’Algérie », complète la secrétaire d’Etat aux anciens combattants, Geneviève Darrieussecq.
Cette volonté réjouit le ministre de l’éducation nationale, Jean-Michel Blanquer, qui a plaidé la cause des rapatriés auprès d’Emmanuel Macron. « Ils sont toujours la cinquième roue du carrosse », juge en privé celui dont le père, avocat à Alger durant la colonisation, a défendu des associations pieds-noirs.
M. Blanquer n’est pas le seul membre du gouvernement à entretenir un lien filial avec ce passé. Le père du premier ministre, Jean Castex, a été pour sa part l’un des derniers appelés du contingent envoyé en Algérie. Dans un entretien à la revue Historia, paru début décembre, le chef du gouvernement a invité à « faire l’inventaire, et non pas le jugement » de l’histoire franco-algérienne. « C’est notre passé en commun, avec ses parts de drames, de malheur, mais aussi de bonheur, de réussites, ses parts de mélanges et d’échanges », estime-t-il. Devant des visiteurs, ces dernières semaines, Jean Castex a assumé que « la colonisation », à ses yeux, « a eu des points positifs et des points extrêmement négatifs ». Une vision assez largement partagée au sein de la droite classique.
Cet écosystème constitue un environnement propice au « rééquilibrage » mémoriel impulsé depuis quelques mois par Emmanuel Macron, selon l’expression d’un de ses interlocuteurs. Le 20 septembre, le chef de l’Etat a ainsi demandé « pardon » au nom de la France aux harkis et à leurs descendants. Un projet de loi visant à « réparer » les préjudices subis par ces populations est examiné en ce moment au Parlement.
D’autres périodes du quinquennat avaient été marquées par la reconnaissance de la responsabilité de l’Etat français dans la mort de Maurice Audin, militant de l’indépendance algérienne, ou dans l’assassinat de l’avocat Ali Boumendjel, proche du FLN. Pour sa part, Geneviève Darrieussecq s’est mise en quête d’une date consensuelle afin de marquer le soixantième anniversaire de la fin de la guerre d’Algérie, en 1962. Le 11 novembre est privilégié.
Celle du 19 mars, jour du cessez-le-feu, présente l’inconvénient d’intervenir à seulement trois semaines du premier tour de l’élection présidentielle. Un moment dont les candidats d’extrême droite, Marine Le Pen et Eric Zemmour, pourraient se saisir dans le but d’attaquer la politique mémorielle d’Emmanuel Macron, marquée selon eux par la « repentance ». Reste, d’ici là, à trouver une date pour Gisèle Halimi.
Olivier Faye