Par Marcelo Gaddi (Mexico, correspondance)
Publié hier à 16h00, mis à jour hier à 16h20
Reportage Quelque 340 exilés vont passer les fêtes de Noël dans un refuge improvisé dans la capitale mexicaine. Ils espèrent être régularisés pour continuer leur route vers les Etats-Unis en sécurité.
Son cahier d’écolier, il le transporte partout dans le camp de réfugiés, zigzagant entre les matelas en mousse. Avec son stylo, Israël Lazo, 31 ans, relate son périple, qui l’a mené du Honduras, son pays natal, jusqu’ici, à Mexico. Il raconte l’attente, la faim, les nuits froides dans les montagnes du Mexique ; la peur de tomber sur un groupe criminel, aussi.
« La caravane, elle permet de se protéger. Sans elle, tu n’avances pas et, en groupe, on est moins vulnérables. Surtout, la police n’a pas le droit de nous arrêter », explique-t-il. Il retranscrit les violences policières, médite sur les incohérences de la politique migratoire du gouvernement et la difficulté d’obtenir des papiers. Parfois, il note juste les idées qui lui passent par la tête.
Casquette américaine violette visée sur le crâne, fin comme une guêpe sous sa chemise à carreaux, Israël fait partie de cette nouvelle caravane de 340 personnes arrivée dans la capitale mexicaine le 12 décembre. Des Honduriens, des Guatémaltèques, des Salvadoriens… Il y a aussi des Haïtiens, de ceux qui ont fui leur île il y a longtemps et qui vivaient au Brésil ou au Chili il y a encore quelques mois.
A deux rues de la basilique Notre-Dame-de-Guadalupe, où ils ont prié la Vierge de leur venir en aide, ils ont pu s’établir sur des installations municipales : un terrain multisport bitumé, recouvert d’un chapiteau blanc sous lequel reposent une centaine de matelas et des tentes. Non loin, un filet d’eau savonneuse parcourt le goudron pour finir sa course dans un caniveau ; à la source, trois citernes pour se laver le corps et les vêtements.
Une vague migratoire sans précédent
Le Mexique vit une année charnière : pour la première fois, le pays va traiter plus de demandes d’asile que les États-Unis. En 2021, 123 187 personnes en ont fait la demande contre 70 341 en 2019, selon la Commission nationale d’aide aux personnes réfugiées (Comar). Les autorités, elles, ont arrêté 230 000 personnes sans papiers cette année. « Le Mexique est sous pression sur ses deux frontières, sud et nord : d’un côté, les migrants qui passent par l’Amérique centrale, de l’autre ceux qui sont expulsés des Etats-Unis et renvoyés ici », constate Sibylla Brodzinsky, porte-parole de l’Agence des Nations unies pour les réfugiés (UNHCR) au Mexique.
« On ne sait pas quand on va repartir », soupire Jimy Castin, un Haïtien de 31 ans. Avec sa femme, Fara, et sa fille, Esther, ils ont quitté le sud du Brésil, où ils vivaient depuis sept ans et où la petite est née, il y a quelques mois. « A Tapachula, la ville frontière avec le Guatemala, l’attente pour être régularisé a été longue. On m’a seulement donné une carte “visiteur” qui me permet d’être ici en légalité, mais pas de travailler ni d’inscrire notre fille à l’école. » Les Haïtiens sont la deuxième communauté au sein de la caravane, derrière les Honduriens.
Sous le chapiteau, entre les matelas et les couvertures, Yesica, 23 ans, donne le sein à son bébé de 7 mois. « L’an dernier, les ouragans ont détruit ma maison au Honduras. Puis, le père de ma première fille de 6 ans a été tué par la pandilla, le gang dont il faisait partie. La pandilla me recherchait, alors j’ai laissé ma grande avec ma mère et j’ai décidé de partir pour travailler aux Etats-Unis et [leur] envoyer de l’argent. Je ne pouvais pas laisser mon bébé. » Lors du voyage, elle s’est fait une amie, Maryory, hondurienne elle aussi. Mi-décembre, enceinte de bientôt neuf mois, Maryory a soufflé ses vingt bougies sur un gâteau au chocolat offert par les agents municipaux. Son bébé va naître dans le camp, peut-être le Jour de l’an. Son mari Henrry est là, avec elle.
« Le Mexique fait face à un défi sans précédent, avec les moyens du bord. La Comar est dépassée. A Tapachula, par exemple, elle reçoit 14 000 demandes d’asile par mois, quand elle ne peut en gérer que 6 000 », soupire Mme Brodzinsky. Las d’attendre d’être régularisés, et afin d’éviter les rackets des groupes criminels, les réfugiés prennent des risques en payant des passeurs 300, parfois 500 dollars (entre 265 et 442 euros). Les drames sont fréquents : le 9 décembre, un camion qui transportait illégalement 180 exilés a eu un accident sur une route dangereuse, tuant 55 d’entre eux.
« Le camp est plein »
Les réfugiés dénoncent également des vols de la part de la police ou des agents de migration, qui comptent de nombreux fonctionnaires corrompus en leur sein. Leur statut ne leur permet pas de défendre leurs droits, d’où la nécessité pour eux d’être régularisés. « Le gouvernement doit proposer des alternatives autres que l’asile prévu par la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés. Il peut délivrer des visas humanitaires, mais il faut chercher d’autres statuts pour remédier à cette crise… », estime Mme Brodzinsky.
Quoi qu’il en soit, la caravane repartira vers le Nord. Il lui reste la moitié du périple à parcourir, et rallier les Etats-Unis va prendre encore plusieurs semaines. Fara et Jimy hésitent : tenter leur chance à Mexico peut être une option viable. Pour le moment, ils patientent. Samedi, une cousine de Fara est arrivée avec sa famille. Ils ont fait le trajet seuls depuis le sud du pays. « Le camp est plein, regrette une employée municipale. Vous pouvez rester, mais on n’est pas sûr d’avoir assez de matelas. On va quand même chercher des couvertures… »
Des agents de l’Institut de migration sont venus pour leur proposer une maigre alternative : 30 visas humanitaires et l’obligation de rejoindre différentes villes du pays pour que leurs dossiers soient traités. Lundi, 300 personnes du site sont allées manifester devant l’organisme. Les migrants refusent de se séparer, la caravane est leur bouée de survie. Pour eux, Noël se fera sous ce lourd chapiteau déjà pâli par le soleil et la pluie.
Adossé à son seul sac à dos, Israël griffonne dans son cahier multicolore. « On veut juste travailler pour aider nos familles restées au pays, glisse-t-il. Le président Amlo ne fait rien pour nous, on est très mal considérés. » Sous sa casquette, il lève les yeux. « En arrivant aux Etats-Unis, j’aimerais qu’on me donne un coup de pouce pour publier mon histoire. » Le titre du livre : « La Vie d’un migrant ». Marcelo Gaddi Mexico, correspondance