Ma mère est française et athée. Mon père est marocain et musulman. Il m’a reconnue à la naissance et m’a donné le prénom de Sarah qui signifie « princesse » en hébreu. Sarah, c’est également la femme d’Abraham et la mère d’Isaac. Je porte en second prénom celui de ma grand-mère paternelle, Habiba, « bien aimée » en arabe, tel que l’a également souhaité mon père. Arrivé en France sans papiers, il m’a laissé cet héritage avant de disparaître pour des raisons inconnues.
Issue de la France d’en bas, j’ai grandi au sein des milieux ouvriers populaires à la Zola contemporaine et des familles précaires immigrées. Échouée à 14 ans dans les foyers d’la protection de l’Enfance, j’ai vu de mes propres yeux les conséquences inhumaines de la politique raciste de l’État français en matière de droit d’asile. J’ai écouté avec silences impuissants les récits de mes camarades de foyer venus d’ailleurs.
Ma Jõao, devenue anorexique parce que le changement de foyers lui avait fait perdre le peu de repères qu’elle avait réussis à construire en France. Toutes ces horreurs qu’elle avait subies en Angola et qu’elle m’avait racontées une nuit.
Le p’tit albanais de 15 ans remis à la rue car y avait plus de places d’urgence pour prolonger sa prise en charge. Les rumeurs à l’époque racontaient qu’il « suçait des teubs » en échange de tabac à la gare de Clermont-Ferrand. De Romagnat à la Raie Dieu ça disait ça. Avec du recul j’me dis maintenant que c’était sans doute vrai.
Ma princesse Khadija. Elle venait d’arriver depuis seulement quelques jours. Assises par terre dans sa petite chambre, elle m’avait tout raconté en pleurant. J’avais appris plus tard qu’elle avait menti sur son âge et qu’elle avait été reconduite à la frontière.
Mentir pour survivre n’est pas un crime.
Mon ami Ibra qui s’était fait traité de « negro » dans le bus en rentrant de l’école aux lendemains des attentats de Charlie Hebdo. Son papa engagé politiquement en Guinée avait confié son fils à la France pour le protéger.
La p’tite Nadia dans la cuisine lumineuse du foyer fille du centre de l’Enfance où nous mettions la table. Ses pleurs lorsqu’elle avait compris que j’avais compris qu’elle avait peur des éducateurs hommes car elle avait subi des viols « là-bas », en Algérie.
Chardin, son beau sourire et sa musique joyeuse pour cacher quelque chose que je ne saurai jamais.
Aujourd’hui, je suis étudiante en 3ème année de philosophie à l’Université, syndiquée à l’UNEF Auvergne, adhérente à la Cimade et sympathisante CGT & Parti Communiste. Et depuis Sarkozy, comme beaucoup d’habitants de ce pays, avec ou sans papiers, je me sens trahie et abandonnée par la République Française par son silence et son inaction à l’égard de propos et d’actes intolérables.
Hier soir, Jean-Luc Mélenchon a dit quelque chose de très juste. Éric Zemmour est un « danger ».
Raciste, homophobe, sexiste, transphobe, anti-communiste, anti-syndicale, anti-républicaine : l’extrême-droite est un danger en ce qu’elle met en péril la France.
J’exige de l’État français qu’il ordonne publiquement l’exclusion officielle d’Éric Zemmour du débat public pour ses propos sur les mineurs isolés et ses discours xénophobes à outrance.
L’extrême-droite ne devrait pas avoir sa place dans nos débats publics. Et pourtant depuis trop longtemps, personne n’a les couilles de lui dire merde, seulement quand nous sommes au pied du mur. Le parti des fusillés, les syndicats ainsi que toutes celles et ceux qui se sont battus face au nazisme peuvent en témoigner, même de là où ils nous regardent désormais.
Et quoique je pense de cet homme politique et de l’initiative de ce débat, je remercie Jean-Luc Mélenchon d’avoir osé dire en face les choses à l’autre timbré xénophobe et ce sans fioriture ni pincette. S’il doit être attaqué pour cela, j’appelle à le défendre lui et ses camarades de la France Insoumise parce qu’en dépit de nos désaccords politiques, syndicaux ou partisans, nous ne devons jamais laisser aucun camarade jeté en pâture à l’extrême-droite et au fascisme.
Opposons haut et fort nos belles valeurs communes de solidarité, de fraternité, d’égalité et de justice.
No pasaran
Une bouteille à la mer que personne ne lira car c’est beaucoup trop long mais écrite en pensant très fort à toutes celles et ceux d’en bas qui sont au quotidien trahis, abandonnés, insultés, salis, méprisés, opprimés. Qui souffrent en allant bosser pour un salaire de merde. Qui sont privés d’emploi, de papiers, traités d’assistés. Qui ferment leur gueule mais qu’ont la rage sociale qui coulent dans leurs veines et la dignité dans leur cœur.