Ce 25 décembre 2021, un des plus importants et des plus coûteux projet scientifique de l’histoire de l’humanité va s’envoler du port spatial de Kourou. Le télescope James WEBB est le plus puissant jamais fabriqué. Paradoxalement, cette prouesse technologique partira de Guyane, territoire sous développé qui attend toujours de “dékolé”.
adrien guilleau Abonné·e de Mediapart
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Ce 25 décembre 2021, un des plus importants et des plus coûteux projet scientifique de l’histoire de l’humanité va s’envoler du port spatial de Kourou. Le télescope James WEBB est le plus puissant jamais fabriqué. Il permettra de mieux comprendre la naissance de l’univers, d’étudier les atmosphères des exoplanètes pouvant accueillir la vie, d’étudier la formation des étoiles ou encore celle des trous noirs.
Cet énorme télescope développé depuis 30 ans par la NASA étasunienne avec le soutien de l’ASC canadienne et l’ESA européenne pour un coût de 10 milliards de dollars, s’envolera à bord d’une fusée Ariane depuis la Guyane pour s’installer à plus de 1,5 million de km de la Terre. Dès sa conception, de part ses caractéristiques propres, le télescope James WEBB a été conçu pour être lancé depuis Kourou par une fusée Ariane V. La géolocalisation du Centre Spatial Guyanais (CSG) à proximité de l’équateur (ce qui permet à Ariane d’embarquer jusqu’à 10 tonnes de satellite), dans un environnement stable sans risque sismique, volcanique ou cyclonique a favorisé depuis longtemps la réputation de fiabilité des fusées Ariane, à tel point que les russes ont développé depuis une décennie un pas de tir Soyouz au sein du CSG. Ainsi, une fois de plus, la Guyane de part ses caractéristiques géostratégiques va apporter sa contribution pour l’intérêt général de l’humanité. Mais, que va-t-elle en retirer?
Pour rejoindre son pas de tir, James Webb a dû passer à proximité des nombreux bidonvilles répartis sur le territoire guyanais. En 2017, la Guyane, territoire français de 85 000km² partageant 700km de frontière avec le géant brésilien et 500 km avec le sulfureux Surinam, s’était embrasée pour dénoncer la pauvreté et le manque d’infrastructures sanitaires ou scolaires. Le slogan d’alors était “la fusée décolle et la Guyane reste au sol” ayant donné le nom du collectif en lutte “Pou Lagwyiann dékolé”. L’état français s’était alors engagé, au sein des Accords de Guyane, à développer ce territoire au travers d’un investissement théorique de 3 milliards d’euros.
Près de 5 ans plus tard, alors que l’Etat rechigne à verser deux des trois milliards promis, on est en droit de se demander si le décollage de James Webb va permettre enfin à la Guyane de décoller. James Webb va t-il permettre aux guyanais d’avoir du réseau le long de la seule route qui traverse le littoral? James Webb va t-il permettre le développement d’une route qui reliera tous les habitants du territoire? James Webb va t-il permettre d’avoir de l’eau courante et de l’électricité sur l’ensemble du territoire? James Webb va-t-il permettre aux populations des bidonvilles d’avoir trois repas par jour? James Webb va-t-il permettre aux 53% de guyanais pauvres de sortir de leurs conditions? James Webb va-t-il permettre aux 10 000 enfants non scolarisés de trouver une classe à la rentrée? James Webb va-t-il permettre aux guyanais de se soigner dignement dans des hôpitaux non délabrés?
Malheureusement, il n’en sera rien! Les seules retombées pour la Guyane qu’il faut attendre de James Webb, ce sont les pluies acides issues des nuages d’acide chlorhydrique formés par la fusée Ariane lors de son décollage. Sur les 10 milliards de dollars qu’a coûté ce projet pharaonique, la Guyane devra se contenter des miettes laissées par les touristes et techniciens venus assister au décollage. Le Centre Spatial Guyanais qui occupe une superficie grande comme la Martinique continuera pour sa part de ne pas payer de taxe foncière et aucune contribution sur les faramineux profits de l’ESA ne sera reversé au territoire guyanais.
Evidemment, aucun peuple souverain n’accepterait une telle absence de retombées pour son territoire. Et c’est bien cette absence de souveraineté du peuple guyanais qui explique un tel sous-développement dans un territoire d’où décollent pourtant les plus belles prouesses technologiques de l’humanité !