À l’automne 2022, la mosquée franco-turque de cette ville du bocage normand a été couverte d’inscriptions néonazies. Depuis, un étonnant syndrome semble s’être emparé des habitants : l’apathie. En ce mois de mai, le parquet s’apprête, sans bruit, à classer l’affaire.

Lou Syrah

21 mai 2023 à 10h16

FlersFlers (Orne).– Le soir de « l’expédition », Selçuk Bilici avait éteint son téléphone. C’est rare, son répertoire d’appels en est témoin : Selçuk Bilici est pressé, n’a « pas le temps » et le répète à tout-va. Au-delà des affaires courantes de sa petite mosquée de la rue du Pont-Féron à Flers, ville industrielle du bocage normand, il doit gérer de nombreuses missions invisibles aux yeux du profane et sonder les cieux géopolitiques depuis qu’il a pris la vice-présidence de l’association Ditib France, l’organisme franco-turc chargé d’administrer quelque 270 mosquées. Ce n’est pas choses aisée, en effet, que de naviguer sur les eaux des orageuses relations franco-turques, Emmanuel Macron et Recep Tayyip Erdoğan échangeant à couteaux tirés.

Mais Selçuk aime à répéter que Flers est une ville idéale, « qu’il n’y a jamais eu de racisme ». C’est déjà ce que disait son beau-père, à l’époque où certains immigrés turcs turbinaient encore aux côtés des Portugais, des Algériens et des Polonais dans l’industrie textile. La situation s’est certes tendue depuis la campagne médiatique sur la « loi séparatisme » de 2020 et les déclarations du ministre Gérald Darmanin qui a ciblé du jour au lendemain les fédérations franco-turques, mais Selçuk veut croire que cela s’est estompé.

La preuve, un mois avant « l’expédition » de novembre 2022, l’association religieuse de Selçuk organisait une grande cérémonie, en plein cœur de Paris, pour fêter l’anniversaire du prophète, le « mawlid », à la Mutualité. Ce jour-là, le grand mufti d’Istanbul, venu en personne, prenait le micro au côté de Maher Zain, six millions de fans sur Instagram, une sorte de pop star évangéliste version musulmane, qui chante son amour de Dieu avec un ton mielleux et la chemise entrouverte. Le tout devant des centaines de personnes débarquées de toute la France, sans entrave ni polémique.

Bien sûr, on a regretté que la presse nationale ne fasse pas grand cas de l’événement. C’eût été l’occasion de rappeler que l’islam turc n’est pas qu’un outil entre les mains d’un pouvoir autoritaire, mais qu’il est aussi une culture populaire empreinte de soufisme par exemple, dans laquelle les tombes de poètes comme Yunus Emre ou Rûmi font l’objet d’un fervent pèlerinage. Une dévotion que l’on perpétue en Turquie malgré la condamnation de l’Arabie saoudite qui voit dans le culte des saints et le mawlid des pratiques hérétiques. Mais finalement, on s’est bien accommodé de l’absence des médias. À Paris comme à Flers.

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L’inscription faite sur le mur de la mosquée de Flers dans la nuit du 20 novembre 2022. © Document Mediapart

Dans la cité industrielle, cela faisait plus d’un an que les plans du minaret de la mosquée, installée dans une ancienne imprimerie qui fait face au supermarché Leclerc, avaient été déposés en mairie et que personne n’avait rien eu à redire. Ni la presse ni l’extrême droite. Alors on ne s’est pas méfié, jusqu’au soir de « l’expédition » tout du moins.

C’était dans la nuit du 20 novembre, et Selçuk dormait. Il devait être presque 2 heures du matin quand deux ombres blanches sont apparues sur les écrans de caméra de vidéosurveillance donnant sur le parking.

En moins de vingt minutes, les deux individus parviennent à taguer la mosquée et à se prendre en photo, alors qu’une poignée de jeunes sont réunis de l’autre côté du mur, dans la salle de jeux. On découvre rapidement le méfait : « Islam hors d’Europe », en majuscules. Et « Division Charlemagne », en référence aux Français engagés au côté de la Waffen SS.

Le lendemain, une énorme tension règne dans le bureau de Selçuk, où tout le monde se repasse en boucle la vidéo. On voit les deux individus se cacher derrière une voiture pour ne pas être découverts par un fidèle qui entre, à ce moment précis, dans le parking. Les reproches fusent : « T’aurais pu les arrêter ! » La colère se mêle à l’impuissance. « Tu serais entré cinq minutes avant dans le parking, ils se seraient enfuis en courant… » On pense aussi à ce qui aurait pu se passer de plus grave, si des jeunes étaient tombés nez à nez avec les deux hommes vêtus comme pour aller au combat – cagoule et treillis militaire.

Dans la foulée, le maire, le préfet, des élus, la sénatrice et le député de la circonscription viennent à la mosquée apporter leur soutien. On organise une prise de parole. Dans l’assistance, certains ont le sang qui bout dans les veines mais on se tait. Le mot a été passé : pas d’esclandre ni de débordement. Du côté des responsables politiques, on partage son « effroi », sa « solidarité », mais le message est aussi très cadré. « La République est là pour défendre les habitants et assurer la sécurité », déclare la sénatrice Nathalie Goulet (centriste). Et on en reste là.

Pas de coupable identifié

Depuis ? rien. Ni manifestation contre la haine ni conférence sur le racisme. L’affaire a été évacuée dans les archives des faits divers, comme s’il n’y avait aucune leçon à en tirer.

Le 12 mai, le parquet d’Argentan, chargé de l’enquête, confirmait le classement sans suite à venir de l’affaire. « Les mis en cause n’ont pas pu être identifiés »,déclarait-il au journal Ouest-France. Comme à l’accoutumée dans ce genre de dossier, les victimes ont été laissées sans nouvelles. « Nous l’avons appris dans la presse locale », explique Subay Sahin, vice-président de l’amicale franco-turque et adjoint au maire de la ville. Pas un coup de fil du tribunal, même pas du commissariat de police. « C’est impensable…», s’agace-t-il, amer.

Début 2023, lors du passage de Mediapart dans la ville, il y avait peu de monde pour évoquer cette affaire du tag néonazi. Mosquée comprise.

La peur sans doute. Mais aussi la gêne, plus classique, des victimes qui craignent de voir la responsabilité se renverser. « Pourquoi est-ce qu’on viendrait mettre de l’huile sur le feu ? » en remuant toute cette histoire, abondait de son côté Selçuk.

Oz, 39 ans, reconnaît bien là ce syndrome de l’immigré. Ce petit génie du rap a grandi dans une famille typique du quartier du Pont-Féron : une mère au foyer et un père d’origine turque qui s’est cassé le dos à désosser des carcasses de bœufs dans les usines de la ville pour nourrir la France en steaks hachés. Il se souvient des engueulades avec son propre père quand lui-même, plus jeune, tombé dans le rap comme en religion, grattait des vers sur le racisme pour hurler ses aspirations à l’égalité. « Mon père me répétait : “Arrête de te prendre la tête avec ça. Travaille !” »

L’affaire du tag, il l’a regardée depuis Caen, où il s’est installé, et, face à la banalisation du racisme, il ne s’étonne en rien de l’apathie générale. « Les gens ne diront rien tant qu’on s’attaque à un mur. On effacera les insultes et en même temps les souvenirs. Et tout le monde oubliera jusqu’à ce qu’un jour on s’attaque peut-être à leurs enfants ou à leur porte-monnaie. Là, ce sera différent. » Les tags, en effet, ont depuis été recouverts de peinture blanche et l’affaire a été mise sous le tapis.

Des cibles qui ne doivent rien au hasard

L’ histoire n’est pourtant pas anodine. Flers illustre à la perfection un phénomène qui s’intensifie sur tout le territoire. Depuis que le gouvernement a lancé ses grandes manœuvres avec la « loi séparatisme », des attaques pleuvent sur les mosquées, sans qu’on juge utile de se pencher sur le caractère systémique de la chose.

Parmi celles-ci, on compte une grande quantité de mosquées liées aux deux fédérations franco-turques, le Millî Görüş et celle de Ditib, à laquelle appartient la mosquée de Flers de Selçuk.

Les cibles ne doivent rien au hasard. Elles sont le résultat d’une campagne au lance-flamme initiée par le ministre de l’intérieur lui-même. L’épisode remonte à la « charte des imams ». Cette idée qu’il faudrait faire signer un contrat de « moralité républicaine » pour distinguer les bons des mauvais musulmans n’est pas nouvelle. Gérald Darmanin, qui puise régulièrement dans le laboratoire d’idées de l’extrême droite, s’est largement inspiré d’une mesure défendue avant lui par Nicolas Dupont-Aignan. Le Rassemblement national n’est pas en reste – c’est lui qui militait pour la dissolution du Collectif contre l’islamophobie en France (CCIF) avant même que le ministre accède à la demande à la fin 2020.

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Montage des images de vidéosurveillance de la mosquée de Flers montrant les deux individus taguant la mosquée et se prenant en photo. © Document Mediapart

Début 2021, quand les fédérations franco-turques du Millî Görüş et celle rattachée à Ditib refusent de signer la charte (en demandant des accommodements), Gérald Darmanin, en pleine promotion de sa « loi séparatisme », saute sur l’occasion. Un débat face à Marine Le Pen, où il l’a jugée trop « molle » vis-à-vis de l’islam, l’a revigoré. Il veut montrer les muscles et met au pilori les deux fédérations. Du jour au lendemain, ces acteurs institutionnels, régulièrement invités dans les salons cossus de l’Élysée, sont érigés en « ennemis de la République » suspectés d’« entrisme » – sans qu’aucun élément factuel soit publiquement avancé.

Un fichier de mosquées « séparatistes » sur internet

Le discours marche à fond. Il cristallise le préjugé originel antimusulman, celui de l’Ottoman perçu comme conquérant et barbare. Dans la foulée, l’extrême droite, qui théorise depuis des années l’idée complotiste d’une Europe chrétienne menacée par le péril de l’islamisation, n’a aucun mal à prendre le relais de Gérald Darmanin. L’Intérieur et l’extrême droite font front commun. Le calendrier, à cet égard, est édifiant.

Le 10 mars, Damien Rieu, ancien du groupuscule Génération identitaire (aujourd’hui dissous) et rallié depuis à Zemmour, diffuse sur Twitter un fichier des mosquées « qui refusent de signer la charte », jetées en pâture par Darmanin. Accessibles sur Google Maps, des centaines de lieux de culte sont recensés.

Le 18 mars, une mosquée de Vichy reçoit des menaces d’incendie.

Le 22 mars, Gérald Darmanin remet une pièce dans la machine en s’en prenant à la mairie Europe Écologie-Les Verts de Strasbourg qui soutient la construction d’une mosquée franco-turque.

Le 7 avril, un homme est mis en examen pour avoir menacé de s’attaquer à la mosquée du Mans (Sarthe).

Le lendemain, c’est la porte de la mosquée Ar-Rahma à Nantes qui prend feu.

Le 10 avril, la mosquée Avicenne de Rennes est recouverte de tags islamophobes : « Les croisades reviendront », « Non à l’islamisation ».

Un obscur comité « Action France »

Le 17 avril, le responsable de la fédération du Millî Görüş, Fatih Sarikir, reçoit une lettre de menace de mort signée par un obscur comité « Action France ».

Le 21 avril, c’est le chantier de la mosquée de Talence qui est tagué.

Le 3 mai, c’est la mosquée de la fédération Millî Görüş à Albertville qui est ciblée par une tentative d’incendie.

Le 5 mai, l’eurodéputé RN Nicolas Bay (aujourd’hui rallié à Éric Zemmour) se filme devant le chantier d’une mosquée de la banlieue d’Évreux pour dénoncer le « communautarisme qui apporte la délinquance, la criminalité et même le terrorisme » – une phrase qui déclenche l’ouverture d’une enquête pour « incitation à la haine raciale ».

Le 20 juillet, un homme casqué, muni d’une masse, saute par-dessus les grilles de la mosquée de Bondy et met en pièces la porte de l’édifice, en pleine journée. À lire aussi Mosquées attaquées : cette série noire que l’État ne veut pas voir

28 avril 2023

La liste est longue. Y figure bien sûr la mosquée franco-turque de Flers, également géolocalisée sur le document de l’identitaire Damien Rieu, consulté par plus de soixante-dix mille personnes. Elle se trouve toujours sur Internet. Car en l’absence de plainte et de poursuite judiciaire, personne n’a jugé utile de faire retirer cette cartographie du web. Ni les fédérations de mosquées ni les pouvoirs publics. Sur les 77 attaques de mosquées  recensées par Mediapart depuis 2019, un tiers avaient fait l’objet d’un fichage de l’extrême droite.

Gérald Darmanin avait pourtant déclaré, lors d’un de ses rares déplacements de soutien à une mosquée, à Rennes : « Il n’y a pas de petits faits » et « ceux qui se sont attaqués à ces lieux de culte sont eux-mêmes des séparatistes ». Mais il a toujours balayé l’idée qu’il y aurait une spécificité dans les attaques de mosquées, s’appuyant sur le chiffrage des actes antichrétiens, plus nombreux sur le papier – alors que la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) souligne le côté flottant de ces données, les attaques crapuleuses de lieux catholiques (comme les vols) étant mêlées aux atteintes aux mosquées et synagogues qui revêtent plus souvent un caractère antireligieux et raciste.

Ne pas « braquer le projecteur » sur la mosquée de Flers

De cette carte des « mosquées séparatistes », personne ne parle en février dans le bocage normand. À Flers, Yves Goasdoué, 63 ans, dont vingt-neuf au Parti socialiste et vingt-deux à la tête de la ville, accueille au débotté dans sa mairie. Ce fichage, il n’en a jamais entendu parler. Lui parle avec les accents du bon gestionnaire, chargé comme il le dit lui-même de « veiller à la consolidation des ponts ». Dans ce cahier des charges, développer un contre-discours au racisme ambiant ne semble pas figurer en bonne place. Il ne voit pas pourquoi il faudrait « braquer le projecteur » sur ce qui s’est passé à la mosquée en organisant un rassemblement antiraciste. Au fond, il laisse toutes ces affaires à l’État et à la justice. À l’entendre, ce retrait de l’arène des idées relèverait de la pure stratégie politique : appeler à lutter publiquement contre l’extrême droite ferait le jeu de l’extrême droite. « Les préjugés se dégonflent tout seuls quand les gens réalisent que le vivre-ensemble est possible », lance le maire.

Le propos semble sorti d’un autre temps, de l’époque où l’extrême droite n’avait pas 88 députés à l’Assemblée nationale, ne disposait pas de ses propres chaînes d’information, n’avait pas micro ouvert sur les matinales du service public. « Il n’y a qu’à regarder dans les urnes », insiste-t-il, le RN n’a pas réussi à s’enraciner dans sa ville.

L’élu ne semble pas se figurer que l’extrême droite, engagée dans un combat « civilisationnel », peut se mobiliser à tout moment pour faire plier des mairies, comme celle du petit bourg breton de Callac ou Saint-Brevin-les-Pins (Loire-Atlantique) où toutes les forces réactionnaires du pays ont convergé ces derniers mois pour empêcher l’ouverture de foyers pour réfugié·es et un centre d’accueil de demandeurs d’asile.

Dans la période, rares sont de fait les élu·es à avoir mouillé leur chemise après une attaque de mosquée.

Les fantômes du passé

À Flers, pourtant, plusieurs fantômes du passé auraient pu resurgir et donner de la voix au combat antiraciste. Il y a quatre décennies, en effet, deux travailleurs d’origine algérienne qui voulaient juste rentrer dans un bistrot s’étaient fait tirer dessus. Aux assises, le tireur s’en était sorti sans condamnation ou presque, sous les hourras de la foule, après un déferlement de racisme au procès. « Les Arabes ont le couteau facile », avait-on entendu du côté de la police. Le verdict ? « Imprudence en manipulant son arme sur la voie publique ». L’une des victimes a fini sa vie paralysé dans le plus grand dénuement.

À l’époque, le Mouvement contre le racisme et pour l’amitié entre les peuples (Mrap), qui venait de se mobiliser nationalement pour faire adopter l’arsenal antiraciste dit « loi Pleven », avait réuni ses troupes à Flers, organisant un meeting de quatre cents personnes. Il avait créé ici sa toute première section locale, au front à peine quelques années plus tard, lors de l’affaire dite cette fois du « Mille-Pattes » : dans cette boîte de nuit de Flers où, de notoriété publique, on ne faisait entrer ni « les bougnoules » ni « les noirs », une ratonnade avait fini dans le sang. Le Mrap avait alors tenté d’en tirer quelques enseignements, théorisés sous le nom de « mal de Flers ».

Mais depuis, cet héritage s’est envolé. Il n’y a même plus personne pour dire quand la cellule du Mrap s’est éteinte dans la ville. De son côté, le maire le confesse humblement : il n’a jamais entendu parler de ces affaires.

« Il y avait plus de morts dans les années 1970 » et on ne tire plus sur les Arabes à la sortie des bistrots, souligne tout de même Jacques Declosmenil, aujourd’hui à la tête de la section Manche du Mrap. Mais la situation actuelle, avec des expressions de haine encouragées par une situation économique déplorable et une offre politique renouvelée, présente tout de même bien des similitudes. Différence de taille : contrairement aux années 1970, le camp de l’antiracisme est dévasté. Et les dernières troupes s’essoufflent.

Il n’y a plus personne pour mener la bataille des idées.

Jacques, du Mrap

Après vingt-cinq années de lutte et de belles condamnations à son tableau de chasse, Jacques Declosmenil fait ainsi le bilan. « À 76 ans, je suis très inquiet, partout en Autriche, aux Pays-bas, en Suède, en Italie, en France, la gangrène prend et on n’est plus à même de renverser la vapeur. » Il n’y a qu’à voir sa section : une dizaine d’adhérent·es pour un territoire de 80 0000 habitant·es. Face à l’ampleur de la tâche, certains jettent l’éponge, comme le maire de Hémevez (150 habitant·es), dont les administré·es ont voté à 68 % pour Marine Le Pen à la dernière présidentielle. Et qui a démissionné dans la foulée. « Le problème,résume Jacques, c’est que de manière générale, les gens de gauche ne font plus de politique, ils font de l’humanitaire. Et il n’y a plus personne pour mener la bataille des idées. »

Certains réflexes sont ainsi engourdis. Quand l’Association de solidarité avec tou·te·s les immigré·e·s (l’une des rares à opérer à Flers) a entendu parler des tags sur la mosquée, personne n’a pensé à faire le lien avec un autre événement. En août 2021, un homme avait déposé un message haineux sur la messagerie vocale de l’association : « Comment ça se fait que les Français dorment dehors et travaillent comme des esclaves pour nourrir les étrangers et les bougnoules que vous faites venir par centaines de milliers ? Comment ça se fait que des Français se font tuer par des terroristes étrangers ? […] J’aimerais bien des réponses. »

L’homme avait donné son nom, sans que cela ne semble intéresser le commissariat local, comme l’explique la directrice contactée par Mediapart. « Personne n’a été en mesure de me dire ce qu’il était advenu de la main courante que j’avais déposée à l’époque… »

De son côté, ces derniers mois inspirent une peur panique à Mohamed Nfaoui, responsable de la mosquée d’Alençon, à une heure de route de Flers. Lui a vu ces dernières années une gradation dans les atteintes : il y a eu ces côtelettes de porc balancées sur la porte de la mosquée ; des gens qui urinent sur la façade ; et puis une tentative d’incendie ; et enfin un tag « singe » revenu régulièrement souiller le bâtiment. Il a toujours pensé à porter plainte, mais « le problème c’est qu’à chaque fois, la justice a classé sans suite ». À lire aussi Racisme : contre la haine ordinaire et l’indifférence qui gagne

5 mai 2023

Il aura fallu le secours du hasard pour que le tagueur récidiviste soit arrêté. Un matin, un fidèle, sentant l’odeur de peinture, est en effet sorti l’interpeller lui-même et l’a remis à la police. Le jour de l’audience, au tribunal d’Alençon, l’individu de 52 ans a exposé ouvertement son islamophobie, précisant ne « pas beaucoup [aimer] les musulmans. Ils sont un peu roublards ». Il a été condamné à quatre mois de prison avec sursis. « Quand le tribunal m’a demandé ce que je voulais en dédommagement, poursuit Mohamed Nfaoui, j’ai dit “ rien ”, juste que cet homme ne recommence plus. Et plus tard, quand ce dernier s’est retourné vers moi, il m’a dit “ merci ” ». J’ai vu un pauvre homme qui ressemblait à un môme. »

Mohamed note au passage qu’« aucun journaliste n’est venu » parler avec lui le jour du procès. En même temps, il confesse que lui non plus n’a pas cherché à médiatiser l’affaire outre mesure. Face à la honte, explique-t-il, le silence est parfois l’ultime recours pour défendre une dignité bafouée. C’est l’arme du pauvre, en somme. Il pense ainsi à son père, ouvrier d’origine marocaine, respecté à l’époque en raison de sa qualité d’imam de la communauté, mais à qui on demandait malgré tout s’il allait chercher son « chameau » une fois sorti de l’usine. Son père, lui, qui ne pipait mot.

Mohamed évoque aussi l’anecdote de ce fidèle, un chibani, qui pleurait en silence un matin, juste avant la prière de l’aube. « C’était le premier à être arrivé. On lui a demandé : “ Mais pourquoi pleures-tu ? — Parce que j’essaie d’effacer les traces avant que les autres fidèles arrivent ”. » Le vieux monsieur s’était retrouvé face à la porte de la mosquée maculée d’excréments et s’empressait silencieusement d’effacer l’offense. « Pour que les autres fidèles n’en sachent rien. »

Lou Syrah

Boîte noire

Mediapart s’est déplacé à Flers et dans le département l’Orne une semaine entre le 2 et le 6 janvier 2023.

Initialement publiée dans le livre  La haine ordinaire (éditions du Seuil) le 6 mai dernier, l’enquête a fait l’objet d’une mise à jour.

Contacté à plusieurs reprises, le parquet d’Argentan n’a pas souhaité répondre à Mediapart, ni sur les actes d’enquête réalisés, ni sur le nombre d’enquêteurs mobilisés. Mediapart a récemment publié une enquête évoquant le classement sans suite massif des affaires impliquant des mosquées attaquées, que vous pouvez retrouver ici.

Si vous avez été témoin ou vous-même victime de faits similaires, vous pouvez témoigner anonymement auprès du journal en remplissant le formulaire ici.

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