Employé dans une blanchisserie de Lozère, ce jeune Malien est soutenu par son employeur, qui a cessé de s’alimenter depuis une semaine pour éviter l’expulsion à son apprenti.
« Je n’ai jamais été militant. Jusqu’ici, je ne m’intéressais pas aux questions politiques liées à l’immigration. Pour moi, si quelqu’un était reconduit à la frontière, c’est qu’il avait fait quelque chose de mal. » Brice Saint-Pierre, 43 ans, vient de découvrir une tout autre réalité. Il fait face à l’acharnement de la préfecture de Lozère à l’encontre de Moussa Tambadou, un jeune Malien en apprentissage dans son entreprise.
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Lundi 10 janvier, pour tenter d’empêcher son expulsion du territoire français, le patron de la blanchisserie Le lavoir des Causses, au Massegros, non loin de Mende, a entamé une grève de la faim. Samedi 15 janvier, près de 200 personnes se sont rassemblées devant la préfecture pour le soutenir et demander la régularisation du jeune homme.
Un élève « studieux et appliqué »
Orphelin maltraité par son beau-père, Moussa Tambadou a fui les violences dans son pays, laissant derrière lui une fratrie dont il n’a plus de nouvelles. Arrivé en France à l’âge de 16 ans, il est directement pris en charge, au printemps 2019, par l’Aide sociale à l’enfance, en tant que mineur non accompagné. Scolarisé en troisième au collège Henri-Rouvière du Bleymard, il obtient rapidement les félicitations du conseil de classe, qui décrit un élève « studieux et appliqué ». Moussa démarre son apprentissage dans la blanchisserie de Brice en septembre 2020. « Il s’est très vite intégré parmi mes dix-huit autres employés qui l’apprécient tous », insiste l’entrepreneur, qui lui a récemment proposé de l’embaucher en CDI dès que possible.
L’administration met en cause la validité de ses papiers d’identité
Mais, en avril 2021, tout bascule. Moussa vient d’avoir 18 ans, et la préfecture de Lozère refuse de lui fournir un titre de séjour. L’administration met en cause la validité de ses papiers d’identité et, en guise de cadeau d’anniversaire, lui signifie une obligation de quitter le territoire français (OQTF). Le jeune adulte a pourtant en sa possession une carte d’identité et un passeport fournis par l’ambassade du Mali. « Les récents changements législatifs intègrent une forme de présomption d’irrégularité de tout document administratif produit par un étranger, dénonce M e Moura, son avocate. On cherche la petite bête et à la moindre incohérence sur un acte de naissance, parfois rédigé dans un petit village au fin fond du Mali, on dérape en parlant de faux papier. »
Plus de 22 000 personnes signent une pétition pour le soutenir
Assigné à résidence à Mende en vue de son expulsion, le jeune apprenti est contraint de quitter Le lavoir des Causses en juillet 2021. En moins d’un mois, plus de 22 000 personnes signent une pétition pour le soutenir. Brice écrit plusieurs courriers à Valérie Hatsch, la préfète de Lozère. « Il est difficile de recruter, explique-t-il. Il est inconcevable que ce jeune homme ambitieux et motivé soit contraint de sortir du territoire national. » Il ne reçoit aucune réponse. Empêché de poursuivre sa formation en alternance, Moussa décide de s’inscrire au lycée.
Après la rétention administrative, l’incarcération en maison d’arrêt
Mais, le 28 décembre 2021, le jeune Malien ne revient pas du commissariat où il doit pointer tous les jours. Il a été arrêté et placé en rétention administrative à Toulouse. Il doit monter dans un avion à destination de Bamako, le surlendemain. « Je ne peux pas rentrer là-bas, explique Moussa, la gorge serrée. Je ne ferai qu’y retrouver les problèmes que j’ai fuis. Je risquerai ma vie. C’est pour ça que j’ai refusé de faire le test PCR. » Les autorités maliennes imposent en effet un dépistage du Covid-19 aux personnes reconduites. Moussa évite l’expulsion en s’y opposant. Il est, en revanche, immédiatement incarcéré à la maison d’arrêt de Seysses (Haute-Garonne) et jugé en comparution immédiate. Il écope de deux mois de prison avec sursis et retourne en centre de rétention administrative. Le 31 décembre, cependant, le juge des libertés, constatant plusieurs erreurs de procédure, ordonne finalement sa libération.
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« La situation de mon apprenti reste inchangée, reprend Brice Saint-Pierre. Dès qu’elle a su que Moussa avait refusé de faire le test PCR, la préfète a commandé un autre avion pour l’expulser. Il risque d’être renvoyé du jour au lendemain. » Révolté, il lance un appel, le 10 janvier, destiné notamment aux militants des Réseaux Éducation sans frontières (RESF) de Haute-Garonne et de Lozère : « N’arrivant pas à avoir un dialogue constructif avec notre administration pour évoquer nos vrais problèmes d’entrepreneur, parce qu’on parle d’une vie et non d’un numéro ou d’un pourcentage (…), parce qu’on est prêt à risquer la vie de Moussa en le ramenant dans un pays tourmenté, j’ai décidé également de risquer ma vie en entamant aujourd’hui une grève de la faim pour sauver mon apprenti. Merci pour votre soutien. »
Samedi, déjà éprouvé par une semaine passée sans se nourrir, Brice ne s’est pas rendu au rassemblement. Moussa, lui, était bel et bien présent. « En France, j’ai partout été très bien accueilli, confie-t-il. Par le conseil départemental, par mes professeurs et à la blanchisserie. L’assignation à résidence, les procès, la prison… tout ça, je ne pensais pas que ça pouvait m’arriver ici. »
L’OQTF de Moussa court jusqu’au printemps, mais le laissez-passer des autorités maliennes pour accepter son retour prend fin plus rapidement, en février. Dans cette course contre la montre, la préfecture risque bien de ne pas attendre l’échéance pour tenter à nouveau de le renvoyer. Pour l’en dissuader, RESF a décidé de faire un recours hiérarchique auprès du ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, et 30 000 personnes ont signé la pétition demandant l’arrêt de la procédure d’expulsion. Brice, pour sa part, entend poursuivre sa grève de la faim tant que les autorités refuseront de lui répondre.