Par Julia Pascual
Reportage Près de 94 000 personnes ont été naturalisées en France, en 2021. Rencontre avec ces nouveaux Français venus chercher leur décret de naturalisation à la préfecture des Hauts-de-Seine, à Nanterre.
Il y a celle qui s’attendait à une « minicérémonie » et celui qui ressent malgré tout « beaucoup d’émotion », il y a là le médecin tunisien, la secrétaire médicale ivoirienne et la juriste roumaine… Par-delà leurs différences, ils sont un peu moins d’une centaine venus, ce mardi 18 janvier, retirer leur décret de naturalisation au guichet de la préfecture des Hauts-de-Seine, à Nanterre. Et ils sont tous français désormais.
En 2021, environ 94 000 personnes ont obtenu la nationalité – que ce soit par déclaration (conjoints et enfants de Français) ou, pour une majorité, par décret –, après avoir fait la preuve de leur connaissance du pays, de leur adhésion à ses valeurs et à condition de résider depuis cinq ans au moins en France et d’y avoir leurs « centres d’intérêt matériels et affectifs ». Lire aussi Article réservé à nos abonnés Entre « fermeté » et « humanité », la ligne de crête d’Emmanuel Macron sur l’immigration
Ioana (les personnes dont seul le prénom apparaît ont requis l’anonymat) est chic dans son manteau de laine droit, son sac à l’effigie d’un grand couturier sur l’épaule et ses écouteurs de marque aux oreilles. Elle tient la chemise qui vient de lui être remise, contenant son décret de naturalisation, La Marseillaise, la Déclaration des droits de l’homme et la charte des droits et devoirs du citoyen français. Dans un français parfait, la jeune femme, originaire de Roumanie et juriste, explique qu’elle n’avait « pas besoin » de la nationalité, mais elle la voulait « par principe, pour pouvoir voter et [s]’associer pleinement au pays ».
Franchement « soulagée », Henriette, elle, y voit la reconnaissance de « toutes les galères » qu’elle a vécues. Cette femme de 49 ans, originaire de Côte d’Ivoire, est venue dans la région parisienne il y a presque vingt ans pour épouser un Français. Elle a quitté son pays, son travail, sa famille, et s’est retrouvée, malgré elle, dépendante de quelqu’un. Depuis, elle a suivi des formations, beaucoup travaillé, comme assistante de vie, garde d’enfants ou employée d’un supermarché. Elle a demandé la nationalité dès 2017, mais, explique-t-elle, son dossier est passé de main en main et a végété dans les limbes de l’administration. Elle se souvient de son « entretien individuel de naturalisation » et des questions qui l’ont « déstabilisée ». Le nom du premier ministre ? « Je ne sais pas, mais je sais qu’il est grand ! », a-t-elle répondu à l’agent de la préfecture qui l’interrogeait. « Je croyais qu’ils allaient me crucifier, mais je suis tombée sur une dame assez sympa. »
Envie d’en savoir plus sur l’immigration en France ?Test gratuit
« On voit le futur ici »
Meghana et Amar, un couple de trentenaires, sortent justement de leur entretien. Lui tient à la main des notes qu’il a révisées juste avant et sur lesquelles on peut lire les grandes dates de l’histoire de France. « La dame nous a mis à l’aise », disent-ils. Ce couple d’Indiens est en France depuis 2012. « On voit le futur ici », explique Meghana, qui a accouché début janvier de leur premier enfant. D’abord étudiants, elle est aujourd’hui responsable marketing d’une entreprise de technologie dans le secteur du voyage et lui est ingénieur d’affaires. Ils devront attendre environ un an avant d’obtenir une décision.
Si les nationalités concernées par les naturalisations dans les Hauts-de-Seine recoupent peu ou prou le classement national – 43 % des demandes proviennent du Maghreb, suivies de l’Afrique francophone (Cameroun, Côte d’Ivoire, Sénégal) –, le public présente la particularité de concentrer des profils qualifiés, une situation liée à la proximité du quartier d’affaires de la Défense. Plus de 90 % des demandes connaissent une issue positive
« Ça y est, enfin, je me sens chez moi, je fais partie de la France. » Sandra a pleuré de joie quand elle a su que sa demande de naturalisation avait été acceptée. Arrivée en France à l’âge de 13 ans, la jeune femme en a désormais 36. Elle dit connaître mieux la France que son pays d’origine, la Côte d’Ivoire. Sa première demande avait été ajournée deux ans, à cause d’une dette fiscale. « J’avais payé mon impôt sur le revenu avec du retard », explique-t-elle. Elle avait trouvé le refus de l’administration « très sévère » et failli baissé les bras. Grâce au Covid-19, les choses se sont finalement accélérées. Marlène Schiappa, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur, chargée de la citoyenneté, a demandé aux préfectures de prioriser les travailleurs étrangers mobilisés pendant la crise sanitaire. Un peu plus de 16 000 d’entre eux ont bénéficié du dispositif. Sandra, secrétaire médicale dans une clinique, en fait partie.
De même que Mohamed, pédiatre, qui a été « volontaire pendant le Covid pour travailler dans un service de réanimation adulte » à l’hôpital. Ce désormais Franco-Tunisien de 39 ans trouve « magnifique » qu’un pays « offre aux gens d’acquérir la nationalité par le travail ».
Un sentiment ambivalent
Au guichet des naturalisations de Nanterre, il y a autant de sensibilités qui s’expriment que de personnes. Andrea Cuellar-Monroy, salariée d’un cabinet de conseil en informatique, témoigne d’un sentiment complexe et parfois ambivalent. La jeune femme de 30 ans a « réalisé » qu’elle se sentait « plus à sa place » en France, lorsqu’elle a rendu visite à ses parents, en Colombie. Elle dit aujourd’hui appartenir « aux deux pays » et, surtout, ne « jamais » s’être sentie immigrée. « Immigrée, dit-elle, c’est quand on est obligé de partir. Moi j’ai choisi la France. »
Abdessalem, lui aussi, a choisi la France. Pour autant, il se sent immigré « depuis toujours ». « On me pose tout le temps la question de mes origines », justifie le jeune homme de 30 ans, qui a grandi en Tunisie avant de venir terminer ses études de littérature à la Sorbonne. Professeur contractuel de français, depuis 2016, dans un collège de Meudon, il considère qu’il est « mieux » d’être français. « C’est une diversité, c’est Hugo, Balzac, la liberté d’expression, le droit de vote, pouvoir voyager partout, avoir une réputation dans le monde qui passe partout… », énumère-t-il. Depuis la révolution de 2011, il regrette que l’image de son pays d’origine soit ternie. Au moment de sa naturalisation, il a voulu changer d’état civil et s’appelle désormais Alexis.
Il va pouvoir passer le concours de professeur de lettres modernes et sortir du statut précaire de contractuel pour être titularisé. Sandra, la secrétaire médicale, va, elle aussi, pouvoir tenter des concours de la fonction publique hospitalière. Elle n’aura surtout plus « honte » de devoir montrer sa carte de séjour. « Ça choquait mes collègues », confie-t-elle.
Tous sont soulagés d’être débarrassés des lourdeurs administratives. « Tous les ans, je venais faire la queue devant la préfecture à partir de 4 heures du matin pour renouveler mon titre de séjour », rapporte Mme Cuellar-Monroy.
Ce jour-là justement, comme un clin d’œil, ils sont une petite centaine devant la préfecture, réunis pour demander leur régularisation. Des travailleurs sans papiers d’une entreprise d’intérim spécialisée dans le BTP et leurs soutiens. Pour eux, le chemin est encore long et incertain avant d’intégrer la communauté.