Le 27e rapport de la Fondation Abbé Pierre sur le mal-logement en France pointe les effets néfastes de la réforme de l’APL du quinquennat Macron et soulève l’échec du dispositif gouvernemental le Logement d’abord. En marge de ce diagnostic, l’antenne régionale de l’association mène depuis un an une expérimentation du même nom avec les bailleurs sociaux de Bordeaux Métropole. Elle a déjà abouti à la mise à disposition de 7 habitations facilitant l’accès au bail, et deux autres pour un bail de transition avec des sans domicile. Et les associations sont prêtes à faire l’intermédiaire entre des propriétaires de logements et des personnes à la rue.
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A suivre…
Sidi Mohamed a un parcours « digne d’un roman » prévient-il. Originaire de la Mauritanie, il est arrivé seul en 2015 sur le sol français pour travailler comme ouvrier agricole et subvenir aux besoins de sa famille, sa mère et ses frères, et constituer des économies avant de regagner son pays.
Son épouse, enseignante d’Histoire-Géographie, était restée en Mauritanie avec leurs quatre enfants. Atteinte d’un cancer, elle ne peut plus supporter d’élever ses enfants seule, alors que le dernier, trisomique, souffre de problèmes respiratoires de plus en plus importants. En 2019, toute la famille rejoint donc la France et la femme de Sidi Mohamed est prise en charge à l’hôpital d’Agen.
A six, ils aménagent dans un plus grand appartement où, rapidement, les relations avec le voisinage se dégradent. Dans la nuit, Sidi Mohamed appelle la police pour tapage nocturne. Le lendemain matin, il est agressé au couteau au thorax pour le voisin bruyant. Si ce dernier est condamné, ses proches ne veulent pas en rester là, ce contraint la famille mauritanienne à partir, « le plus loin possible » aurait conseillé un policier.
« J’ai décidé de venir à Bordeaux et, bien sûr, j’ai perdu mon travail. Nous avons dormi dans la voiture sur le parking de l’hôpital, jusqu’à ce que la Fondation Abbé Pierre s’occupe de notre cas » raconte le père de famille.
Logement d’abord, mais sans le gouvernement
La nouvelle page de la famille de Sidi Mohamed s’écrit grâce à une coopération entre la Fondation Abbé Pierre, Les Gratuits Gironde Solidarité, et Aquitanis. Le bailleur social a ouvert les portes d’un pavillon à Lormont où les quatre enfants sont scolarisés et où le père de famille exerce le métier de chauffeur-livreur. Cette grande maison avec jardin a été ravagée par un incendie auparavant, et même si des problèmes d’humidité persistent sur certains murs, elle a été rénovée et mise à disposition pour un loyer mensuel de 850€.
« Notre offre existe depuis 2005 avec le pôle “Habitats Spécifiques“, précise Claire Gelain, responsable du Pôle gestion locative et solidarités chez Aquitanis. Nous avons aujourd’hui 500 logements de ce type grâce au dispositif financier RHI [résorption de l’habitat insalubre, NDLR]. Sur ce patrimoine diffus, il y a aussi des opérations de sédentarisation des gens de voyage, comme des opérations pour loger les plus précaires. Ce terme englobe plusieurs profils : public en errance, public jeune, public que la crise Covid a mis en exergue, sans oublier les séniors de plus en plus fragiles. »
Pour Aquitanis, le recours à des associations sur le terrain est indispensable « pour permettre l’accès au bail direct avec une solution sur mesure ». Le bailleur propose des logements vacants, souvent dégradés. Le partenariat avec des associations comme la Fondation Abbé Pierre et les Compagnons bâtisseurs permet d’alléger la facture des travaux, et in fine de proposer des logements vraiment abordables.
Quel bilan pour l’opération Logement d’abord ?
La préfecture de la Gironde dresse un « bilan positif » de l’opération « Logement d’abord », rebaptisée « De la rue au logement », qui aurait permis de « faire rentrer plus de 300 personnes dans un parcours résidentiel ». Cela inclut des personnes qui ont eu un accès facilité au logement social. « Mais on s’est rendu compte qu’il y avait besoin de structures comme des pensions de famille ou des colocations pour ne pas passer directement à du logement social », a récemment déclaré la préfète Fabienne Buccio.
Dans ses rapports sur le mal-logement, la Fondation Abbé Pierre a déploré des « financements insuffisants » pour ce dispositif, seulement doté de 15 millions d’euros pour les 23 premiers territoires sélectionnés (dont le département de la Gironde et Bordeaux Métropole), puis de 34 millions pour 23 nouveaux sites.
Le plan Logement d’abord avait également été éreinté par la Cour des comptes, qui a relevé fin 2020 que « les résultats paraissent systématiquement en-deçà des cibles fixées », notamment en matière d’accès au logement des personnes hébergées et des réfugiés, ainsi que de la production de logements très sociaux et de pensions de famille.
De fait, hors parcours dans le logement social qui se rapproche du droit commun, les expérimentations locales dans le cadre de l’appel à manifestation d’intérêt de l’Etat sont modestes : Bordeaux Métropole et le Département de la Gironde ont développé l’initiative « 30 logements d’abord » portée par le Fonds de solidarité Logement (FSL) et l’union régionale HLM Nouvelle aquitaine. Elle vise l’accès au logement pérenne de public sans abris, hébergés ou mal logés en leur permettant un accès en bail direct ou en sous-location.
Le projet Parcours a lui permis l’’accompagnement de 24 personnes en situation de grande marginalité dans deux lieux de vie (le château Tenet à Mérignac et la maison Billaudel à Bordeaux).
La collaboration avec la Fondation Abbé Pierre et Les Gratuits Gironde Solidarité « s’est faite naturellement parce qu’on a la même compréhension du sujet », reprend Claire Gelain. L’opération est labellisée « Logement d’abord », du même nom de l’opération lancée par le gouvernement d’Emmanuel Macron, et qui a été rebaptisée depuis « De la rue au logement » [lire l’encadré]. « Une coïncidence » affirme Claire Gelain qui, de plus, « ne se retrouve pas dans l’Appel à manifestation d’intérêt » lancé en 2019 par l’Etat.
Les associations ensemble
Avec l’antenne régionale de la Fondation Abbé Pierre, 11 familles ont déjà fait le chemin « de la rue au logement » en un an, précise la directrice Anne Marchand.
« Notre premier objectif est de lever tous les freins qui empêchent ces personnes d’être à l’abri. Toutes ne sont pas forcément dans l’addiction ou dans la grande errance. Mais un des premiers freins est la difficulté de faire un dossier pour obtenir un logement. Durant leur séjour dans la rue, certains se sont fait voler leurs affaires ou ont perdu leurs papiers, leur carte d’identité. Dans ces conditions, c’est pour eux insurmontable de devoir tout refaire. »
Et des demandes, « il y en a énormément » surenchérit Cécilia Fonseca des Gratuits Gironde Solidarités :
« Des personnes qui travaillent comme vous et moi se retrouvent à la rue à cause d’un divorce, d’une difficulté comme il y en a eu avec la crise de la Covid. Or travailler et rester dans la rue peut conduire à perdre son travail. On les accompagne pour établir des dossiers complets à présenter aux bailleurs sociaux. On va faire une demande d’évaluation sociale pour savoir comment elles peuvent être soutenues. »
La directrice régionale de la Fondation Abbé Pierre souligne par ailleurs la collaboration avec d’autres associations « selon les besoins et les travaux de remise en état des logements » : Emmaus Connect, Tripotes & Mascagnes, Architectes sans frontières, Compagnons bâtisseurs d’Aquitaine, qui interviennent pour retaper les logements.
« Les liens entre ces associations se sont renforcés avec le confinement. C’est à cette occasion qu’on s’est rencontré pour la plupart. Aujourd’hui, nous sommes dans la continuité de nos actions », précise Cécilia Fonseca.
La Fondation réclame d’autres logements
En plus du T5 de Lormont accordé à la famille de Sidi Mohamed, et qu’elle loue environ 700€, un T6 à Floirac, un T3 à Bordeaux et quatre T1 à Pessac sont proposés. La Fondation Abbé Pierre y a investi 100000€.
« Nous pouvons débloquer des fonds selon les besoins – 750€ pour les besoins d’équipements informatiques, 5000 pour refaire des travaux dans un appartement… Nous avons également l’intention de financer deux postes d’intendants sociaux, à 24000€ par an chacun. La fondation a aussi ouvert un compte à la Banque alimentaire pour que les associations de maraude puissent prendre des denrées et les distribuer selon les besoins. »
Ainsi, depuis un an, ce qui était une expérimentation est en passe de devenir un service pérenne.
« On fonctionne au gré des opportunités, ajoute Anne Gelain. Dès qu’on a des logements vacants, et si on n’a pas de réservations, on y va. On évite de faire de la masse : une résidence avec 50 personnes issues de ce même dispositif ça ne marchera pas. On fait dans la dentelle, sur des petites opérations. […] Le projet nous demande pas mal d’agilité pour s’adapter aux situations. Il faut lâcher prises sur certains détails, s’adapter , et accepter de faire évoluer certains principes. »
La Fondation Abbé Pierre a mis en place d’autres propositions de ce type avec d’autres bailleurs sociaux et pour d’autres profils [voir encadré ci-dessous]. « Nous sommes prêts à gérer des logements vacants sous d’autres formes, notamment du parc municipal de Bordeaux » assure Anne Marchand. L’association tend ainsi la perche à l’équipe de Pierre Hurmic au lendemain de la Nuit de la solidarité et alors qu’une étude sur le patrimoine immobilier municipal doit être bientôt dévoilée.
A Blanquefort, une maison pour hommes seuls
Face à l’afflux de demande de logements sociaux durant la crise sanitaire, la mairie de Blanquefort, la fondation Abbé Pierre et le bailleur Vilogia ont mis en place un logement de transition sur la commune en décembre 2021.
Exclusivement consacré aux hommes séparés ou aux jeunes adultes exclus de leur famille, le logement peut accueillir quatre personnes par le biais d’un bail d’un an minimum avec un loyer de 240€ éligible aux APL. Seule condition, les hommes doivent avoir quitté leur domicile depuis peu et habitués au frais de logement (loyer, factures…).
La Fondation Abbé Pierre a apporté un soutien financier à hauteur de 30 000 € pour meubler et parer aux difficultés de paiement de loyers. Elle rémunère également un médiateur social pour mener à bien les relations entre les colocataires.
Un logement similaire a ouvert dans le quartier des Chartrons à Bordeaux avec cinq chambres le même mois. Des personnes en grande errance y sont entrés le 24 décembre, accompagnées par la Coordination des interventions sociales transversales (CORIST) affiliée au Centre communal d’action sociale (CCAS) de Bordeaux.