Parti pris · L’ancien secrétaire général de l’Élysée sous François Mitterrand est un bon client des médias français. Il y est régulièrement invité pour livrer ses analyses géopolitiques. Pourtant, une ombre plane sur son parcours depuis près de trois décennies : le rôle qu’il a joué durant le génocide des Tutsis au Rwanda en 1994. Pas vraiment une mince affaire… Histoire > Néo-colonialisme > Médias > Relations internationales > Rémi Carayol > Michael Pauron > 30 octobre 2023

Hubert Védrine en mars 2014. CC Wikinade

Dimanche 15 octobre 2023 au petit matin, sur France Inter, la radio la plus écoutée dans l’Hexagone, Hubert Védrine est invité à livrer son analyse sur la situation en Palestine, quand une question d’un auditeur vient troubler le fil de l’émission « Le 6/9 ». L’ancien ministre français des Affaires étrangères vient de se dire favorable à l’interdiction en France de « toutes les manifestations » en lien avec la guerre en Palestine, du moins « pendant quelques jours », mais c’est sur un tout autre sujet qu’« Olivier » (l’auditeur) l’interroge : « Je voudrais demander à Hubert Védrine si ça ne lui pose pas de problème de conscience d’intervenir souvent à la radio et à la télé après avoir été l’un des principaux complices du génocide rwandais des Tutsis en 1994 ». Les animateurs Ali Baddou et Marion L’Hour le coupent, affirmant que « ce n’était pas la question » annoncée auparavant par Olivier au standard téléphonique, et l’auditeur les prend alors à partie, leur demandant « si ça [leur] pose pas de problème d’inviter ce complice d’un génocide qui a fait près d’1 million de morts ».

Réponse de l’ancien ministre, glacial comme à son habitude : il conseille « la lecture de 40 livres dans le monde […] qui démontrent l’inverse » et rappelle qu’il s’agit de « diffamation ». Mais cette fois, il ne parle pas d’accusation « débile », comme c’est souvent le cas. Ali Baddou clôt la séquence en expliquant que l’auditeur a « menti » et en revenant à la « question légitime » (celle annoncée au standard), qui portait sur les moyens de pression de la communauté internationale sur le Hamas et sur Israël pour mettre fin aux violences. On ne parlera plus du Rwanda ce matin-là. Mais la question d’Olivier était-elle pour autant « illégitime » ?

Un rôle central à l’Élysée

Hubert Védrine fait partie de ces personnalités qui, depuis quatre décennies, traversent les époques avec une carte d’immunité, et semblent ne jamais devoir quitter la scène publique. Il a d’abord été le conseiller diplomatique de François Mitterrand (qui était très lié à son père) dès son élection à la présidence, en 1981, puis son porte-parole et conseiller pour les affaires stratégiques à partir de 1988, et enfin le secrétaire général de l’Élysée de 1991 à 1995. C’est à ce titre qu’il a été interpellé par Olivier sur France Inter.

Durant le génocide des Tutsis, en 1994, mais aussi durant les années qui le précèdent, il joue un rôle central : c’est lui qui fait remonter les informations au chef de l’État ; c’est par lui que passent les notes de la cellule africaine de l’Élysée, dirigée par Bruno Delaye, et celles du chef d’état-major particulier de la présidence, le général Christian Quesnot ; c’est lui qui annote des courriers ou des dépêches avant de les remettre à Mitterrand, signale lorsqu’elles ont été vues par le chef de l’État, et communique ses instructions. « Il s’agit souvent de quelques mots », peut-on lire dans le rapport de la commission Duclert remis à Emmanuel Macron le 26 mars 2021, relatif au rôle de la France dans le génocide de 1994 – un rapport salué pour la précision des faits qu’il énonce, mais critiqué par des historiens et des organisations, qui lui reprochent notamment de faire l’impasse sur des points importants. Hubert Védrine, auquel un chapitre est consacré (son titre : « Un secrétaire général présent/absent »), produit également des notes, « adressées à François Mitterrand mais aussi, au nom du président, à des personnalités extérieures », précise le rapport, dans lequel on peut également lire que « durant l’opération Turquoise, l’activité du secrétaire général est soutenue ». Et pour cause : Védrine « est perçu comme l’autorité à qui l’information sur le Rwanda doit parvenir ».

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Le secrétaire général ne peut pas ignorer la situation, lui qui a suivi les suites des accords d’Arusha, signés en août 1993, entre l’État rwandais et le Front patriotique rwandais (FPR), de Paul Kagame. Il ne peut pas ne pas voir le drame qui se joue, et qui est dénoncé par de nombreux acteurs de terrain – le 16 mai 1994, cinq semaines après le début du génocide, le responsable des programmes de Médecins sans frontières au Rwanda, Jean-Hervé Bradol, a tiré la sonnette d’alarme sur TF1, tout en pointant les responsabilités « écrasantes » de la France, qu’il accuse d’avoir financé, entraîné et armé ceux « qui mettent en œuvre cette politique planifiée, systématique d’extermination ». Ce faisant, s’il y a eu, comme le conclut le rapport Duclert, un « ensemble de responsabilités lourdes et accablantes » de la France dans le génocide, notamment à travers le soutien au régime de Juvénal Habyarimana, Védrine en est d’une manière ou d’une autre comptable.

Bon client

Curieusement, cela ne l’a pas empêché ni de poursuivre une carrière politique très honorable, ni d’écumer les studios de radio et les plateaux de télévision comme si de rien n’était –et le rapport Duclert n’y a rien changé. Il a été ministre des Affaires étrangères sous Lionel Jospin (1997-2002). Après cela, il a conseillé officieusement les présidents Nicolas Sarkozy (2007-2012), qui aurait voulu en faire son ministre des Affaires étrangères, François Hollande (2012-2017) et enfin Emmanuel Macron (depuis 2017). Aujourd’hui, il fait figure de gardien du temple de la mémoire mitterrandienne (il a longtemps présidé l’Institut François Mitterrand), il dispose de son propre site Internet (hubertvedrine.net), et il multiplie les interventions médiatiques au cours desquelles il délivre ses vérités. Au fil du temps, celui qui, dans un autre contexte, aurait pu être considéré comme infréquentable, est devenu un spécialiste incontournable pour nombre de rédactions.

Hubert Védrine est notamment un très bon client de la Maison de la radio, d’où émettent les radios publiques. Il y est régulièrement invité pour livrer, sur le ton qui le caractérise, froid et hautain, ses analyses sur les questions de géopolitique. Le 15 octobre, c’était donc pour parler de la Palestine. Trois semaines plus tôt, le 27 septembre, c’était pour évoquer la diplomatie européenne, la venue du pape à Marseille et la brouille entre le Niger et la France. Dans le cadre du débat du « 7/10 », l’émission phare de France Inter, il était confronté au député européen Bernard Guetta. Il a ainsi pu affirmer que les militaires français « ont fait un travail magnifique » au Sahel, ou encore que le pape « n’aide pas » sur la question migratoire, qu’il fait preuve de « populisme qualitatif », voire de cynisme en appelant les États européens à accueillir dignement les exilé.es – alors que pour lui, le problème, ce sont les « réseaux de passeurs ». Rien sur le Rwanda par contre ce jour-là. Il est vrai qu’il n’a pas eu à répondre aux questions des auditeurs.

Un mois plus tôt, le 31 août, même studio, même émission, mais un débatteur différent (Dominique de Villepin, un autre ancien ministre des Affaires étrangères). Il est question cette fois de la relation entre la France et l’Afrique, dans un contexte de grandes tensions au Sahel. Védrine rappelle que les pays africains sont « indépendants depuis soixante ans », et donc qu’il faut qu’ils arrêtent « de raconter que leurs problèmes sont liés à un très lointain passé » –« lointain passé » dont Hubert Védrine, qui est né en 1947, fait partie, soit dit en passant.

Puis il affirme doctement que « la Françafrique a disparu », que les colons belges, britanniques et portugais n’ont « pas fait mieux que nous »1, et déplore que son pays soit devenu un « bouc émissaire » sur le continent. L’une des deux journalistes qui animent le débat, Léa Salamé, fait remarquer que les deux intervenants n’ont à aucun moment prononcé le mot « Europe ». Pas plus que le mot « Rwanda », d’ailleurs.

Un discours rodé

Védrine est également régulièrement invité dans la matinale de France Culture – il y est parfois question du Rwanda, comme en avril 2021 et en avril 2019 (avril étant le mois où l’on commémore le début du génocide). Il débat aussi de temps en temps avec Alain Finkielkraut : le polémiste d’extrême-droite tient une émission hebdomadaire sur la même radio. Surtout, il a son rond de serviette dans l’émission « L’Esprit public » (toujours sur France Culture). En 2023, il y a été invité 2 fois. En 2022, 7 fois. En 2021, 10 fois. En 2020, 8 fois. Huit fois en 2019 aussi.

Il y parle, avec d’autres « experts », de tout et de rien : de la Russie (beaucoup), de l’Afrique (assez peu), de l’armée française, de la Chine, de l’Union européenne… Mais jamais du Rwanda, sauf une fois, le 19 décembre 2021, au cours d’une émission consacrée à la politique de la France au Sahel. Le journaliste Vincent Hugeux l’aborde subrepticement en évoquant le rapport Duclert, qui a été publié quelques mois plus tôt. Mais Védrine ne rebondit pas. Ce rapport – celui-là même qui le situe au centre des décisions françaises, et dans lequel son nom est cité à 61 reprises2-, ne lui a pas beaucoup plu. S’il l’a salué dans un premier temps3, il a fini par le trouver « hostile » et « tout à fait contestable »4.

Il l’a d’ailleurs fait savoir sur France Culture le 15 avril 2021 (dans la matinale), quelques jours après sa publication. Ce jour-là, il est invité à défendre l’héritage de Mitterrand, et, en réalité, à se défendre lui-même. Son discours est rodé : voilà des années qu’il crie à la manipulation et qu’il repousse avec mépris toute remise en cause des choix qui ont été faits à l’Élysée entre 1990 (date du déclenchement de l’opération militaire Noroît) et 1994, et surtout toute complicité.

« Responsable de quoi ? »

Védrine, qui prétend contre toute évidence avoir une approche « objective » sur cette affaire, répète que la France n’a rien à se reprocher, qu’elle a tout fait pour éviter le massacre, qu’elle n’a en aucun cas aidé les génocidaires, et qu’elle a été bien seule à s’inquiéter de ce qui se passait alors dans cette région du monde. Mais il fait face ce jour-là à un journaliste tenace. Guillaume Erner le pousse dans ses retranchements. Et soudain s’étale la vacuité de son argumentation. Les armes vendues au régime du président Juvénal Habyarimana pendant des années ? « Un faux sujet ». La présence en France de la veuve de ce dernier, Agathe, qui a joué un rôle majeur dans l’organisation du génocide (son clan était, en avril 1994, le « noyau le plus radical », note le rapport Duclert) et a pu quitter le Rwanda grâce à l’armée française sur instruction de François Mitterrand5 ? « Et alors ? » Les responsabilités pointées par la commission Duclert ? « Responsable de quoi ? »

De beaucoup, à en croire Vincent Duclert lui-même, qui l’a redit sans prendre de gants dans Jeune Afrique après la publication de son rapport : « Si Hubert Védrine veut considérer, sur la base de notre rapport, que la France est exonérée de toute responsabilité, il me semble que son jugement ne correspond pas aux responsabilités accablantes que nous établissons. La politique française au Rwanda a contribué à la mise en place d’un processus génocidaire sans même que les autorités françaises ne le comprennent, sans qu’elles le veuillent. Et ça, il faut le reconnaître aussi »6.

Interrogé sur un passage du rapport consacré à l’instrumentalisation des critères ethniques par les colonisateurs belges, et au rôle qu’elle a pu jouer dans la préparation du génocide, Védrine fait même preuve d’une véritable cécité. « Il n’y a que la commission Duclert qui dit ça […] ça fait rigoler tous les spécialistes de l’Afrique », assène-t-il en dépit des innombrables travaux académiques qui ont décrit ce phénomène7. À chacune de ses prises de parole sur le sujet, il fait d’ailleurs preuve d’une vision ethniciste que ne renierait pas Bernard Lugan. Celui qui, en 1996, proposait dans l’hebdomadaire français Le Point de créer « un pays pour les Tutsis et un autre pour les Hutus », et expliquait, dans un exercice d’essentialisation vieux comme la colonisation, que, au Rwanda comme au Burundi, « toute élection donne […] arithmétiquement le pouvoir aux Hutus »8, continue aujourd’hui de répéter qu’il y a 15 % de Tutsis au Rwanda, et 85 % de Hutus, comme si cette configuration sociologique était indépassable politiquement.

Des lectures contestées

Comme souvent, l’ancien ministre aime rappeler que de nombreux ouvrages soutiennent sa thèse : « 15-20 livres disent le contraire de ce qui est écrit dans la presse française », se défend-il (sur France Inter, le 15 octobre dernier, ce chiffre est monté à « 40 livres »), comme si cela suffisait à effacer les conclusions d’un rapport de plus de 1 000 pages écrit par des historiens, ainsi que les innombrables enquêtes journalistiques, travaux académiques et témoignages qui ont pointé le rôle de la France dans cette affaire.

Parmi ces livres, son préféré semble être celui de Judi Rever, L’Éloge du sang (Max Milo, 2020), dans lequel la journaliste canadienne accuse le FPR d’avoir suscité le génocide dans le but de prendre le pouvoir. Un autre livre qu’il aime citer en exemple (le 10 avril 2019 notamment, sur France Inter) est celui de Pierre Péan, Noires fureurs, blancs menteurs. Rwanda, 1990-1994 (Fayard, 2005), dans lequel le journaliste français reprend la thèse du juge Jean-Louis Bruguière, selon laquelle le FPR aurait abattu l’avion du président Habyarimana et serait donc à l’origine du génocide – aujourd’hui encore, il n’y a aucune certitude sur les responsables de cet attentat. Il fut un temps où Védrine exhibait comme un totem d’immunité le Que sais-je ? sur le génocide des Tutsis, signé par Filip Reyntjens, un juriste accusé par un collectif d’historiens et de journalistes de banaliser et de relativiser les faits « au point de nier le sens même de l’événement, et de glisser dans le champ de “l’idéologie” »9, et qui soutient lui aussi la thèse du juge Bruguière.

S’il prend soin de ne jamais défendre la thèse révisionniste du « double génocide » et de ne pas verser dans le complotisme, Védrine est passé maître dans l’art de manier les insinuations. Ainsi lâche-t-il face à Erner, au sujet des accords d’Arusha : « Pourquoi le FPR a demandé à la France de partir ? » L’interview se finit sur un dialogue de sourds.

Une « connaissance ancienne » de l’Afrique

Védrine ressasse les mêmes arguments depuis des années. Son audition à l’Assemblée nationale en avril 2014 est un bon résumé de sa ligne de défense, de même que le portrait en cinq épisodes que lui a consacré France Culture en 2020 (dans l’émission « À voix nue »), dans lequel il a eu tout le loisir d’exposer sa version sans être réellement contredit, ou encore son témoignage dans le livre de Laurent Larcher, Rwanda, ils parlent. Témoignages pour l’Histoire (Le Seuil, 2019).

D’abord, Mitterrand ne pouvait pas se tromper puisqu’il avait une « connaissance ancienne de l’Afrique ». Cette connaissance serait liée au fait qu’il a été ministre de la France d’Outre-Mer en… 1950-1951 (avant, donc, les indépendances). Il est vrai que Mitterrand fut à l’époque très actif pour préserver le « couple France-Afrique ». Fort de cette « science », « il pense tout de suite que l’attaque du FPR [en 1990] va aboutir à des massacres » et il est « le seul à avoir vu ça ». Disant cela, Védrine en profite pour affirmer que le « vrai point du départ du génocide » (France Culture, avril 2020) est l’attaque du FPR en 1990, minorant ainsi la violente propagande anti-Tutsis développée depuis des décennies au Rwanda, la politique de discrimination et les nombreux pogroms menés dans le pays, et, ce faisant, tendant à inverser les responsabilités.

Mais revenons à Mitterrand et à sa « science » de l’Afrique. Selon Védrine, « c’est la même connaissance qui l’a guidé au Tchad », ajoute-t-il. Dans les années 1980, la France a activement soutenu Hissène Habré dans sa guerre contre la Libye, notamment en envoyant des soldats (opérations Manta, 1983-1984, puis Épervier, 1986-2014). Avec succès, puisque le Tchad l’a emporté. Mais à quel prix ? L’ONG Human Rights Watch rappelle, dans un rapport accablant, que « ce soutien de la France au Tchad s’est opéré alors même que le régime Habré se rendait responsable d’exactions en masse », et que Paris ne pouvait pas l’ignorer :

Une grande partie des crimes ont été commis par la Direction de la Documentation et de la Sécurité, la DDS, véritable police politique aux ordres de la présidence. La Direction générale de la Sécurité extérieure (DGSE) de la France entretenait des liens avec la DDS. Des agents tchadiens ont ainsi bénéficié de formations diligentées par des Français au Tchad. […] Les autorités françaises, tout en ayant connaissance de l’existence d’exactions, n’ont pas, pour autant, freiné leur assistance au régime. De nombreux officiels français se sont rendus au Tchad et Hissène Habré a participé à toutes les grandes réunions multilatérales entre les pays d’Afrique francophone et la France. Habré a même été l’invité de marque au défilé militaire du 14 juillet 1987 sur les Champs-Élysées à Paris.10

La France n’a en outre jamais cessé de livrer des armes au Tchad – comme au Rwanda – et a soutenu le régime à bout de bras – l’aide française a quadruplé entre 1981 et 1989 – jusqu’à ce qu’elle décide de miser sur la rébellion d’Idriss Déby Itno, en 1990. Faut-il comprendre, dès lors, que la logique mitterrandienne – « ancienne » donc – était que les vies des Africains ne valaient pas grand-chose, du moins pas tant que les intérêts de la France et la « stabilité », un des mantras de Védrine, n’étaient pas menacés ?

« Guérilla médiatique »

Deuxième point de l’argumentation de Védrine : il a rencontré deux fois Paul Kagame, en 2001 et en 2002, quand il était ministre des Affaires étrangères. La preuve selon lui que Kagame n’a rien à lui reprocher… sinon, « il ne [l’]aurait pas reçu ». Simple comme bonjour ! Troisième argument : la France a été « héroïque », elle a été « la seule à essayer de trouver une solution ». Quatrième et dernier argument : la France « n’a pas soutenu le régime qui préparait un génocide » – d’ailleurs, il n’était pas génocidaire avant le génocide, affirme-t-il –, elle lui a au contraire « tordu le bras » en le poussant à respecter les accords d’Arusha.

De nombreuses enquêtes ont, ces dernières années, documenté le fait que la France avait soutenu le régime Habyarimana avant et pendant le génocide, qu’elle avait failli dans la protection des civils rwandais en dépit de l’opération Turquoise, et qu’elle avait même aidé des génocidaires à fuir une fois la défaite consommée. Récemment, une action judiciaire a été intentée contre la France dans le but d’« établir et juger les actes engageant la responsabilité de l’État » – d’ailleurs, le nom de Védrine est cité dans le recours déposé devant le Tribunal administratif de Paris en avril 2023 (lire l’encadré au pied de l’article).

Ces nombreuses enquêtes devraient interroger les rédactions françaises qui lui déroulent le tapis rouge comme si de rien n’était. Hubert Védrine, qui se plaint régulièrement du traitement journalistique qui lui est réservé – il ferait face à une « guérilla médiatique » qui ne s’intéresserait pas aux faits et serait menée par des « idiots utiles » adeptes du « masochisme contemporain » (France Culture, avril 2020) –, est toujours très prisé par les médias, qui l’invitent dès qu’une question géopolitique fait la une de l’actualité. Récemment, outre France Inter, La Provence (28 octobre), Le Figaro (27 et 16 octobre), RFI et France 24 (17 octobre), Radio Classique (13 octobre), BFM (10 octobre) ou encore Le Parisien (9 octobre) ont estimé qu’il était indispensable de l’entendre sur les crimes de guerre commis par le Hamas et par Israël.

Des fautes de service ?

Si le haut fonctionnaire Hubert Védrine n’est pas personnellement visé par la requête indemnitaire déposée en avril 2023 au Tribunal administratif par des victimes et des familles de victimes rwandaises, ainsi que par deux associations, il est de facto mis en cause en tant que rouage de la machine administrative. Selon cette plainte, « [des fonctionnaires] commettront [avant et pendant le génocide] plusieurs fautes de service […]. Ils érigeront des erreurs manifestes d’appréciation récurrentes et systématiques en vérité officielle, mentant positivement et plus souvent par omission. Ils exerceront une véritable force de gravité pour induire puis conforter et accélérer un emballement administratif. Ils biaiseront et distordront systématiquement les faits pour s’auto-justifier, justifier l’action quand la raison commandait l’abstention, et l’abstention quand elle commandait l’action. Cette machinerie administrative a érigé le dysfonctionnement en mode de fonctionnement. »

Hubert Védrine et d’autres voient le génocide « arriver et se déployer », mais « on ne peut rien y faire. Parce qu’il est commis par des gens avec lesquels prévalent “des relations trop étroites” », est-il écrit dans le recours en référence aux propos tenus par l’ancien secrétaire général de l’Élysée dans son livre publié en 1996, Les Mondes de François Mitterrand (Fayard).

Védrine est en outre accusé dans ce document de manipuler certains faits, comme la cause réelle du déclenchement des massacres : selon lui, les attaques du FPR depuis 1990 pourraient avoir eu pour objectif de provoquer des représailles contre les Tutsis et justifier ainsi l’offensive finale du FPR. Lui et d’autres fonctionnaires, dont l’ambassadeur de France de l’époque, Jean-Michel Marlaud, sont par ailleurs cités pour avoir « cautionné la formation d’un gouvernement qui, pendant cent jours, couvrira politiquement et encadrera le génocide des Tutsis ». Le recours rappelle que ce gouvernement, reconnu uniquement par la France, violait les accords d’Arusha puisqu’aucun membre de l’opposition n’y participait.

Michael Pauron

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Rémi Carayol

Journaliste. Il a fondé deux journaux dans l’archipel des Comores (Kashkazi, Upanga) avant de rejoindre la rédaction de… (suite)

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