Général de réserve et militaire de carrière, l’ancien ministre et député s’est illustré en sauvant des vies lors des attaques du Hamas. Très critique de Nétanyahou mais se voulant pragmatique, il ne fait pas pour autant l’unanimité à gauche.
10 février 2024 à 15h09
BenyaminBenyamin Nétanyahou refuse de parler de ce que pourrait être l’après-guerre à Gaza mais certains, en Israël, pensent déjà à l’après-Nétanyahou.
Benny Gantz est sans doute le premier d’entre eux. Ancien chef d’état-major de l’armée israélienne, notamment pendant la guerre de 2014, il s’était plus tard réjoui d’avoir « ramené Gaza à l’âge de pierre ». Ministre de la défense de Nétanyahou de 2020 à fin 2022, il avait ensuite fait défection pour mener contre lui une liste concurrente, mais perdante.
Désormais intégré au cabinet de guerre restreint qui mène la guerre en cours, Gantz se voit en futur premier ministre à la faveur d’une redistribution de l’échiquier politique mettant sur la touche l’homme qui règne sur Israël depuis deux décennies ainsi que ses alliés suprémacistes.
L’ancien chef d’état-major fonde ses ambitions sur des sondages favorables, bien qu’ils soient encore plus discutables dans le contexte actuel qu’en temps ordinaire.
Cependant, son ancien adjoint, lui aussi un ancien général, entend bien disputer à Gantz la possibilité de succéder à Benyamin Nétanyahou, si le poste de celui-ci ne résistait pas à un arrêt des combats à Gaza ou à la mise en place d’une commission sur les faillites sécuritaires du 7 octobre.
Cet homme s’appelle Yaïr Golan. Dans un entretien récent au journal Haaretz, il révoquait l’hypothèse Benny Gantz en jugeant que ce dernier était le représentant d’une politique « d’extrême centre », alors que le « refus de décider – sur la question palestinienne par exemple – ne mène qu’à l’exacerbation du problème ».
Un pivot de l’opération « Bouclier défensif »
Yaïr Golan, dont la critique du gouvernement actuel comme du cabinet de guerre est aussi incisive qu’incessante, est devenu l’une des principales figures incarnant les rares espoirs d’une gauche israélienne à l’agonie.
Commandant de la région nord puis du « front intérieur », l’homme fut pourtant l’un des principaux adjoints à la fois de Benny Gantz et de l’autre général présent dans le cabinet de guerre, Gadi Eisenkot.
Ce dernier, dont l’un des fils figure parmi les plus de 200 soldats de Tsahal morts à Gaza depuis le début de l’offensive israélienne, a formulé la « doctrine Dahiya », du nom d’un village libanais rasé par l’armée israélienne lors de la guerre du Liban de 2006, qui assume de ne pas tenir compte des pertes civiles lors des bombardements sur des cibles ennemies.
Comment Yaïr Golan peut-il alors, armé de ce pedigree, se retrouver au centre des spéculations politiques qui agitent ce qu’il reste de la gauche israélienne ? Jusqu’au 7 octobre 2023, l’ancien général, connu pour son indépendance d’esprit et son franc-parler, restait un outsider, ayant raté en quelques années à la fois le poste de chef d’état-major et son entrée en politique.
Yaïr Golan, 61 ans aujourd’hui, s’était pourtant fait remarquer précocement pendant la deuxième Intifada. Alors commandant de la prestigieuse brigade d’infanterie Nahal, il joua un rôle pivot dans la conquête des villes palestiniennes de Cisjordanie occupée durant l’opération « Bouclier défensif » lancée en 2002.
Nommé commandant du front intérieur entre 2008 et 2011, il impressionne à ce point le premier ministre d’alors, Benyamin Nétanyahou, que ce dernier aurait envisagé, selon le journal Haaretz, de le nommer chef d’état-major pour succéder à Benny Gantz en 2015, à la place de Gadi Eisenkot, plus âgé et plus capé. Même si c’est Eisenkot qui s’empare alors du plus haut poste de l’armée israélienne, Yaïr Golan paraît être le prochain sur la liste. Jusqu’à des paroles qu’il prononce en 2016.
Dans un discours inhabituel, délivré à l’occasion du jour de la commémoration de l’Holocauste, Yaïr Golan compare ce qu’il voit alors à l’œuvre en Israël à des « processus similaires » à ce qui avait eu lieu en Europe et en Allemagne avant la Shoah.
« Il n’y a rien de plus facile que de haïr l’étranger, rien de plus facile que d’attiser la peur et d’intimider. Il n’y a rien de plus facile que de se comporter comme un animal et de prétendre agir de façon morale », affirme-t-il notamment. Avant d’ajouter : « Lors de la journée de commémoration de l’Holocauste, nous devrions discuter de notre capacité à déraciner les germes de l’intolérance, de la violence, de l’autodestruction et de la détérioration morale. »
Même s’il se défend, le jour même, d’avoir ainsi visé le gouvernement et l’armée israélienne, qu’il qualifie d’« armée morale » défendant la « dignité humaine », sa sortie fait à ce point scandale que son sort paraît scellé. Yaïr Golan quitte alors l’armée, mais sa tentative d’entrer en politique n’est pas plus couronnée de succès.
Mouvement civique
Il parvient certes à se faire élire à la Knesset entre 2019 et 2022, mais son choix d’adhérer, après un passage par l’éphémère Parti démocratique d’Israël lancé par l’ancien premier ministre Ehud Barak, au petit parti de gauche Meretz pour en prendre le leadership est un échec.
Cherchant en 2022 à succéder au président du parti sur le départ, Nitzan Horowitz, il se voit contesté en interne par les principales figures du Meretz, qui poussent l’ancienne cheffe du parti, Zehava Gal-On, à sortir de sa retraite pour contrecarrer les projets de Yaïr Golan. Elle emporte la primaire interne du parti mais aux élections de novembre 2022, le Meretz ne franchit même pas le seuil minimum pour siéger à la Knesset.
Après un détour par un petit poste ministériel dans le gouvernement de coalition anti-Nétanyahou mené par Naftali Bennett, Yaïr Golan lance Hitorerut, « Le Réveil » ou la « La Lumière » en hébreu, un « mouvement civique » qui se veut à mi-chemin entre un espace de réflexion et un espace de mobilisation capable de faire pièce au Kohelet Policy Forum, ce think tank de droite très influent depuis plusieurs années au Parlement et un cadre politique nouveau censé partir des besoins de base des citoyen·nes.
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Mais la véritable notoriété de Yaïr Golan date du 7 octobre dernier. Ce jour-là, alerté par sa sœur, le militaire s’empare des rangers de son fils et se dirige dans sa Toyota Yaris personnelle vers la zone des kibboutz pour apporter son aide. Alors que les combats font encore rage, il parvient à sauver plusieurs des jeunes pris au piège durant la rave de Réïm, localisés grâce à leurs familles, en particulier le fils d’un journaliste de Haaretz, Nir Gontarz, qui écrit ensuite un article contribuant à propager sa légende et sa popularité.
Dans la foulée de ces sauvetages, la chaîne publique Kan 11 suit Yaïr Golan pendant une journée et diffuse des images qui frappent l’opinion publique. On y voit notamment un jeune ultraorthodoxe bénévole au sein de Zaka, l’organisation qui s’occupe des corps après les attentats, étreindre l’ancien général en disant : « J’ai voté pour Ben-Gvir lors du dernier scrutin. J’étais imprégné du poison que la droite a déversé sur la gauche. Je haïssais Golan. Aujourd’hui, je l’aime et je l’admire. »
Déjà en vue lors des manifestations du printemps 2023 contre la réforme de la Cour constitutionnelle israélienne, Yaïr Golan est porté au pinacle dans les manifestations de familles d’otages demandant la libération des leurs.
Aucune nation saine ne peut se construire sur une attitude vengeresse.
Yaïr Golan
Yaïr Golan est-il pour autant en mesure de convertir cette récente aura en capital politique dans l’hypothèse où Nétanyahou serait enfin contraint d’organiser de nouvelles élections ? Cet homme qui a fait preuve de courage pourrait-il s’opposer à un premier ministre rendu par beaucoup responsable des défaillances sécuritaires à la frontière avec Gaza ?
L’impasse politique en Israël est propice à la mise sur orbite de figures nouvelles, mais Yaïr Golan s’est aussi fait beaucoup d’ennemis de tous les côtés de l’échiquier politique.
L’homme est depuis longtemps une des bêtes noires du sionisme religieux et des colons, surtout depuis qu’il a qualifié de « sous-hommes », début 2022, les habitants de Homesh, colonie illégale de Cisjordanie évacuée en 2005 en même temps que les colonies de Gaza sur ordre du premier ministre Ariel Sharon, et réoccupée depuis.Yaïr Golan avait jugé que ces colons avaient commis un « pogrom » contre Burqa, village palestinien situé à proximité de la colonie.
Sa critique de la façon dont la guerre est aujourd’hui menée à Gaza lui vaut aussi de solides inimitiés, même s’il n’en remet pas la légitimité en cause. « Je pense que les officiers de Tsahal ne tiennent plus leurs troupes,a-t-il indiqué au journal Haaretz, qui l’interrogeait sur des vidéos montrant des soldats chantant leur souhait de réoccuper Gaza. Deux choses doivent êtres dites clairement. D’abord, qu’il n’y a pas de place au sein de l’armée pour des discours politiques. Ensuite, l’armée israélienne ne peut être managée par des rabbins. […] Aucune nation saine ne peut se construire sur une attitude vengeresse. Une nation se développe sur sa capacité à construire, pas sur un désir de revanche. »
Ennemi juré de la droite sioniste et religieuse, Yaïr Golan suscite toutefois également de la défiance à gauche. Gideon Levy, chroniqueur pour le journal Haaretz et connu pour son engagement radical, s’est ainsi distancié du « nouveau prince charmant de la gauche » prêt à laisser les Gazaoui·es mourir de faim.
Nous devons en finir avec cette tendance israélienne absurde à voir l’Holocauste partout.
Yaïr Golan
Interrogé sur la situation actuelle à Gaza dans un entretien en hébreu sur Ynet, le général en retraite avait en effet tenu ces propos : « Je pense que pendant cette bataille, nous ne pouvons pas nous permettre d’efforts humanitaires. Nous devons leur dire : “Jusqu’à ce que tous les otages soient libérés, en ce qui nous concerne, vous pouvez mourir de faim.” C’est totalement légitime. »
Avant d’ajouter :« Nous devons en finir avec cette tendance israélienne absurde à voir l’Holocauste partout. Non. Nous avons reçu un coup profond, mais nous devons nous en remettre. Les nations se remettent debout si elles le décident et si elles disposent d’un leadership digne de ce nom. »
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Yaïr Golan préfère se présenter comme un pragmatique, capable d’assurer aussi bien la sécurité d’Israël que la paix avec les Palestiniens, parce qu’Israël n’a d’autre solution que « l’annexion ou la séparation » et que lui milite pour la seconde. Pour le militaire, un plan d’évacuation des colons de Cisjordanie serait non seulement nécessaire, mais tout à fait possible. « La division de la terre supposerait, selon mes estimations, l’évacuation d’environ 70 000 personnes des collines de Cisjordanie. Je suis familier avec les cartes et je suis sûr de moi »,affirmait-il récemment dans un entretien au journal Haaretz.
Dans ce même entretien, il livrait aussi le fond de sa pensée sur la situation actuelle : « Depuis les années 1950, Israël a fait des représailles un élément essentiel de sa stratégie. Nous sommes tombés amoureux de l’idée que chaque événement imposait une réponse. Il n’y a pas pire absurdité. La stratégie ne commence pas avec la réponse que l’on donne, mais avec la vision que l’on porte. » Et Yaïr Golan juge être l’un des seuls aujourd’hui à porter cette vision pour un pays aussi traumatisé que décrédibilisé par la violence des représailles menées à Gaza.