Emmanuel Macron avait demandé pardon en septembre 2021 à ces soldats ayant combattu aux côtés de la France pendant la guerre d’Algérie, qui avaient ensuite été « abandonnés ».
Près de soixante ans après la guerre d’Algérie, le Sénat a voté, mardi 25 janvier au soir en première lecture, un projet de loi pour tenter de « réparer » les préjudices subis par les harkis et leurs familles. Le texte, qui a donné lieu à d’intenses débats, a été adopté à l’unanimité des suffrages exprimés (331 voix pour, 13 abstentions).
Le projet de loi se veut la traduction législative d’un discours d’Emmanuel Macron, qui, le 20 septembre 2021, avait demandé « pardon » à ces Algériens ayant combattu aux côtés de l’armée française, mais qui furent « abandonnés » par la France.
Ce texte est « celui de la reconnaissance par la Nation d’une profonde déchirure et d’une tragédie française, d’une page sombre de notre histoire », a souligné la ministre chargée de la mémoire et des anciens combattants, Geneviève Darrieussecq. Pour la rapporteuse, Marie-Pierre Richer (Les Républicains, LR), s’il « comporte des avancées importantes », le projet de loi « a un goût d’inachevé ».
Le texte reconnaît « les conditions indignes de l’accueil » réservé aux 90 000 harkis et à leurs familles, qui ont fui l’Algérie après l’indépendance. Près de la moitié d’entre eux ont été relégués dans des camps et des « hameaux de forestage ». « Ces lieux furent des lieux de bannissement, qui ont meurtri, traumatisé, et parfois tué », a affirmé la ministre.
Les harkis des « cités urbaines » exclus des réparations
Le projet de loi prévoit « réparation » du préjudice avec, à la clé, une somme forfaitaire tenant compte de la durée du séjour dans ces structures. Le nombre de bénéficiaires potentiels est estimé par le gouvernement à 50 000, pour un coût global de 302 millions d’euros sur environ six ans.
Les sénateurs ont précisé le texte pour intégrer « certaines prisons reconverties en lieux d’accueil pour rapatriés » dans la liste des structures éligibles au mécanisme de réparation. Mais les déceptions se sont cristallisées sur les quelque 40 000 rapatriés qui n’ont pas séjourné dans ces structures, mais dans des « cités urbaines », se trouvant exclus de la réparation. « Leur seul tort est de ne pas avoir vécu entourés de barbelés », s’est insurgé Philippe Tabarot (LR), fustigeant un mécanisme de réparation « à la fois partiel et partial ».
Le Sénat a adopté successivement deux amendements visant à élargir les prérogatives de la commission de reconnaissance et de réparation que crée le projet de loi. Celui du gouvernement tend à garantir « à tous les harkis combattants » un accès à cette commission, qui pourra examiner leurs situations individuelles et leur proposer « toute mesure de reconnaissance appropriée ».
Le chef de file des sénateurs LR, Bruno Retailleau, a souhaité voir plus loin en lui confiant, pour tous les harkis, le soin de « proposer toute mesure de reconnaissance et de réparation ». La ministre a mis en garde contre « les faux espoirs » que pourrait susciter cet ajout, car « la commission ne pourra pas décider elle-même d’attribuer une indemnisation ».
Des citoyens français
Députés et sénateurs vont maintenant tenter de s’accorder sur un texte de compromis. En cas d’échec, l’Assemblée aura le dernier mot.
« Le temps du silence et de la honte est révolu », a déclaré la sénatrice de Paris Esther Benbassa. « La douleur est toujours vive, les plaies peinent à cicatriser, et les mémoires sont encore troublées », a souligné la socialiste Emilienne Poumirol.
En témoigne l’accès de fièvre qui a échauffé les esprits sur tous les bancs lors de la discussion d’amendements, qui n’ont pas été adoptés, visant à inscrire dans la loi que les harkis sont des « citoyens français ». « J’ai toujours dit que les harkis étaient Français, ce sont des citoyens français depuis toujours », a affirmé la ministre.
Jusqu’à 200 000 harkis avaient été recrutés comme auxiliaires de l’armée française pendant le conflit, qui a fait près de 500 000 morts entre 1954 et 1962. Une journée d’hommage de la nation leur est consacrée chaque 25 septembre, depuis un décret de 2003. Symboliquement, les députés ont inscrit cette date dans la loi. « Chaque année, la République vous entendra », a lancé la centriste Brigitte Devésa à l’adresse des représentants d’associations de harkis présents dans les tribunes.