Depuis l’expulsion de sa mère chez qui il a toujours vécu, Saïd Hammami vivote dans une caravane sur un parking du quartier de Saige, à Pessac. Les services sociaux tardent à trouver une solution d’hébergement pour cet homme en situation de handicap.
Un drame social se joue sur la scène grisâtre du quartier de Saige, à Pessac. Le premier acte s’est clôt la veille de la trêve hivernale, le 31 octobre 2022 : Fathia Hammami et son fils Saïd ont été expulsés de leur logement.
Fathia Hamammi était locataire d’un appartement situé au 13e étage de la tour numéro 8 de Saige depuis 1983. D’origine tunisienne et parfaitement intégrée, cette mère a fait les frais des mauvais comportements de deux de ses trois enfants, nés en France et âgés de 35 à 39 ans.
« L’un d’entre eux en particulier faisait régner la terreur dans le quartier », explique Monique Torres, présidente de l’amicale CNL (Confédération nationale du logement) de Saige-Formanoir.
Celui-ci ne vivait pas chez elle, mais ses visites fréquentes déclenchaient disputes, cris et violences physiques comme verbales. Après 5 années de tensions, une pétition du voisinage aura eu raison du bail locatif de Fathia Hammami. Elle a été expulsée par Domofrance avec l’aval de la justice et le concours des forces de l’ordre.
Colère
Aujourd’hui relogée, son nouveau bailleur lui interdit d’héberger et de recevoir ses fils, ni le plus violent, ni le fils cadet Saïd qui avait jusqu’ici vécu avec elle, affirme la maman.
« C’était une locataire modèle, mais elle a subi les incivilités du plus problématique de ses fils », acquiesce Cécile Ouedraogo, habitant du quartier et responsable du comité local de l’association Égalité Femmes à Pessac.
Cependant, Saïd a dormi plusieurs fois en prison, notamment à la suite de plaintes déposées par sa mère pour des violences verbales et physiques. Il souffre de troubles psychiatriques et d’épilepsie.
« Son profil pose problème, concède Franck Jacques, de la CNL Saige-Formanoir. Saïd a mauvaise presse dans le quartier. Personne ne se mobilisera pour lui. »
Depuis l’expulsion, aucun logement digne de ce nom ne lui été proposé.
« Un appartement, ça serait mieux… »
Acte II. « Je ne laisserai pas tomber mon fils », lance Fathia Hammami, un pack d’eau sous le bras. La maman de 63 ans rend visite à son fils tous les jours. Elle lui apporte à boire et à manger, s’occupe de son linge, fait un brin de ménage et s’assure de l’état de Saïd.
« Je protège mes enfants même si ça se passe mal. Une maman ne laisse pas son fils dormir dehors. »
« J’ai dormi dans ma voiture pendant une semaine », explique Saïd. Le tissu associatif local lui a alors dégoté une caravane abandonnée dans laquelle il vit depuis bientôt trois mois.
Saïd vivote dans cet abri cabossé, sans eau, ni électricité, ni chauffage, ni toilettes, sur une place de parking à l’ombre de la tour qu’il habitait auparavant. La caravane est mal isolée, l’eau s’infiltre par son toit percé et ses hublots sont tant bien que mal calfeutrés par de larges bandes de scotch. Au sol, torchons et serviettes se superposent pour éponger les fuites.
« L’humidité est désagréable, mais il y a de la place pour un lit, et j’ai trois couvertures. Ça aurait été mieux d’avoir un appartement », manque de se consoler l’habitant du parking.
Un ami lui ouvre les portes de sa salle de bain deux à trois fois par semaine. Pour ses besoins, Saïd se rend au CCAS voisin, quand il est ouvert. Sinon, l’homme en est réduit à se soulager dans la nature environnante. « Moi ça me va », glisse-t-il, tout juste réveillé. « Non, tu peux pas vivre comme ça », rétorque sa mère. « Un appartement, ça serait mieux… », reconnaît le fils.
« Saïd vit dans une situation qui ne peut pas durer. Il devrait être logé et soigné, pas vivre dans ces conditions », résume Franck Jacques.
« Il fait souvent des crises d’épilepsies, au moins une fois par semaine, parfois plus », raconte Fathia Hammami. « Parfois, il se retrouve le visage en sang », abonde Franck Jacques. Sur les mains et le visage de Saïd, des plaies cicatrisées témoignent de ses difficultés.
Une infirmière de Charles-Perrens passe le voir tous les jours pour s’assurer qu’il prenne bien ses médicaments. Sur la table d’appoint de la caravane exiguë, des piluliers encerclent un cendrier et côtoient les restes d’un sandwich triangle, quelques sodas, un peu d’alcool et des produits d’entretien.
« L’accès aux droits est validé »
En coulisses, « tout est mis en place pour assurer le suivi de monsieur Hammami », assure Sébastien Saint-Pasteur, conseiller départemental du canton Pessac-2. Vice-président du Département notamment chargé de l’accès aux droits et à la santé, l’élu estime que « l’accès aux droits est validé » car Saïd touche ses aides.
« Il profite également d’une tutelle qui s’occupe de faire les démarches pour lui. Sans vouloir les accabler, et surtout pas lui, la solution est entre les mains de monsieur Hammami et de sa tutelle », conclut-il.
Saïd Hammami est accompagné depuis le 17 juin 2017, indique sa dernière ordonnance de changement du tuteur. Le document judiciaire atteste des relations houleuses entre lui et ses tuteurs. D’abord placé sous « curatelle renforcée », le tribunal judiciaire de Bordeaux a décidé d’ « aggraver » la mesure en plaçant Saïd sous tutelle.
Sa précédente et seconde tutelle, l’ATINA (une émanation du Diaconat de Bordeaux) « a demandé à être déchargée de ses fonctions de tuteur suite à la dégradation constante des rapports entre le majeur protégé et son tuteur » et « de la défiance exprimée par M. Hammami à l’égard des services de l’ATINA », renseigne le document. Il est question de violences et d’intimidations verbales, souffle l’entourage du mal-logé.
« Dysfonctionnement sociétal »
« On ne peut pas stigmatiser monsieur Hammami, c’est très fréquent de changer de tutelle, pour plusieurs raisons », souligne Stephan Garcia, directeur du pôle protection de l’UDAF 33.
Saïd est placée sous la protection de l’UDAF girondine depuis le 29 septembre 2022. Au sein de l’association deux personnes, « une jeune professionnelle et une autre personne plus aguerrie » accompagnent Saïd, témoigne Stephan Garcia. Ce dernier confirme que Saïd a bien accès à ses droits, notamment à son allocation pour adulte handicapé.
« Dans ce cas, il n’y a pas de dysfonctionnement des services sociaux. le dysfonctionnement est plutôt sociétal », analyse le directeur.
« Le projet de monsieur Hammami est d’intégrer un foyer d’accueil médicalisé », poursuit-il, une solution préconisée par la maison départementale des personnes handicapées (MDPH). « Ça peut lui convenir, et ça pourrait lui faire changer de comportement. » L’UDAF espère rapidement obtenir un rendez-vous pour s’assurer de la recevabilité du dossier de Saïd. À ce jour, rien n’est garanti.
Mis en échec
Cette piste vers un relogement est la seule encore exploitable au vu des potentiels bailleurs et structures à même d’accueillir les personnes dans une situation comparables, selon Stephan Garcia. Mais « tous les partenaires qui l’ont repéré ont mis en échec son suivi », regrette-t-il.
« Les services de l’Etat sont sur-sollicités. Et dans ce cas, le profil de la personne pose problème », concède Sébastien Saint-Pasteur.
Il y a ceux qui refusent d’héberger Saïd et ceux dont il refuse l’aide. Il rejette une hospitalisation à Charles-Perrens, une issue envisageable uniquement à sa demande. Il a également refusé d’aller vivre à l’hôtel. Lui et sa tutelle misent donc énormément sur un éventuel accueil en foyer médicalisé « pas trop loin de sa mère ».
« La démarche pourrait mettre entre six mois et un an avant d’aboutir, estime Stephan Garcia. Aujourd’hui ils sont complets, mais il suffit qu’une personne avec une pathologie équivalente libère sa place. L’enjeu c’est d’avoir une rencontre avec l’équipe pour obtenir une expertise assez rapide pour avancer. Ils ont tous les éléments entre leurs mains. »
Il n’empêche, l’acte III et son épilogue semblent encore bien loin.