- Charles Enderlin AFP – JOEL SAGET
Publié le 19/11/2023 à 07:01, mis à jour à 08:31
Recueilli par Pierre Challier
Charles Enderlin, ancien correspondant de France 2 à Jérusalem et auteur de nombreux ouvrages sur le conflit israélo-palestinien vient de publier au Seuil “Israël, l’Agonie d’une Démocratie”. Il analyse la situation en Cisjordanie où l’embrasement menace. Interview.
Depuis le 7 octobre, 190 Palestiniens ont été tués en Cisjordanie. Les attentats augmentent comme la violence des colons israéliens, croissante ces derniers mois. Va-t-on vers l’embrasement ?
On est là face à un cycle “ action-réaction ” complexe. Les unités territoriales, militaires, chargées de veiller au calme sont souvent formées de colons mobilisés. Certains colons très radicaux, pratiquent dans certains secteurs un quasi “ nettoyage ” en évacuant des familles bédouines, obligées de renoncer à leurs terres, à leur maison, augmentant la colère palestinienne, notamment dans les collines au sud d’Hébron. À cela s’ajoutent les opérations militaires « classiques » où l’armée combat des groupes armés palestiniens présents, notamment du Djihad et du Hamas, en procédant également à des arrestations. Cela se passe souvent lors d’échanges de tirs assez intenses, d’où un assez grand nombre de victimes civiles palestiniennes. Mais la plus grande partie de la population est surtout sidérée par la situation. Elle reste calme pour sa part et continue à aller au travail mais elle suit la guerre à Gaza avec une grande inquiétude. Si les bilans de victimes palestiniennes continuent d’augmenter aussi rapidement, on risque d’avoir des réactions beaucoup plus fortes. Ce qui se passera à Jérusalem-Est, dans la vieille ville, à la mosquée Al-Aqsa – qui est également le mont du Temple pour les Juifs- sera déterminant. Les provocations des extrémistes messianiques juifs – qui sont persuadés que cette guerre a été voulue par Dieu avant l’arrivée du Messie – peuvent mettre le feu, tout comme la moindre erreur face au Hezbollah, au sud Liban.
L’intérêt des colons serait-il d’attiser la violence afin de déclencher une guerre d’annexion de la Cisjordanie ?
Le gouvernement israélien lui-même est annexionniste. La première ligne de son programme, à la veille de son investiture, fin décembre 2022, dit : “ Le peuple juif a un droit exclusif et inaliénable sur la terre d’Israël. Le gouvernement développera l’implantation partout, y compris en Judée-Samarie ”, c’est-à-dire en Cisjordanie. Pour eux, il n’est donc pas question d’un éventuel partage. Benjamin Netanyahu a accordé les clés de la sécurité intérieure et de la colonisation aux colons les plus radicaux. Bezalel Smotrich, chef du Parti sioniste religieux, habite une colonie illégale et il est non seulement ministre des Finances mais aussi ministre délégué au ministère de la Défense, où il a la charge de l’administration civile de la Cisjordanie. C’est-à-dire aussi bien des colonies qu’il veut développer que des Palestiniens dont il bloque le développement.
490 000 colons face à 3 millions de Palestiniens : l’Onu demande depuis des années l’arrêt des implantations. Qu’en pensent les huit autres millions d’Israéliens ?
1 400 tués aux abords de Gaza dans les localités israéliennes, des centaines d’otages… Le public israélien est lui aussi en complète sidération. Cela dit, des sondages montrent que Netanyahu est en chute libre dans l’opinion publique comme les partis sionistes religieux. S’il y avait des élections demain, ils seraient balayés. Ils feront donc tout pour se maintenir…
Quel poids peuvent avoir les Etats-Unis lorsqu’ils demandent des mesures contre ces violences en Cisjordanie ?
Tout dépend de la manière dont l’administration Biden tapera du poing sur la table. Pour l’heure, elle continue à fournir les munitions, et les missiles et assure la défense antiaérienne régionale. Si les Américains le décident, cela peut s’arrêter. D’ailleurs, ils expriment de plus en plus d’inquiétude sur la Cisjordanie.