Une course contre la montre pour trouver des billets d’avion ou de bus, la peur de se retrouver piégé et sans argent… Rentrés précipitamment, les jeunes Français qui étudiaient ce semestre en Russie suivent désormais leurs cours à distance.
Dans l’atmosphère polluée de Bichkek, Laure Storne, une jeune Française de 23 ans, traîne une valise faite à la hâte. La capitale du Kirghizistan, pays de montagnes coincé entre la Chine et le Kazakhstan, est une ancienne étape de la route de la soie. « Mais qu’est-ce que je fais ici ? » se demandait, cette étudiante à Sciences Po, mardi 1er mars. Bichkek a été sa seule porte de sortie.
Laure fait partie des étudiants français qui, depuis dix jours, ont été contraints de fuir la Russie par tous les moyens. Ils ne sont pas très nombreux : dans son dernier décompte publié en 2020, l’Unesco en recensait 346, ce qui classe la Russie à la 23e position des pays de destination des étudiants français. La plupart ont quitté en urgence le pays, par bus, train, taxi où par les airs via des parcours improbables. Pour ceux qui ont passé la frontière, quitter la Russie a été un arrachement.
La jeune femme était arrivée à Moscou le 5 février. Elle s’apprêtait à passer un semestre au Mgimo (Institut d’Etat des relations internationales de Moscou), partenaire historique de l’Institut d’études politiques de Paris. Elle s’était installée dans un appartement dans le centre de Moscou, et avait commencé ses cours le 7 février. Ce jour-là, un autre Français est de passage dans la capitale russe : Emmanuel Macron, venu en mission diplomatique rencontrer Vladimir Poutine. Charles, 19 ans également étudiant à Sciences Po, lui aussi fraîchement arrivé au Mgimo, s’en souvient bien. « A ce moment, j’étais certain de passer tout mon semestre en Russie », souligne le jeune homme, qui raconte qu’il avait été très bien accueilli.
« J’ai eu peur de me retrouver coincée »
Tout a basculé la semaine du 21 février. Les premiers jours, alors que le président russe annonce la reconnaissance des républiques séparatistes de Louhansk et de Donetsk et l’enterrement du processus diplomatique avec l’Ukraine, Laure Storne reçoit des messages concordants de l’ambassade française, de Science Po et du Mgimo : « Il ne faut pas s’inquiéter. » Un mantra de courte durée.
Charles observe les espaces aériens se fermer les uns après les autres. Pas de temps à perdre, il saute dans le dernier avion en partance pour l’Europe occidentale
La tension est devenue palpable en fin de semaine, se souvient Bastien Pruneau, avec les premières manifestations de citoyens russes violemment réprimées par les forces de l’ordre, « des gens qui se font matraquer, la tête contre les murs », témoigne l’étudiant. Le 25 février, l’ambassade de France envoie aux citoyens français la recommandation de quitter le pays. Le 26, Facebook et Twitter ne fonctionnent plus en Russie. Charles observe les espaces aériens se fermer les uns après les autres. Pas de temps à perdre, il saute dans le dernier avion en partance pour l’Europe occidentale et se retrouve à Athènes le 28 février au matin puis à Paris le soir même.
D’autres mettent plus de temps à réagir. « J’ai décidé de partir quand j’ai appris que l’Union européenne allait fournir des armes à l’Ukraine, raconte Laure Storne. C’est un tournant, j’ai eu peur de me retrouver coincée, surtout que [le vice-président du conseil de sécurité] Medvedev appelait à geler les avoirs des étrangers. Je vois un vol pour l’Arménie, mais avec un départ en mars, je tente d’autres options mais en cinq minutes plus aucune carte de crédit ne fonctionne. Je me procure des roubles auprès d’amis russes pour payer au comptoir et je prends le premier vol encore ouvert. » Direction Bichkek. La jeune femme a trouvé quelques jours plus tard un vol pour l’Europe, via Istanbul puis Bruxelles. L
Contrôle viril « avec kalachnikov apparente »
La fermeture des espaces aériens a fait office de souricière pour de nombreux étudiants étrangers en Russie. Léa Mitton, étudiante à l’EM Normandie, qui avait commencé un semestre d’échange à Saint-Pétersbourg, a tenté de passer par l’Allemagne, mais le jour de son départ, l’espace aérien allemand était fermé et de nombreux vols étaient annulés. « Les seules voies aériennes de sortie étaient par le sud », explique Bastien Pruneau. Destination Dubaï, mais les compagnies aériennes ont fait flamber le tarif du bon de sortie. Les prix des billets sont passés d’environ 800 euros à 3 000 euros en une demi-journée, selon plusieurs témoignages d’étudiants.
Reste la voie nord, terrestre celle-là. Devant l’impossibilité d’acheter un billet, plusieurs étudiants français, mais aussi norvégiens, espagnols, polonais, anglais ont fait le chemin par l’Estonie. Paul Travers, 21 ans, étudiant à l’EM Normandie, a pensé rejoindre Helsinki en bus, bien moins onéreux que l’avion… Mais tout était complet. Depuis Saint-Pétersbourg, avec son amie allemande Valentina, le jeune homme a trouvé un chauffeur prêt à le rapprocher de la frontière, moyennant une trentaine d’euros : deux heures et demie de voiture pour atteindre la ville frontière d’Ivangorod.
Après un checkpoint tenu par l’armée, un contrôle viril « avec kalachnikov apparente », le jeune couple est laissé à moins d’un kilomètre de la frontière. Ils marchent jusqu’à la ville estonienne de Narva, prennent un train pour Tallin, un avion pour Helsinki, un autre pour Paris… Aujourd’hui, la plupart des étudiants revenus en France ont repris les cours au sein des établissements russes, à distance. Tous sont écœurés de la situation.
Eric Nunès